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Nouvel Eldorado, Shanghai apprend, assimile et met en oeuvre, avec zèle – et plus ou moins de talent –, la nouveauté. Une frénésie qui lui donne l’aura d’une cité moderne.
Shanghai s’éveille
Shanghai est souvent décrite comme la plus moderne des grandes cités chinoises. Moderne ? À l’aune de nos critères occidentaux, on imagine une ville fluide et électrique, culturellement alléchante où l’on respire et mange sainement. Mais sous le ciel gris de cette mégalopole gigantesque, le nouvel arrivant est autant frappé par l’épaisse couche de poussière due à la pollution recouvrant les vélos entassés dans les parkings que par le nombre de voitures de sport en circulation. Le long des avenues impeccables ou dans les malls climatisés, les boutiques de luxe brillent d’un éclat aguicheur, rappelant à leur façon qu’ici la croissance économique avoisine les 8 % par an et aiguise l’appétit de consommation des Chinois. Leur fringale pour l’art va elle aussi croissant : chaque jour un nouveau musée ouvre sur le territoire, tandis que les foires locales d’art contemporain et de photographie (la première édition de Photo Shanghai s’est tenue début septembre) drainent des visiteurs asiatiques de plus
L’art f leurit ici et là, et les Chinois aiment ça.
en plus nombreux. Ce jour-là, devant la Power Art Station, site industriel reconverti en centre d’art, il y a la queue devant le “Photomaton” installé par l’artiste français JR, de passage pour une exposition. Près de la rivière Suzhou, dans le quartier de Moganshan Lu, les anciens entrepôts de tissu où bouillonnait l’avant-garde artistique pullulent à présent de badauds. L’art est devenu une attraction touristique. En l’espace de quelques mois, deux fondations privées majeures (le Long Museum et le Yuz Museum) ont été inaugurées à Shanghai, tandis qu’une ancienne banque près du Bund était investie par une galerie. C’est un début. Si la vitalité de la ville est immédiatement perceptible, difficile en revanche d’en appréhender les règles pour ceux qui choisissent de s’y installer. “La ville est un peu chaotique, reconnaît une jeune galeriste fraîchement débarquée de Londres. C’est ce qui est excitant, l’impression que tout est possible !” L’Eldorado ? À la recherche du “Paradis perdu” (Lost Heaven), adresse gastronomique dans l’ancienne concession française recommandée par les becs fins, on goûte le calme des artères ombragées de platanes. Derrière une grille franchie par erreur, un autre monde surgit… : transformée en restaurant, l’ex-ambassade d’Angleterre a le coeur glacé par la climatisation poussée à fond, mais son jardin exhale un charme suranné. C’est ici, autant que dans les ruelles encore insalubres de certains quartiers enclavés, que l’on mesure pleinement l’incroyable accélération qui a conduit Shanghai, de son passé colonial, puis communiste dur, à devenir ce qu’elle est. Ce qu’elle rêve d’être ; à l’image du quartier de Pudong, surgi en deux décennies à peine, hérissé de buildings puissants et vertigineux. Une ébauche de ville du futur. Suffisamment sûre d’elle pour redécouvrir et aimer, aussi, le raffinement qui fit sa grandeur par le passé ; comme dans le somptueux lobby du Puli hôtel, établissement au chic sensuel, pavé de dalles reproduisant la forme légèrement concave de celles de la Cité Interdite. Imperceptible empreinte en creux procurant une souple sensation de confort, qui laisse imaginer ce que pourrait être la Chine moderne de demain.