L’incroyable sauvetage
En voulant sauver un prototype unique de Riva bimoteur, un collectionneur passionné a entraîné toute une équipe dans une longue aventure. Notre collaborateur et historien Gérald Guétat, chargé de lancer ce chantier hors du commun, témoigne des premières étapes d’une renaissance inespérée.
Depuis bien plus longtemps que le petit monde du yachting classique, celui de l’automobile de collection s’intéresse de près aux objets ayant une histoire particulière. Dans l’ombre, ce sont des escouades de chasseurs d’indices qui partent débusquer, par hasard ou après une longue traque, la relique oubliée de tous. Parfois, la piste d’une auto abandonnée croise le sillage d’un bateau tout aussi délaissé mais il y a rarement preneur. Cependant, quand un important concessionnaire automobile situé en pays flamand a la passion des petits bolides de course italiens des années 1940 et un net penchant pour les Riva des débuts du grand Carlo de Sarnico, tout peut arriver. Au cours d’une exploration menée en Vénétie, un de ses amis trappeurs de vieilles autos tombe fortuitement sur une épave peu engageante portant un vieux sigle Riva sur les restes d’une coque à la maturité plus qu’avancée. Alerté, notre collectionneur se rend rapi
dement au chevet de l’objet tapi au fond d’un garage mal éclairé. Le vendeur, sûr de lui, avance qu’il s’agit d’un Riva unique, le « BM n°3 » en son temps équipé de deux moteurs italiens BPM, une expérience unique sur un runabout de la taille d’un Ariston.
Une épave pleine de secrets
D’ailleurs, le « pape » Piero-Maria Gibellini, fondateur de la Riva Historical Society et auteur des bibles bourrées de références qui portent son nom, est venu en
personne examiner le sarcophage béant en ne démentant rien des affirmations précédentes. Pourtant, sous des montagnes de pièces enchevêtrées, on aperçoit le bleu caractéristique d’un ancien moteur Chris-Craft. Mais il n’y en a qu’un seul. Que sont devenus les deux BPM, ont-ils jamais existé dans ce bateau, comment être certain qu’il s’agit du fameux BM3 vanté par le vendeur ?
Un mystérieux commanditaire
Fasciné au moins autant par les objets au parcours étrange que par les mécaniques exotiques, notre collectionneur achète le lot de bois et de ferraille, à condition de le laisser sur place le temps de décider qu’en faire. Les mois, les années passent. Lors d’une première rencontre avec l’auteur, au salon Rétromobile à Paris en février 2017, notre homme annonce son envie de faire restaurer son mystérieux BM3 chez RAM à Sarnico, seul héritier direct de la tradition Riva. S’agissant plus d’une reconstruction que d’une restauration, l’expertise de ll’établissement fondé par C Carlo Riva sera gage de légitimité et d’authenticité. Mais, beaucoup de questions se posent, jusqu’à l’identification même du bateau, aujourd’hui monomoteur Chris-Craft, hier bimoteur BPM... Des recherches s’imposent qui vont prendre des mois avant que l’épave soit transférée à Sarnico pour examen approfondi. Les archives de Carlo Riva pieusement conservées dans son bureau qui donne sur le chantier sont mises à contribution. On y trouve finalement peu de traces de ce BM3 à
l’exception d’une petite photo noir et blanc qui donne envie d’en savoir plus. Au dos, Carlo a écrit quelques précieuses indications datées de 1950, confirmant ce que l’on voit au recto, un runabout de 6,30 m par 2,08 m, capots ouverts sur 2 moteurs BPM 4 cylindres. Sa femme Licia est le mannequin du jour qui pose au volant. Il ne reste plus qu’à rapprocher ces bribes historiques de la triste réalité qui gît sur un ber en provoquant la perplexité générale au chantier qui, en soixante ans d’activité a rarement vu un Riva en aussi mauvais état. A ce stade, la collaboration d’un architecte expérimenté devient indispensable bl pour ét étudier di l la structure, la mesurer sous tous les angles et recréer des plans de construction très détaillés à l’échelle 1. C’est Guy RibadeauDumas (voir encadré) qui est chargé de la délicate mission et se rend aussitôt à Sarnico où le travail archéologique se poursuit. Patiemment, on extrait un à un des fragments de l’épave comme d’une sépulture mérovingienne et des indices apparaissent avec plusieurs pièces de bois peint en gris de cale marquées « A3 » en bleu au pochoir. Ces éléments vont établir la filiation de l’é l’épave avec l le BM3 grâce â aux archives. Ce dossier est vécu, dès lors, comme une passionnante incursion au coeur de la vie du jeune constructeur à une époque cruciale de sa carrière au tournant des années 1950.
A la recherche des origines
Ses premiers ateliers situés chez son père lui ont permis de construire divers modèles de présérie ou uniques comme le BM3. Puis, en 1953, il va inaugurer son grand chantier industriel moderne
pour lancer les fabrications en série dont il rêve depuis des années, inspirées de l’Américain Chris-Craft. Peu de temps après sa nouvelle installation, Carlo Riva, qui a toujours aimé écrire ou réécrire sa propre histoire, décide de réintégrer tous les BM de présérie dans la grande lignée des Ariston dont ils étaient la préfiguration.
Un vieux squelette très bavard
Les traces du BM3 ont été effacées, remplacées par le A3, troisième bateau de la future série des Ariston. Puis, au sous-sol du bureau de Carlo, un meuble livre un nouveau pan d’histoire avec un jeu de plans originaux en grandes dimensions, estampillés « BM disegno 55 » datés du 20 février 1951. Ces plans, exécutés moins d’un an après la construction du BM3 avec des modifications de cotes, prouvent une volonté de fi
Né en 1951, architecte naval indépendant installé dès 1976, expert et régatier accompli, son âge et son parcours lui confèrent le privilège d’avoir pratiqué longuement le tracé des carènes à la main avant de passer à l’informatique dès les années 1990. Son expérience considérable dans le meilleur des deux mondes a convaincu le propriétaire du Riva BM3 de lui confier le projet. Alliant des mains qui
« sentent » les vies cachées d’une vieille membrure en bois à la rigueur d’exécution des matériaux les plus contemporains, Guy Ribadeau-Dumas présente un CV qui ressemble à un condensé de l’histoire du yachting, réunissant de belle manière théorie et pratique. Concepteur de plusieurs vainqueurs du BOC Challenge et de la Whitbread autour du monde ainsi que de la Transat en solitaire, à la barre d’innombrables victoires en régate moderne et classique comme la Nioulargue, cet architecte-navigateur a aussi mené d’importantes restaurations de grands yachts classiques dont le 12m
JI Fife Wings. En fin connaisseur, il est désormais aux commandes d’un autre plan légendaire de William Fife, le 19m JI Mariquita récemment passé sous pavillon français.