Moto Revue Classic

En 1972, grâce au cigarettie­r John Player, Norton sort une Commando de course.

Lorsque le cigarettie­r John Player sponsorise l’écurie Norton en 1972, l’ingénieur-pilote Peter Williams a enfin les moyens de mettre au point une anglaise de course performant­e sur la base de la 750 Commando

- Texte : Alan Cathcart – Photos : Kike Mayor & Kyoichi Nakamura

L’aventure des JPN commença en 1971, lorsque Peter Williams, le fils de son père, qui avait créé la Matchless G50, reçut un budget de la part de Norton. Dennis Poore, le boss de la marque à l’époque, avait décelé le talent du jeune homme qui, en plus d’être un ingénieur en développem­ent dans l’usine la semaine, courait le week-end sur une G50 Arter-matchless. Une trapanelle qu’il avait réussi à classer 4e du championna­t du monde 500 en 1967, derrière Hailwood et Agostini (voir MR Classic n° 87) ! En 1972, une nouvelle catégorie allait voir le jour, la Formula 750 Formula, et Poore décida d’y engager une Commando. Les planètes étaient parfaiteme­nt alignées : le Performanc­e Shop Norton Villiers sur le circuit de Thruxton allait être entièremen­t réservé au projet, et des pilotes top niveau recrutés : Phil Read, Frank Perris, ex-pilote usine Suzuki, Williams, et Tony Rutter. Enfin, l’argent allait couler à flot car Poore, lui-même ancien coureur automobile, décrocha le premier contrat publicitai­re moto avec un cigarettie­r. Depuis 1968, les marques de clopes avaient commencé à peinturlur­er les Formule 1 et quatre ans plus tard, Imperial Tobacco se laissait tenter en donnant son nom au team Norton.

Le team moderne venait d’être inventé

Avec leur somptueux camion-atelier qui roulait à 160 à l’heure (!) et son moteur Dodge V8, le « team » moderne, tel qu’on le voit encore aujourd’hui, venait d’être inventé. Portée sur les fonts baptismaux en novembre 71, l’équipe devait fabriquer deux motos en dix semaines pour rouler à Daytona. Une gageure, étant donné que le propulseur était le modeste 750 dont les origines remontaien­t au premier twin dessiné par Bert Hopwood en 1948 (voir page 80) ! Mais Williams avait quelques cartes en+ main, dont l’accès à la soufflerie expériment­ale de Nuneaton. Avec le moteur Combat légèrement sur-comprimé, il vit qu’en réduisant au maximum la surface frontale de la machine, il pourrait attendre 150 mph (240 km/h). De ce fait, il réduisit au maximum le gabarit de la moto, qui était plus petite que certains monos. En face, il y avait les Suzuki troiscylin­dres qui crachaient 115 chevaux, et le team – malgré ses efforts et les 14 chevaux gagnés sur le moteur d’origine – n’en avait que 69 à faire valoir. Williams voulait rattraper les nippones

côté consommati­on, en faisant au mieux un arrêt ravitaille­ment de moins. Il calcula qu’il lui fallait emporter 24 litres d’essence sur la machine, un vrai problème si on voulait garder la surface frontale la plus réduite possible, et ne pas pénaliser la position du pilote. La solution fut trouvée en faisant descendre le réservoir sur chaque côté du moteur, comme des sacoches pleines d’essence ! D’où son surnom en anglais, « Pannier », une idée qu’avait déjà expériment­ée son père sur L’AJS 7R3A pour garder le centre de gravité le plus bas possible. De ce fait, il fallait requérir à une pompe à essence (actionnée par les mouvements du bras oscillant) pour remonter le liquide jusqu’aux carbus Amal 32 mm. L’espace sous la selle était dévolu au réservoir d’huile.

La transmissi­on et le cadre : ses 2 défauts

À Daytona, les débuts furent très encouragea­nts, la moto valait bien 150 mph, et Phil Read atteignit les 155 mph en course (250 km/h) et il fut même en tête pendant quatre tours, au moment des ravitaille­ments des japonaises ! Trois Yamaha 350 montèrent sur le podium, la Norton termina 4e mais devant les Suzuki. Williams ne finit pas, ayant cassé la boîte, la transmissi­on allant être un problème récurrent sur cette machine. Ainsi, au TT, aucune des trois machines ne parvint au bout, Read avec un frein arrière bloqué, Cooper qui perdait son sélecteur de vitesses, et Williams encore avec un problème de boîte. Et puis Mick Grant se fit une frayeur quand son volant moteur explosa dans la ligne droite du circuit d’anderstorp en juillet alors qu’il était à 200 km/h. Mais le team, avec autant de talents réunis, réussit mieux la seconde partie de la saison en gagnant quelques courses et des places d’honneur. Les deux

EN FACE, IL Y AVAIT LES SUZUKI 3-CYLINDRES QUI CRACHAIENT 115 CH, ET LE TEAM N’EN AVAIT QUE 69 À FAIRE VALOIR

problèmes majeurs de cette machine restaient la transmissi­on et le cadre. La boîte séparée faisait l’objet de toutes les critiques. Elle n’avait tout simplement pas été conçue pour tourner aussi vite. Pour transmettr­e la puissance qui, au fil de la saison, avait grimpé à 76 chevaux à 7 500 tr/min, le team avait monté une chaîne de transmissi­on primaire triplex au lieu de la simple d’origine. Elle était en fait trop rigide et exerçait une pression sur l’arbre qui se tordait, ce qui faisait sortir les pignons de leur alignement et leur cassait les dents ! En 1973, on y remédia avec toute la science du préparateu­r Rod Quaife qui proposa d’installer un roulement de l’autre côté de la chaîne et un nouvel embrayage à sec. Pour la partie-cycle, il s’agissait d’un cadre que Williams avait dessiné quelques années auparavant pour sa « Production racer » de Commando. Il conservait le système Isolastic, le montage du moteur « souple » des Norton de série, conforté en cela par la maisonmère qui voyait une publicité directe pour les motos vendues en concession­s. Jugé pas assez rigide, il sera radicaleme­nt remplacé en 1974 par la JPN monocoque qui gagnera le Tourist Trophy... mais ceci est une autre moto et une autre histoire...

Je peux le dire : cette moto est bien spéciale

Pour revenir aux cinq machines du team de 72, elles sont toutes en état de marche et curieuseme­nt, trois ont atterri en Espagne. En 1973, l’importateu­r espagnol de Norton les rachète. Sous Franco, pour soutenir la production nationale, les machines japonaises sont interdites d’importatio­n. Du coup, les Norton font de beaux chiffres de vente et on a besoin de racer pour briller en championna­t espagnol ! C’est ainsi que la JPN de cet essai a passé le reste de sa carrière à l’abri de la rouille et du climat britanniqu­e pour finir dans la collection du Barcelonai­s Joaquin Folch. Je l’ai essayée sur le circuit de Calafat et je peux le dire : cette moto est bien spéciale. Déjà, pour la démarrer, il faut sauter plusieurs fois sur la selle pour que la pompe à essence alimente les carbus, puis on la démarre à la poussette. Lancée, la transmissi­on tant décriée de cette machine, qui a bénéficié des dernières améliorati­ons apportées, comme le roulement supplément­aire pour la boîte et l’embrayage à sec, se fait totalement oublier. On change de rapport avec seulement deux doigts sur l’embrayage,

S’IL VOUS PREND L’ENVIE DE RESSERRER VOTRE TRAJECTOIR­E EN PLEIN VIRAGE, TINTIN !

comme en GP ! Il y a un gros écart entre le premier et second rapport et mieux vaut rester sur ce dernier, même dans les virages les plus lents. Le moteur longue course avec un volant bien lourd n’est pas du genre à prendre des tours comme une fusée, son truc à lui, c’est de tracter et ce, dès 3 500 tr/min. Ce qui est surprenant, c’est le faible niveau de vibrations par rapport aux autres twins anglais à 360° (comme les Gus Kuhn) que j’ai déjà essayés. On dirait qu’il reste le même, du plus bas à 7 300 tr/min, le régime qui semble maximum pour changer de rapport. Cette souplesse et la position de conduite basse, mais pas spartiate, participen­t de la sensation de confort qu’on a à son guidon. La JPN n’est pas une machine fatigante, un atout sur les courses longue distance. Étonnammen­t, on trouve une roue de 19 pouces à l’avant et une 18 à l’arrière. En fait, la moto avait couru à Daytona avec des 18 pouces, puis, rentrée en Angleterre, les pilotes s’étaient plaints de la garde au sol trop juste pour les circuits britanniqu­es. Ni une, ni deux, on avait remonté la moto sur des roues de 19 pouces ! Et lorsqu’elles arrivent en Espagne, les photos d’époque l’attestent, les JPN se retrouvère­nt avec des roues panachées. À mon avis, ce n’est pas une réussite, car la direction n’est pas très légère, on dirait une Ducati de la même époque, qui a un empattemen­t 11 cm plus long... S’il vous prend l’envie (ou le besoin) de resserrer votre trajectoir­e en plein virage, Tintin ! Mon opinion, c’est que le team JPN a équipé ses motos en partance pour l’espagne avec les pièces dont ils ne se servaient plus, d’où les roues avant en 19 pouces. Bref, la moto dans son état actuel n’est pas la petite bombe que son gabarit de guêpe laisse supposer. D’autant que je n’ai pas encore parlé des freins qui sont carrément apathiques. Cela rend encore plus héroïque la prestation de Peter Williams. Je l’ai vu de mes yeux en 1972 glisser de l’avant et de l’arrière dans le virage de Druids à Brands Hatch, pour garder le maximum de vitesse en courbe. J’ai compris aujourd’hui que les freins ne lui permettaie­nt pas de faire autrement... Respect, Peter !

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 ??  ?? 1- Le réservoir « à sacoches » qui descend autour du moteur permet d’emmener 24 litres d’essence et d’éviter un ravitaille­ment à Daytona ! 2- 1972, l’année du bicylindre européen : Peter Williams sur Norton précède Paul Smart sur la nouvelle Ducati 750...
1- Le réservoir « à sacoches » qui descend autour du moteur permet d’emmener 24 litres d’essence et d’éviter un ravitaille­ment à Daytona ! 2- 1972, l’année du bicylindre européen : Peter Williams sur Norton précède Paul Smart sur la nouvelle Ducati 750...
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 ??  ?? 1- Le carénage de la moto essayée date de 1973 et il enveloppe les bracelets. 2- La première année, la JPN avait une livrée bleue et un seul disque. 3- Admirez les vestes en cuir des membres du team JPN ! 4- Toute la science des préparateu­rs anglais y...
1- Le carénage de la moto essayée date de 1973 et il enveloppe les bracelets. 2- La première année, la JPN avait une livrée bleue et un seul disque. 3- Admirez les vestes en cuir des membres du team JPN ! 4- Toute la science des préparateu­rs anglais y...
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 ??  ?? Cette Norton 750 Commando « Pannier tank » a été envoyée en Espagne dans les années 70 et elle y est restée ! Elle arbore le carénage et les couleurs adoptées par le team en 1973.
Cette Norton 750 Commando « Pannier tank » a été envoyée en Espagne dans les années 70 et elle y est restée ! Elle arbore le carénage et les couleurs adoptées par le team en 1973.
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En mars 1973, le moteur 850 Commando est dévoilé dans la presse anglaise par le biais de cet écorché. La conception du twin date de 1948... À droite, une 750 Fastback avec les échappemen­ts contre-cône apparus en 1970.

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