Gosses de riches
L’homme (et peut-être encore plus la femme – ça va, je plaisante... un peu) est bourré de paradoxes. S’il développe d’extraordinaires facultés d’adaptation, capable de s’habituer quasiment à tout, même aux situations les plus galères, il sait aussi, quand de multiples choix a priori sympathiques s’offrent à lui, se montrer étrangement tatillon, roi de la découpe du cheveu en quatre, et tellement exigeant qu’il en devient pénible. Le motard n’échappe pas à la règle. À peine les nouveautés 2017 sont-elles sur les routes (et encore, pas toutes) que déjà beaucoup fourmillent d’impatience à l’idée de découvrir la suite, c’est-à-dire envisager ce que sera la cuvée 2018. Entre prédiction, supposition et information, tous les moyens sont bons pour dessiner – a minima – les contours de la carte des arrivées. Reste alors à déterminer le qualificatif que l’on donne à tout ça : est-ce un coup d’avance ou une fuite en avant ? Sûrement un peu des deux, beaucoup des deux, même. Avec un peu de recul, en mettant les choses en perspective, on pourrait se dire, de manière plus raisonnable et responsable, que les catalogues des constructeurs regorgent déjà de modèles, dans tous les styles et pour toutes les bourses. Le paradoxe, là encore, c’est que les marques remplissent notre « petit » marché de la moto par une offre pléthorique. Une offre qui si on l’envisage d’un point de vue rationnel, apparaît totalement disproportionnée. Quand on compare les chiffres de l’automobile avec ceux de la moto – largement à l’avantage du quatre-roues –, on ne peut que s’étonner du décalage qui existe entre les univers. Prenons l’exemple de deux constructeurs japonais : Honda et Suzuki. Ils affichent chacun 8 modèles d’automobiles (certes, avec des déclinaisons) contre 38 de motos pour Honda et 37 à Suzuki. Même BMW, roi de la niche premium sur 4 et 2-roues, avoue un différentiel limité entre ces deux entités, avec 40 voitures contre 30 motos. Quant à des marques absentes du segment moto comme Renault ou Citroën, ce sont, respectivement, 16 et 15 modèles qu’elles proposent à la vente, bien loin des chiffres avancés par des constructeurs exclusifs moto, comme peuvent l’être Ducati (35 modèles), Triumph (34 modèles), KTM (35 modèles), etc. Avec une telle opulence, on pourrait imaginer que si l’hésitation est permise (et plutôt dix fois qu’une), il paraît inconcevable d’imaginer ne pas pouvoir trouver sélecteur à son pied… Eh bien si, on l’entend et on le voit. Ce qui est tout aussi dingue, c’est de constater que les constructeurs moto développent aujourd’hui l’essentiel de leur business dans des contrées (Asie, Amérique du sud), où ils ne proposent à la vente que très, très peu de modèles. Pas de choix – ou infiniment moins – pour ces populations, mais du volume en pagaille et des croissances au moins à deux chiffres pour les constructeurs... Et c’est en Europe, où les ventes font du surplace, que les catalogues débordent de propositions. Des motos à un, deux, trois, quatre ou six cylindres, des motos pour les chemins, la route, ou pour les deux, des motos pour la piste, la balade, le voyage, etc. C’est encore chez nous, en Occident, que les marques ont décidé de faire de l’image, de la marge certes aussi sur ces modèles à plus forte valeur ajoutée, mais infiniment moins de volume pour un delta financier à l’avantage des autres continents. Profitons encore de notre chance, les amis, parce que c’en est une, et une grande.