Memento

Ô temps, suspends ton vol…

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LE DROIT OCCUPE UNE PLACE PRÉPONDÉRA­NTE DANS LES RELATIONS ÉCONOMIQUE­S. JEAN-BAPTISTE SEUBE, PROFESSEUR AGRÉGÉ DES FACULTÉS DE DROIT ET AVOCAT AU BARREAU DE SAINT-DENIS, ET LES ÉTUDIANTS DU MASTER DROIT DES AFFAIRES QU’IL DIRIGE, ATTIRENT L’ATTENTION DES ENTREPRENE­URS SUR CERTAINES DIFFICULTÉ­S JURIDIQUES, À TRAVERS L’ÉVOCATION DE DÉCISIONS DE JUSTICE OU DE LOIS RÉCENTES.

La période de confinemen­t a plongé le pays dans une sorte de léthargie, comme si le temps s’était arrêté, ou comme s’il avait défilé moins vite. Ce ralentisse­ment de l’économie et de la vie sociale a nécessaire­ment emporté des conséquenc­es juridiques.

Le droit enferme en effet l’action humaine dans un cadre temporel, en lui imposant d’innombrabl­es délais : délais de prescripti­on, délais d’appel, délais de forclusion, délais de remboursem­ent, délais d’exécution, délais de carence, délais de grâce, délais de rétractati­on, délais de réflexion… Comment donc concilier la paralysie du pays et l’inexorable écoulement du temps auquel le droit prête de si grandes conséquenc­es ?

C’est à ce défi que s’est attelée l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 sur la prorogatio­n des délais. L’idée générale est de faire en sorte que les justiciabl­es qui devaient interrompr­e un délai pendant la période de crise que la France a traversée, et qui n’ont pas pu le faire en raison des mesures prises, ne soient pas pénalisés et puissent encore le faire un peu plus tard. L’ordonnance reste cependant un texte très technique, sur l’interpréta­tion duquel les juristes les plus habiles sont en désaccord. Il est donc vain, dans le cadre de cette brève chronique, d’en aborder le fond. Deux remarques seulement sur l’inscriptio­n de cette ordonnance dans le temps.

La première consiste à tourner le regard le passé. Cette ordonnance s’inspire en effet directemen­t de textes qui avaient été pris pour limiter les effets néfastes d’une autre crise, celle de mai 1968. Ce bégaiement législatif, à plus de cinquante ans d’écart, montre que les fonctionna­ires du Ministère de la Justice ont bonne mémoire. Il montre aussi que les remèdes sont finalement les mêmes, quelles que soient les causes de crise : révolte sociétale ou au peste médicale…

L’encre de la loi n’a pas le temps de sécher qu’elle est déjà réécrite ! Un tel emballemen­t textuel plonge nécessaire­ment les praticiens du droit et les opérateurs économique­s dans la perplexité

La seconde consiste à tourner le regard vers l’avenir. L’ordonnance, à peine vieille de deux mois au moment où ces lignes sont écrites, a déjà été modifiée trois fois. L’encre de la loi n’a pas le temps de sécher qu’elle est déjà réécrite ! Un tel emballemen­t textuel plonge nécessaire­ment les praticiens du droit et les opérateurs économique­s dans la perplexité. En période de crise, c’est de stabilité qu’ils ont besoin, pas de versatilit­é !

Malgré ce, il faut rester conscient que la critique est facile, mais que l’art est difficile ! Il faut donc être reconnaiss­ant aux pouvoirs publics d’avoir su édicter, en peu de temps, des textes de nature à protéger les justiciabl­es, sans pour autant paralyser l’activité économique. Exercice de funambule, d’équilibris­te… mais qui vaut toujours mieux que l’inaction. La politique n’est qu’action !

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