“Je suis un monstre qui vous parle” : un “je” de reconstruction
Qu’est- ce qu’un monstre ? Celui que l’on montre du doigt. Ici, Paul B. Preciado (B. pour Beatriz, son prénom de naissance) inverse les rôles. C’est lui, « homme trans », qui apostropha trois mille cinq cents psychanalystes dans un congrès où il était invité pour qu’ils sortent enfin des costumes trop serrés coupés par Freud et Lacan. Camisoles qui, selon lui, étouffent les tendances et désirs queer n’entrant pas dans les cases préétablies de la masculinité ou de la féminité. Son discours – interrompu – fit scandale. Le voici retranscrit in extenso dans les 126 pages ébouriffantes de ce petit livre (succédant à Un appartement sur Uranus, chronique de sa transition). Le philosophe transsexuel, qui s’est auto-administré de la testostérone au début de sa transition, les y conjure d’adapter en urgence leurs théories et pratiques à la fluidité contemporaine du genre, dont la libération ne peut se faire qu’en dehors, d’après lui, de leur sempiternelle et si normative bible : le complexe d’OEdipe. Décolonisons les corps de l’oppression binaire ! les exhorte-t-il, en leur demandant – pourquoi pas – de commencer par eux-mêmes, psychanalystes faits de chair et d’os. Ce texte atypique, aussi brillant qu’émouvant, nous fera-t-il oser ce souhait : bonne remise en question aux futurs monstres qui le lisent ?
Je suis un monstre qui vous parle, éd. Grasset, 9 €.