LE CHEMIN DU RETOUR
Départ aux premières lueurs du jour. Nous apprécions une fois de plus la beauté du site dans cet étroit passage entre l’île de Corfou et l’Albanie ; étroit et très fréquenté par de nombreux bateaux de croisière filant plus vite que nous. Une fois passés au large de l’île d’Othoni, qui marque pour beaucoup de plaisanciers la porte des îles Ioniennes, une mer houleuse se transforme vite en une mer mauvaise avec des creux de deux mètres et un vent dépassant 25 noeuds. Ce canal d’Otrante est réputé pour ses vents brutaux et généralement mal évalués par les fichiers météo. Il nous faut quatre heures, ballotés dans un roulis infernal pour rejoindre le talon de la botte italienne, où cette houle vire de sens pour nous accompagner en 3/4 arrière sur toute la descente vers la Sicile.
Un intense trafic maritime
La lecture n’est pas possible, alors on s’occupe comme on peut : changement de pavillon de courtoisie, mise à l’heure des montres (changement de fuseau horaire en quittant la Grèce), pendules et électronique de navigation, sans oublier l’apéro au coucher du soleil. La nuit est presque confortable mais pas de tout repos, car nous devons slalomer entre les cargos qui empruntent ce rail. Pas question de trop nous rapprocher de la côte pour les éviter, nous serions allés nous planter sur les innombrables marques de pêche balisées de façon très fantaisiste ! Alors, nos quarts s’enchaînent jusqu’au lever du jour. Merci au radar et à l’AIS, qui simplifient
grandement les prises de décisions. Après le petit-déjeuner, s’effectue un travail de sélection des meilleurs réseaux GSM disponibles pour récupérer les derniers fichiers météo et confirmer malheureusement que nous allons devoir passer la traversée du détroit de Messine, soit 90 milles, à surveiller des cellules orageuses. Encore une fois, le radar est d’une grande aide pour éviter de rincer le bateau et l’équipage. 90 milles dans ces conditions c’est long, très long. Alors, pour tromper l’ennui, on compte les mouches, embarquées depuis la Grèce, et qui elles aussi prennent l’air sur le fly sans jamais s’éloigner. Je connaissais l’expression «Pas folle la guêpe», mais la mouche, aussi ! J’ai l’impression que le compte est bon et que nous allons les garder comme passagers clandestins jusqu’à notre arrivée. Plus tard, comme le chan- tait Michel Jonasz, «on regardait les bateaux, on mangeait des glaces à l’eau», en attendant l’apéro... Qui ne pourra pas avoir lieu... Déjà, au large de Syracuse, un gigantesque front nuageux barre le chemin vers le cap Passero au sud de la Sicile, qui marque la dernière étape avant la marina de Raguse. Au radar, les cellules orageuses se détachent nettement et nous essayons de passer à travers mais le vent forcit encore et la grosse houle de travers commence à déferler. Slalomer dans ces conditions devient de plus en plus difficile d’autant que ce front est épais de près de huit milles, ce qui, à notre vitesse, implique que nous allons forcément être pris dans du très gros temps. Des éclairs commencent à illuminer le ciel. Il fait déjà nuit et soudain les lueurs de la côte disparaissent. C’est le noir total. Même en allumant les phares de proue afin de distinguer l’état de la mer devant nous, j’ai du mal à maintenir le bateau pour faire face à ces vagues qui commencent à faire rouler dangereusement les 35 tonnes d’Ancetile. Après un long moment à batailler pour tenter de passer, il faut savoir rendre les armes et je négocie du mieux possible un demi-tour pour battre en retraite et filer nous mettre à l’abri dans la baie de Syracuse qui est à moins de 10 milles. Au vu de ce qui nous est arrivé, cette navigation m’a permis de hiérarchiser la fiabilité des sites de prévisions météo. J’en consulte deux pour les longs parcours, Lamma Rete, Isramar, et quotidiennement l’excellente application pour iOS (iPhone, iPad), Weather 4D et son module de routage. Weather 4D est toujours ma préférée pour planifier une longue traversée, bien visualiser les grandes ten- dances à long terme et calculer le meilleur créneau horaire. En revanche, je confirme que Lamma Rete est absolument indispensable pour les prévisions plus fines autour des îles (effets venturi par exemple) où les fichiers grib restent moins précis. À maintes reprises, j’ai pu apprécier la pertinence de ce site italien. En l’occurrence, au large de Syracuse, la cellule orageuse était indiquée mais plus au sud. De nouvelles pressions atmosphériques l’ont maintenue plus longtemps sur notre parcours au lieu de l’envoyer vers Malte où elle aurait dû être.
Le GB 48, un bateau très sûr
Enfin, si nous pouvions encore douter des qualités marines du Grand Banks 48, il faut admettre qu’après ce que nous avons subi dans cet orage de nuit, ce bateau offre une sécurité exceptionnelle. Au total, 357 milles parcourus en 49 heures soit 7,3 noeuds de moyenne. Nous garderons le souvenir d’une navigation chargée d’émotions et d’émerveillement. La mer Ionienne offre des paysages variés et un nombre incalculable de mouillages aussi tranquilles qu’au port. Seul bémol, l’eau est rarement cristalline et les fonds sont très abîmés, mais il nous paraît facile d’y naviguer plusieurs années sans se lasser. Nous l’avons quittée avec regret !