Maxi

‘‘Pour être heureuse, j’avais besoin de connaître mes origines’’

Après avoir appris par hasard, à 16 ans, qu’elle n’était pas la fille biologique de ses parents, Valérie a parcouru des milliers de kilomètres pour retrouver son identité. Un besoin vital.

- Valérie

J’en frissonne encore. La semaine dernière, j’ai assisté aux retrouvail­les d’une fratrie après quarante-cinq ans de séparation. Quelques jours avant, j’apprenais qu’une femme de 80 ans avait retrouvé deux des trois enfants qui lui avaient été enlevés. Tout cela s’est passé dans un bout de France, sur l’île de la Réunion, au siècle dernier. Aujourd’hui, j’accompagne ces familles dans leur quête. Je sais exactement ce qu’elles ressentent. Dans mon sac à main, j’ai moi-même deux cartes d’identité avec des noms différents ! Moi aussi, je suis passée par là. Pendant des années, pourtant, elle a essayé de me convaincre que je me trompais. La femme qui m’a élevée avait réponse à tout. Si je m’interrogea­is sur ma couleur de peau, plus foncée que la sienne, elle me montrait des photos de vacances de mon père, le visage buriné par le soleil. Quand je me suis étonnée que mon nom paraisse raturé sur mon carnet de santé, elle a trouvé que j’avais beaucoup d’imaginatio­n. Mes parents ne voulaient pas que je me pose trop de questions. Après tout, si j’avais un doute sur mes origines, mes papiers indiquaien­t que j’étais née dans la Creuse. Je n’avais pas de raison – et surtout pas envie – de ne pas le croire. Même si je n’avais aucun souvenir avant mes 7 ans, j’essayais de ne pas me poser de questions. Parfois, j’avais des flashes. Je me voyais dans un avion avec une assistante sociale, par exemple. J’avais l’impression d’avoir fait un long voyage. En même temps, j’aimais mes parents et je n’en avais, pensais-je, jamais connu d’autres. J’ai donc continué à vivre aussi normalemen­t que possible. Mais les enfants ne sont jamais dupes. Tous les deux mois, ma mère m’emmenait chez le coiffeur pour défriser mes cheveux crépus, en vain. J’habitais dans un village où il n’y avait que des Blancs et j’ai beaucoup souffert du racisme à l’école. Au collège, je sortais déjeuner le midi tellement c’était insupporta­ble. Je n’avais qu’un rêve : quitter l’école et travailler le plus vite possible ! J’ai vu pour la première fois d’autres Noirs au lycée sans oser leur parler. J’aurais dû car nous avions beaucoup plus en commun que je ne l’imaginai alors. La vérité m’a fracassée à l’âge de 16 ans. Il n’y a pas d’autre mot. C’est arrivé par hasard. Ma mère m’avait envoyée chercher quelque chose dans une armoire. En fouillant, je suis tombée sur un papier où il était écrit, noir sur blanc, que mes parents n’étaient pas mes parents. J’avais été adoptée. Je me suis assise sur le lit et j’ai craqué. J’ai pleuré des larmes de tristesse face à cette trahison. J’étais très en colère contre ma mère. Je lui ai montré le

papier et elle est devenue livide à son tour. La voix tremblante, elle m’a expliqué que j’étais née à la Réunion, que je m’appelais MarieGerma­ine et que mes parents étaient morts. Pour la première fois, j’ai vu mon père pleurer. Il a reconnu que j’aurais dû savoir la vérité depuis longtemps. Car si je n’avais plus de parents biologique­s, j’avais encore des frères et soeurs qui vivaient à quelques kilomètres de chez nous. Je les avais même sans doute croisés au lycée sans me douter de notre lien ! Pour se faire pardonner, mes parents ont promis de m’aider à renouer avec mes racines. Ils m’ont permis de rencontrer un premier frère à qui ils avaient interdit de m’approcher. Je dis souvent que c’est le premier jour du reste de ma vie. J’ai vu débarquer un garçon de cinq ans de plus que moi qui me ressemblai­t comme deux gouttes d’eau. J’ai découvert que j’avais cinq frères et soeurs. J’étais l’avant-dernière de la fratrie et heureuse de les connaître enfin. J’ai renoncé à remuer le passé davantage. Mes parents adoptifs avaient eu tort de me mentir, mais je ne doutais pas de leur amour. J’avais récupéré un bout de ma vie et j’ai essayé de reprendre sereinemen­t le cours de mon existence. Pendant quelques années, j’ai pensé, à tort, être apaisée. Mais je suis devenue mère à mon tour et certaines questions ont ressurgi avec violence. Je me suis demandé qui j’étais vraiment et ce que j’allais transmettr­e à mes enfants. J’ai décidé que je devais fouler la terre où j’étais née. Ce premier voyage, sans doute mal préparé, a été douloureux. Ma mère adoptive était contre et souffrait de mes démarches. Sur place, ma mère biologique était morte depuis longtemps et j’ai surtout découvert une très grande pauvreté. Ce n’était pas le moment et je suis rentrée. C’est seulement quand le scandale des « enfants volés de la Creuse » a éclaté que ma quête d’identité a pris une autre dimension. En 2002, un Réunionnai­s a porté plainte contre l’État. J’ai appris que des centaines d’enfants, comme moi, avaient été envoyés en métropole des années 1960 à 1980 pour pallier le déficit démographi­que de certains départemen­ts français. J’ai alors trouvé le courage de retourner m’installer à la Réunion avec mes enfants pour prendre le temps de retrouver mon identité. J’ai entamé des démarches et récupéré ma vraie carte d’identité, avec mon vrai nom et mon vrai lieu de naissance. Cette pièce d’identité a été un pas de plus vers la résilience. J’ai rencontré une assistante sociale qui m’a donné une partie de mon dossier. Je sais aujourd’hui que ma mère a signé mon acte d’abandon un an avant son décès. Je ne sais toujours pas quelles étaient ses motivation­s ou si elle a été forcée à me laisser partir… Au fil des ans, certaines langues se sont déliées et j’ai appris seulement récemment que mon père biologique était toujours en vie. J’ai son nom et son adresse. Il est très âgé, mais il a peut-être des réponses. J’ai prévu un nouveau voyage à la fin de l’année pour aller à sa rencontre. Peut-être aurai-je alors les dernières réponses à mes questions… En attendant, je m’investis dans la Fédération des enfants déracinés des départemen­ts et régions d’outre-mer (Fedd) dont je suis devenue la porte-parole. À ce jour, nous avons identifié 2150 mineurs déplacés qui, souvent, comme moi, ont besoin de renouer avec leur histoire. En 2014, l’État français a reconnu sa part de responsabi­lité et s’est engagé à aider les victimes à connaître leurs origines. Je me bats pour moi, mais aussi pour mes enfants. Mon histoire m’a aussi appris que les secrets de familles sont dangereux. Pour vivre heureux, nous avons tous besoin de savoir qui nous sommes et d’où nous venons.

Je suis allée à la Réunion pour prendre le temps de retrouver mon identité

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Valérie lorsqu’elle était enfant dans le village de la Creuse où elle a grandi.

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