Les frères de Ramzi A. : « Il n’a rien d’un terroriste »
Ramzi A., 21 ans, petit délinquant local, se retrouve mêlé, en ayant fourni une arme au terroriste du 14 juillet, au pire massacre qu’a connu Nice. Ses proches ne veulent y croire
La police judiciaire est venue à deux reprises, depuis l’attentat, au rue Marceau à Nice pour perquisitionner chez Ramzi A. Ils y ont trouvé de la cocaïne et une kalachnikov. (Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi)
Bilel se tient la tête dans les mains. Zied fait les cent pas en grillant cigarette sur cigarette. Leur mère est en larmes. Ramzi A., 21 ans, leur frère cadet, se retrouve mêlé à l’attentat le plus meurtrier qu’a connu Nice. Quatre-vingt-quatre morts (bilan provisoire), plus de 300 blessés. « Un site anglais publie sa photo et des commentaires nous menacent de mort. On peut dire ce qu’on veut de Ramzi mais pas que c’est un terroriste », affirme Zied, le frère aîné, qui a du mal à rester en place. Depuis jeudi soir, Ramzi A. est mis en examen pour complicité d’assassinat en bande organisée, détention et port d’armes de catégorie A et B, le tout en relation avec une entreprise terroriste. Son lieu de détention est pour l’instant secret. Un costume trop grand pour ce petit délinquant du quartier Vernier, au nord de la gare de Nice? C’est ce que veulent démontrer ses proches. « Sa seule erreur, une erreur d’adolescent, est d’avoir fait l’intermédiaire entre l’Albanais [Artan H, ndlr] et LahouaiejBouhlel », explique Bilel. Ramzi a fourni, comme le lui a demandé le tueur du 14 juillet, un pistolet 7.65, mm. Une arme de petit calibre que Lahouaiej-Bouhlel utilisera pour tirer sur les policiers avant d’être abattu. Une arme qui permettra à Ramzi A., de sans doute gagner quelques centaines d’euros. Un bénéfice qu’il va payer très cher.
Était-il au courant du projet criminel de Lahouaiej-Bouhlel ? Cela fait partie des innombrables questions auxquelles les juges d’instruction parisiens devront répondre.
D’embarrassants SMS
La famille de Ramzi a, elle, a son intime conviction : « Le soir du 14 juillet, nous étions les trois frères avec des filles assis sur un banc quai des États-Unis. Pour nous amuser, pas pour regarder la mort ! », souligne, Bilel, amer. « À aucun moment, Ramzi n’a fait le rapprochement avec Lahouaiej-Bouhlel », affirme Zied. Ramzi, six condamnations à son casier judiciaire, était sorti de prison il y a deux mois après deux ans de détention. Étaitil un intime de Lahouaiej-Bouhlel, qui mûrissait son attentat depuis des mois ? « Pas du tout », affirment ses frères, tout en admettant qu’ils ne savent pas dans quelles circonstances les deux hommes se sont rencontrés. Pour les enquêteurs, difficile de ne pas percevoir ces derniers temps que Lahouaiej-Bilel était devenu un individu « habité », prêt à basculer dans l’horreur, ne cachant pas ses sympathies pour Daesh. Dans l’environnement du tueur, certains complices devront d’ailleurs s’expliquer sur leurs messages d’encouragement et leurs selfies, tout sourire dans le camion de location ou le lendemain
de l’attentat. Ramzi A., lui, n’apparaît pas sur ces accablan -tes photos mais se retrouve compromis par deux SMS qu’il reçoit vingt minutes avant la tragédie. Trois SMS ont été envoyés le soir de la tragédie : un à 20 h 29, deux autres à 22 h 27. Ces deux messages sont envoyés sur une ligne utilisée par Ramzi . Le procureur de la République de Paris, François Molins, a évoqué cette semaine :« un SMS dans lequel le terroriste se félicitait du pistolet que Ramzi lui avait donné. Et un SMS dans lequel il en sollicitait d’autres, précisant ce à quoi ils étaient destinés ». Faut-il comprendre qu’un autre attentat était en préparation avec là encore, des armes fournies par Ramzi ? « Il n’a même pas répondu aux SMS, constate Zied, qui cherche à se rassurer. Autre détail à charge: sur un cliché découvert dans le téléphone du terroriste, daté du 14 juillet à 17 h 09, dix numéros de téléphone apparaissent, dont trois sont associés au prénom Ramzi.
Une complicité contestée
« Rien ne démontre que Ramzi était au courant de l’entreprise terroriste », affirme Me Jean-Pascal Padovani, l’avocat de la famille. « Alors oui, il a fourni une arme mais il y a quand même une grande différence entre une infraction de droit commun et une infraction terroriste. La complicité d’assassinat La BRI en action à Nice-Nord, dans l’ancien domicile de Lahouaiej-Bouhlel, le terroriste, « une connaissance » de Ramzi. (Photo Ch. P.)
ne peut être retenue contre lui parce qu’il ne savait pas que l’arme servirait à un attentat. » Le lendemain de la tragédie, Ramzi et ses frères étaient à Juan-les-Pins pour l’anniversaire de Bilel. Samedi matin, au moment de l’interpellation, Ramzi dormait tranquillement au domicile familial rue Marceau. « Pourquoi, s’il avait été au courant, ne s’est-il pas enfui ? », questionne Zied.
« Tout s’est effondré »
La police judiciaire l’a interpellé moins de deux jours après l’attentat et a saisi 200 g de cocaïne. Une preuve à charge ? Tout dépendra des résultats des analyses toxicologiques effectuées lors de l’autopsie du terroriste. S’il est démontré que le tueur était sous l’influence de la drogue, le cas de Ramzi s’aggravera encore un peu plus. D’autant que mercredi dernier, dans une cave de l’immeuble, sur les indications du jeune suspect, une kalachnikov avec ses munitions ont été découvertes. Mais bizarrement, les seules armes longues trouvées dans le camion du terroriste étaient factices. La mère de Ramzi, femme divorcée de 50 ans, vêtue à l’occidentale, se perd en elle aussi en conjectures. Celle qui a élevé seule, depuis son divorce, ses trois fils et sa fille, semble perdue. « Je suis née à Tunis mais suis arrivée en 19 76 à Nice avec mes parents, confiet-elle. Me Jean-Pascal Padovani reste persuadé que Ramzi A. n’était pas au courant du projet d’attentat.
(Photo Ch. P)
J’ai fait ma primaire dans cette ville » et Ramzi, le troisième de la fratrie, est né à Nice. et a été scolarisé jusqu’au collège. Quand elle a appris, par la télévision, les raisons de l’interpellation de son fils, « tout s’est effondré », dit-elle. Depuis la perquisition pendant laquelle « tout a été retourné et cassé », elle a dû s’installer ailleurs, dans un meublé. Elle montre les pièces justificatives au sujet des 2 500 euros en liquide saisis par la police: « Un arriéré que la CAF m’a versé. Et là, ce sont les retraits que j’ai effectués à La Poste .» Elle ne peut pas croire que son fils ait été en contact avec un terroriste fasciné par Daesh : « Personne ne pratique dans la famille. Ramzi ne lit même pas l’arabe, ne connaît le Coran et on n’a pas d’ordinateur à la maison », explique-telle. Des arguments qui ne suffisent pas à balayer complètement l’hypothèse d’une radicalisation si l’on en juge par les parcours d’Abdeslam, Mostefai ou Coulibaly. Bilel insiste : « C’est un jeune comme les autres, un passionné de musique, de rap en particulier, qui aime faire la fête, sortir au resto, en discothèque. » Sa mère intervient: « Laouhaiej Bouhlel, c’est un monstre, il n’y a pas de mot. Notre famille, elle est détruite, salie. » CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr