Quand les bleus dominent le long track…
Certainement pas le plus connu des sports mécaniques tout-terrain par chez nous, le long track est pourtant devenu une spécialité tricolore début septembre. Ça se passait à Morizès dans le Sud-ouest et y’avait une ambiance du tonnerre pour applaudir les frangins Trésarrieu, Dimitri Bergé et David Bellego dans leur quête du graal. Reportage.
On a eu Stéphane Trésarrieu, la légende, 43 ans, champion d’europe et vice-champion du monde de long track il y a quelques années. Et puis son frangin, Mathieu, champion du monde de la spécialité l’an passé (voir portrait dans MV n° 525). Cette année, on a Dimitri Bergé, 22 ans et déjà champion d’europe 2018 et pour l’instant en tête du Mondial à une épreuve de la fin (2 points devant Mathieu Trésarrieu et un Allemand). Depuis le 1er septembre, il faudra désormais parler de la victoire de l’équipe de France de long track lors du championnat du monde par équipes. Oui, les p’tits gars de la glisse tricolore se sont enfin adjugé le titre suprême après deux places de vice-champion et une 3e place obtenues par le passé. L’épreuve par équipes a été créée en 2007 par la FIM et depuis, les Bleus couraient en effet derrière une victoire collective. Il y a quinze jours, leur rêve est enfin devenu réalité. Ça tombe bien, on y était… Et l’histoire commence la veille de l’épreuve lorsque je tombe par hasard sur une partie de l’équipe de France en plein brainstorming intense à la terrasse d’une pizzeria de La Réole. Dans ce village à deux pas de Morizès, pilotes et mécanos refont le monde et se préparent à leur confrontation du lendemain en dégustant quelques miniardises. S’ils ont un quelconque stress, ça ne se voit absolument pas. Allez, peut-être quelques rides plus marquées sur le front du manager Laurent Sambarrey. Et encore, c’est parce qu’il manque une chaise pour faire asseoir tous ses poulains à table. Stéphane Trésarrieu plaisante avec ses potes. À 43 balais, celui qui jouera le rôle de remplaçant demain en a vu tellement d’autres depuis qu’il a débuté la glisse à l’âge de 14 ans… Et ouais, bientôt 30 balais de compétition et le bonhomme semble toujours autant motivé.
« Sur le papier on est les plus forts cette année. Meilleurs que l’angleterre et l’allemagne qui
ont dominé ces dernières saisons », glisse le capitaine des Bleus, confiant dans son équipe de jeunes loups. En tout cas, l’ambiance semble bonne, l’entente super cordiale entre pilotes, mécanos et encadrement. Allez, à demain les gars, je ne vais certainement pas perturber une telle réunion d’importance capitale à la veille de ce rendez-vous crucial pour la Nation (!). Qu’en penserait not’ président, hein ?
Sans frein à 150 km/h
Je retrouve tout ce beau monde le lendemain à Morizès dans le paddock du circuit. Ça arrive tranquille vers 11 heures alors que les mécanos ont déjà déchargé les motos. Les autres équipes s’installent aussi : Suède, Angleterre, Allemagne, République Tchèque et Pays-bas. En tout six équipes nationales vont s’affronter. C’est peu. Mais il faut dire que le long track reste un sport confidentiel si on le compare au motocross ou à l’enduro. Voire au speedway, son cousin bien plus populaire en Angleterre, Pologne, Allemagne et autres pays scandinaves. C’est quasi la même chose, sauf que le speedway se pratique sur des pistes plus courtes (de 250 à 425 mètres de long) contrairement au long track, avec des motos presque identiques mais qui vont plus vite sur des pistes plus longues (de 350 à 1 200 mètres). La plupart des pilotes de long’ roulent en speedway pour gagner leur croûte. Les pros en tout cas, tel David Bellego et Dimitri Bergé, les jeunes de la bande de France. Mathieu Trésarrieu a été un bon pilote pro de speedway il y a quelques années en Angleterre et il se concentre désormais sur le long track. La piste de Morizès mesure dans les 525 mètres de long, quinze mètres de large et c’est une cendrée. Une sorte de sable dur bien arrosé, tassé et retravaillé régulièrement pour offrir un grip et une glisse idéaux. Une sorte d’hippodrome avec peu de gradins mais des talus en herbe qui l’entourent pour que
le public puisse dominer les débats. Et du public, le président du club de Morizès, l’incontournable Christian Bouin, en attend un bon paquet en soirée. Le club a mis les petits plats dans les grands, une belle bande de bénévoles s’active tout autour de la piste et en coulisses pour que ce soir… tout glisse (elle était facile, je vous l’accorde). Y’a comme une sacrée fébrilité dans l’air, mais à la mode Sud-ouest : toujours le sourire, pas de mots plus hauts que les autres. Et comme le soleil est de la partie, cette histoire se présente vraiment bien. Dans le paddock, les mécanos font les dernières vérifs, pression des pneus, serrages des boulons. Mathieu Trésarrieu vérifie pour la 1 200e fois son avance à l’allumage et le niveau de cuve de carbu. Connu pour sa minutie dans ses réglages (pour ne pas dire, ses manies), le champion du monde en titre se marre quand je le lui fais remarquer. Le training commence à 14 h 30, il ne veut rien laisser au hasard sur son moteur GM gavé au méthanol. « Ça sort dans les 80-85 chevaux pour 85 kg », me confirme un de ses mécanos. Et quand tu te penches sur le bestiau, ben, y’a pas de freins. Oui, ça prend 150 en ligne droite et ça n’a pas même un frein de vélo à l’avant ou à l’arrière. Psychologiquement, faut être préparé à ça. Ouais d’accord, tout autour de la piste, y’a de gros airbags de sécurité dans les virages. Mais tu te vois partir en guidonnage à 150 à l’heure droit dans un mur, même gonflé d’air ?
Cocorico!
Les pneus sont gonflés entre 500 g et un kilo suivant le type de terrain. À peine plus larges que des pneus de VTT de descente. D’ailleurs le cadre ressemble à un cadre de vélo en tubes fins. Et les suspensions semblent aussi minimalistes que le string de Nabila un soir de tempête au Macumba. Maman, comment ils font ? Je le découvre vite quand la séance de training des Junior commence. Là encore, je tombe des nues. Les gamins ont entre 12 et 15 ans, roulent sur des 125 qui prennent dans les 90 à l’heure et s’envoient des glisses de malades en entrée de virage. Les trois jeunes filles qui roulent mêlées au garçon sont loin
« Quatre tours de 525 mètres en une minute et 10 secondes environ, soit 105 km/h de moyenne… »
d’être ridicules. Les deux Frenchies sélectionnés, Tino et Dylan, semblent bien énervés également. D’ailleurs en soirée Tino terminera 4e de cette Coupe du monde Junior. À 12 ans. No comment… et puis les grands garçons entrent en piste. Là, c’est une autre affaire. Le temps d’entraînement est de quatre tours. Pas de temps à perdre. À peine entrés sur la piste, ça soude sévère et je me prends une bonne giclée de sable quand les gars s’envoient le virage dans lequel je tente de les photographier. La technique est simple : gaz en grand en ligne droite, tu coupes une micro-seconde et tu couches tout à gauche à l’entrée de la courbe. À la fois pour te mettre en glisse, donc te freiner, et pour te placer dans le virage. Là, tu cherches la meilleure adhérence, tu contrôles ta trajo’ avec le pied d’appui (le droit) et ton regard jusqu’à la sortie de la courbe où t’en remets une louche jusqu’au virage suivant. Voilà. Simple, net, sans fioritures : un truc de dingues ! En course, c’est quatre tours plein pot. Et à l’occasion des Nations, six pilotes s’affrontent contre cinq habituellement en championnat individuel. C’est ce que m’explique Laurent
Sambarrey l’entraîneur : « Chaque équipe rencontre toutes les autres, trois contre trois à chaque manche. Mieux on est placé dans chaque manche, plus on marque de points pour son équipe. » Soit une vingtaine de manches toutes disputées en soirée. Sur le coup, on se dit que vingt manches, c’est énorme. En fait, chacune d’entre elles dure à peine plus d’une minute. Oui, quatre tours de 525 mètres en une minute et dix secondes environ, soit 105 km/h de moyenne (tout à la calculette, c’est véridique). Pas étonnant que ces vingt manches passent plutôt vite quand la soirée débute. Si ce n’était le temps de réfection de la piste, une dizaine de minutes toutes les quatre ou cinq manches, l’histoire irait vraiment très vite. En vrai, l’affaire a été rapidement dans le sac. Et le suspense vite étouffé. Dès leur première manche, soit
la 2e de la soirée, les pilotes français ont remporté leur run. Dimitri Bergé s’imposant devant Mathieu Tresarrieu, David Bellego en 4e position. Tous trois ont par la suite remporté une ou plusieurs manches. Ils étaient à chaque fois les plus forts, les plus rapides, les plus à l’aise dans les départs et dans les dépassements. Impressionnants d’aisance ces Bleus. Seul Stéphane, le remplaçant en cas de pépins, n’a pas remporté de run. Mais il a roulé dans le dernier, histoire d’avoir lui aussi foulé cette piste qu’il connaît si bien. Surtout en un jour aussi historique pour la glisse française. Comme l’a dit par la suite son frère Mathieu : « Depuis 12 ans qu’il court après cette victoire, c’était quand même bien de le laisser participer à une des manches. » Vous dire que lors de celle-ci le public était debout, 3 000 ou 4 000 personnes comme un seul homme, encourageant les pilotes français dans leur quête, c’était un bon moment de sport. Oui, pas mal. Vraiment bon. Le long track a beau être confidentiel en France et concentré le long de la Garonne entre Agen et Bordeaux, son mince public est averti et plus fan que fan. De 7 à 77 ans. Ce 1er septembre, il a passé une bonne soirée. Vivent les Bleus ! ❚