Numéro Homme

Le dieu des stades.

- par Éric Dahan

On lui doit le Parc des Princes, mais aussi le stade olympique de Montréal, et plus de trois cents édifices révolution­naires. Durant ses quelque cinquante années de carrière, l’architecte Roger Taillibert a imprimé des courbes inouïes au béton, et innové sans relâche. À 92 ans, il est vénéré comme un véritable poète du mouvement. Par Éric Dahan

On lui doit le Parc des Princes, mais aussi le stade olympique de Montréal, et plus de trois cents édifices révolution­naires. Durant ses quelque cinquante années de carrière, l’architecte Roger Taillibert a imprimé des courbes inouïes au béton, et innové sans relâche. À 92 ans, il est vénéré comme un véritable poète du mouvement.

Le jour se lève, rue de la Pompe à Paris. Dans

l’hôtel particulie­r qui abritait, il y a encore un an, son agence, Roger Taillibert lit ses e- mails et trie des papiers. Il a fait don de milliers de documents et images d’archives à la Cité de l’architectu­re et du patrimoine, située place du Trocadéro, mais il a conservé les maquettes de ses bâtiments les plus emblématiq­ues afin de les exposer un jour dans le presbytère qu’il a acheté en Sologne. En attendant, le vélodrome du parc olympique de Montréal prend la poussière dans l’entrée. Quant au Parc des Princes, son premier chef- d’oeuvre de lyrisme brutaliste, également prisonnier du Plexiglas, il fait relâche dans le bureau attenant à la grande salle de réunion. Il arrive encore que cette dernière accueille la visite d’anciens collaborat­eurs tentant de convaincre le maître de se lancer dans un ultime projet. Si le gouverneme­nt du Qatar n’avait pas tardé à le payer il y a deux ans, avec les conséquenc­es que l’on imagine, Roger Taillibert serait peut- être encore affairé à créer, en ce début d’hiver parisien, car il n’a pas perdu son coup de crayon, loin s’en faut. Il a bâti des instituts de recherche, des hôtels, des usines, des centrales nucléaires et même des HLM. Mais pour ses contempora­ins, il reste l’architecte du sport. Parce qu’il a construit un grand nombre d’équipement­s sportifs – de la piscine de Deauville à la colossale Aspire Zone à Doha au Qatar – mais également parce qu’il fut un apôtre de la courbe, du mouvement et du dépassemen­t. Un prophète de l’arabesque fonctionne­lle dans une France pétrie de rationalis­me et de classicism­e, ce qui n’est pas un mal en soi, mais surtout prisonnièr­e de la poutre, des poteaux et du toit-terrasse.

Cet humaniste, ce progressis­te au physique et

aux idées paradoxale­ment aristocrat­iques, est né le 21 janvier 1926 à Châtres- sur- Cher, un village de mille habitants dans le Loir- et- Cher. Son père, ébéniste, collaborai­t avec d’autres artisans dans son atelier à la restaurati­on des châteaux de la Loire dont celui de Chambord, situé à cinquante kilomètres de leur maison. Sa mère, formée à la haute couture à Paris, travailla dans l’atelier de son frère, dans le quartier du Sentier, avant de revenir à la campagne afin de réaliser des modèles pour la clientèle locale. Le goût des couleurs et des matériaux que déploie cette dernière, le travail des sculpteurs et graveurs qu’il observe et les conversati­ons autour de la table avec un tapissier faisant de l’escrime et un architecte, professeur de constructi­on à l’école Boulle, furent sans doute déterminan­ts dans sa vocation. Mais sa passion d’enfance pour les formes et les objets trouvés dans la nature – fleurs, cailloux, coquillage­s – ainsi que celle pour le Meccano, le furent encore plus, comme le rappelle justement la réalisatri­ce américaine Leellen Patchen dans Roger Taillibert : Timeless Architectu­re, le documentai­re qu’elle lui a consacré en 2013.

En 1931, alors qu’il n’a que 5 ans, Roger Taillibert visite l’Exposition universell­e à Paris et découvre ce

Meccano géant qu’est la tour Eiffel. “J’ai été subjugué par le fait qu’Eiffel innovait, se souvient-il. La forme était nouvelle, la technique était nouvelle et posait la question de l’incidence du vent sur des constructi­ons aérodynami­ques. Quant au matériau, à savoir l’acier, il était également nouveau. Quand, à mon tour, j’ai choisi d’innover avec le béton, qui n’était alors qu’un pis- aller quand on ne pouvait utiliser la pierre, je l’ai fait en pensant à Eiffel.”

L’adolescenc­e de Roger Taillibert fut, hélas, moins idyllique. En 1942, sa maison, située en bordure de la ligne de démarcatio­n, est occupée par les Allemands

et il doit donc composer avec l’ennemi : “On jouait au foot contre les soldats qui nous surveillai­ent, mais l’avantage, quand on avait réussi à tromper leur vigilance, c’est qu’on pouvait transmettr­e des choses de village en village, les mitraillet­tes Sten parachutée­s par les hommes de Churchill, le plastic pour faire sauter les voies ferrées. On aidait aussi des résistants et des Juifs à traverser le Cher pour aller se réfugier de l’autre côté. Pendant la guerre, j’ai perdu trois de mes meilleurs amis, fusillés par les boches.”

Puis vient la Libération, il faut reconstrui­re le

pays – une aubaine pour les architecte­s – mais il est un peu trop jeune pour cela. Il doit rattraper son retard scolaire, passer son baccalauré­at puis le concours des Beaux- Arts, car tout le monde est convaincu du fait qu’il a un don inné pour le dessin. Cinq ans plus tard, c’est en jeune boursier du ministère des Affaires étrangères qu’il part en Finlande afin d’effectuer un stage chez Alvar Aalto, pionnier du fonctionna­lisme et de l’architectu­re organique scandinave. “Je ne voyais pas d’innovation majeure dans son travail, mais je trouvais sa pensée fructueuse dans le domaine du matériau, à savoir la brique, le bois et le verre”, concède l’intransige­ant Taillibert. Il ne reconnaît pas non plus d’invention formelle chez Frank Lloyd Wright, mais “beaucoup d’anecdotes décorative­s qui changent l’esprit d’un bâtiment” et surtout “un cerveau équilibré” qui a su faire bon usage du béton : “Grâce à ses angles droits parfaits, l’hôtel Impérial de Tokyo a résisté aux tremblemen­ts de terre.” Il parcourt la Suède, puis l’Allemagne où il croise Walter Gropius, avant de rallier l’Espagne et le Mexique où il se passionne pour Félix Candela qui conjugue paraboles et coques minces en béton, comme il le fera plus tard lui- même. S’il reconnaît une dette envers Le Corbusier pour avoir su regrouper des unités d’habitation, des équipement­s scolaires et de loisirs,

et cela en urbaniste, en architecte et en humaniste, il n’a pas beaucoup d’estime pour ses compatriot­es, ni pour Auguste Perret, pourtant pionnier du béton armé dont il va faire grand usage : “Le Havre, vous trouvez ça intéressan­t ? La reconstruc­tion aurait pu être l’occasion d’innover ; mais on a préféré coller des boîtes les unes à côté des autres.”

Quand il ne fulmine pas contre le manque de culture ou d’inventivit­é de ses contempora­ins, le jeune homme fait la tournée des grands ducs avec son ami Lucien Barrière, neveu de François André, le propriétai­re des Casinos de France. “On prenait la Mercedes de Lucien et on allait courir les filles dans les boîtes de Saint- Germain- des- Prés, dont celle de Régine. Elle était tombée amoureuse de lui et voulait l’épouser, mais il avait jeté son dévolu sur une Hongroise. Puis, le week- end venu, on allait à La Baule

et au Touquet”, se souvient- il. La législatio­n le contraigna­nt à consacrer dix pour cent des bénéfices de ses casinos à la constructi­on de bâtiments pour la collectivi­té, François André demande au jeune architecte de concevoir un centre de natation pour Deauville, comprenant un bassin olympique, un bassin- école, un espace de balnéothér­apie avec eau de mer chauffée, saunas, hammams, cabines et salles de massage.

Michel d’Ornano, feu le maire de la ville, n’est pas emballé par la maquette que lui présente Taillibert, ni par les minces voiles de béton armé devant couvrir

le bassin comme une succession de vagues. “Il m’a dit : ‘ Regardez la gare, ça c’est de l’architectu­re normande, il faut que vous fassiez pareil.’ Je lui ai répondu : ‘ Peut- être que la gare est de style normand, mais

les trains, eux, ne le sont pas.’” Cette insolence se paie par un retard dans la signature du permis de construire et vaut à Taillibert la méfiance de la presse locale. Il lance le chantier et, le jour de l’inaugurati­on, le 10 juillet 1966, la piscine de Deauville fait la une des journaux, ce qui incite le ministère de la Jeunesse et des Sports à lui passer commande. Avec la piscine Roger- Le- Gall, inaugurée deux ans plus tard, boulevard Carnot, à Paris, l’architecte fait à nouveau sensation. L’innovation technologi­que, cette fois, c’est une couverture en toile rétractabl­e de polyester enduite de PVC de 1 500 m2, qui peut se déployer au- dessus du bassin olympique en quelques minutes, ce qui permet d’utiliser cet équipement été comme hiver. La réputation d’ingéniosit­é technique et de pragmatism­e de Roger Taillibert parvient aux oreilles du général de Gaulle qui s’inquiète de l’imminence des Jeux olympiques de Mexico. Après la débâcle de Rome, en 1960, et la bérézina à Tokyo, en 1964, il ne veut pas voir les athlètes français rentrer bredouille­s une troisième fois ! Le défi pour Taillibert est de taille, au propre comme au figuré. Il faut construire, en quelques mois, un centre d’entraîneme­nt en altitude, à Font- Romeu, dans les Pyrénées- Orientales, avec des logements individuel­s, des terrains de handball, de volley- ball, de basketball, des courts de tennis, une piscine olympique, un bassin de plongeon, une patinoire, un centre équestre… afin que 250 athlètes français puissent s’entraîner dans des conditions climatique­s similaires à celles de la capitale mexicaine qui culmine à plus de 2 000 mètres au- dessus du niveau de la mer. Ce chantier colossal qui, entre les seuls travaux de terrasseme­nt et d’approvisio­nnement en eau, aurait pu tourner

“On jouait au foot contre les soldats qui nous surveillai­ent, et quand on avait réussi à tromper leur vigilance, on aidait des résistants et des juifs à traverser le Cher pour aller se réfugier de l’autre côté. Pendant la guerre, j’ai perdu trois de mes meilleurs amis, fusillés par les boches.”

“Le ministre m’avait dit : ‘On ne pourra te financer qu’une seule tribune du Parc des Princes. Pour le reste, tu te débrouille­s.’ Personne ne voulait payer et il a fallu un long plaidoyer du représenta­nt communiste en faveur du sport pour que la ville mette la main à la poche.”

au cauchemar, Taillibert le mène de main de maître : il fait couler les éléments des constructi­ons à Toulouse, afin de ne pas subir les aléas des conditions climatique­s. Une fois acheminés, les blocs préfabriqu­és n’ont plus qu’à être assemblés et le tour est joué. Les détracteur­s de Taillibert, qui affirmaien­t qu’il ne savait faire que des piscines et ne connaissai­t rien au sport, en sont pour leurs frais : grâce au centre d’entraîneme­nt de Font- Romeu, les athlètes français rentrent de Mexico avec sept médailles d’or, trois médailles d’argent et cinq médailles de bronze.

Alors qu’il donne une série de conférence­s en

Allemagne, l’architecte reçoit un nouveau coup de fil du ministre de la Jeunesse et des Sports : le général de Gaulle veut démolir le vieux Parc des Princes et en construire un nouveau car le boulevard périphériq­ue doit passer dessous. Ce problème, Roger Taillibert le tourne à son avantage en faisant reposer les 77 000 m3 de béton – soit 192 500 tonnes – sur les poutres gigantesqu­es entourant le tunnel. Ce qui est moins évident, c’est d’offrir 50 000 places avec une visibilité totale, comme le réclame le Président, car cela implique que le toit doit tenir sans le moindre poteau et que les éclairages doivent être intégrés dans la constructi­on. Du jamais-vu, comme le découvre Roger Taillibert qui, sitôt missionné, saute dans un avion, visite les stades de Barcelone, de Stuttgart et de Bruxelles, puis rentre à Paris perplexe : “Aucun de ces bâtiments n’avait une structure intelligen­te.” On ne saurait lui donner tort, les meilleurs stades d’alors ne sont que des monstres de fer habillés de pierre, à mille lieues de l’organicité sublime de sa “corbeille de fleurs”, surnom du Parc des Princes, qu’il n’a pas choisi mais dont il s’accommode bien volontiers. Plus encore que son élégance, c’est l’énergie se dégageant du bâtiment qui impression­ne. Elle résulte de la précontrai­nte, cette technique inventée par Eugène Freyssinet, qui consiste à faire passer des câbles en acier de très grande force à l’intérieur du béton. Dans le cas du Parc des Princes dont les portiques en porte- à-faux s’avancent à cinquante mètres au- dessus du vide, la précontrai­nte est croisée : les câbles, insérés dans les blocs, tirent dans les deux sens, permettant au béton de travailler au double ou au triple de sa capacité, et d’éviter que les consoles ne soient trop massives.

Si l’architectu­re est un art héroïque, qui oblige à se mesurer à des forces colossales, c’est également un sacerdoce, comme le savent tous ceux qui ont répondu

à des commandes publiques. “Le ministre m’avait dit : ‘On ne pourra te financer qu’une seule tribune du Parc des Princes. Pour le reste, tu te débrouille­s’,

raconte Taillibert. En clair, soit je livrais une sorte de ruine inachevée, ce qui n’était pas envisageab­le, soit j’allais supplier le conseil municipal, puisqu’à l’époque il n’y avait pas encore de maire de Paris. On a donc convoqué une assemblée du conseil de Paris. Personne ne voulait payer, et il a fallu un long plaidoyer du représenta­nt communiste en faveur du sport pour que la ville mette la main à la poche.” Inauguré en 1972, le Parc des Princes ne fait pas l’unanimité. Certains critiquent l’acoustique ; d’autres, l’absence de parking. Qu’importe, Roger Taillibert est loin d’être au bout de ses épreuves de bâtisseur. Un an plus tôt, le ministre des Sports a appelé son agence pour lui dire que Jean Drapeau souhaitait visiter son Parc des Princes. Il accourt, un peu intimidé : la manière dont le maire de Montréal a pérennisé l’Expo de 1967 pour en faire Terre des Hommes, avec son monorail, sa biosphère et ses pavillons culturels

et éducatifs, l’a autant ému qu’impression­né. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il va lui confier le chantier de sa vie : le parc olympique qui accueiller­a les Jeux de 1976 et permettra à cette mégapole, à l’image encore provincial­e, de rayonner enfin. Le premier élément du complexe, à savoir le vélodrome, doit être livré en 1974, afin d’accueillir les championna­ts du monde de cyclisme. Taillibert confie avoir senti dès son arrivée qu’il n’était pas le bienvenu à Montréal : “On m’a fait subir un examen de calcul, et recopier du Maupassant

comme si je repassais le bac.” Rien n’obligeait le maire à lancer un appel d’offres ou un concours, mais qu’il ait fait venir un spécialist­e du béton au pays de l’acier restait en travers de la gorge de certains. De grèves en sabotages, le chantier prend un retard considérab­le et un ensemble provisoire de pistes et de gradins est construit sur le campus de l’université de Montréal. Les médias lancent alors une campagne de dénigremen­t : si Taillibert n’a pas été capable de livrer le vélodrome dans les délais, comment pourrait- il achever à temps ce stade ambitieux dont le mât de 160 mètres, à l’heure où nous écrivons ces lignes, demeure toujours la plus haute tour penchée du monde ? Le Premier ministre du Québec, Robert Bourassa, s’empare alors de l’affaire. Le Parti libéral dont il est issu voit d’un très mauvais oeil la montée en puissance du maire Jean Drapeau. Après la constructi­on du métro de Montréal, de la Place des Arts, et de l’Expo 67, la tenue des Jeux olympiques de 1976 en ferait l’homme politique le plus populaire du Québec. En nommant un mandataire- coordinate­ur, Bourassa ouvre la voie à toutes les dérives : attributio­ns de marchés complaisan­tes, explosion des coûts, nomination de cabinets de conseil suggérant des solutions alternativ­es délirantes, comme de déménager le vieux stade aux Alouettes de 25 000 places sur le site prévu pour le stade olympique et le transforme­r d’un coup de baguette magique en arène de 70 000 places. Roger Taillibert reprend le contrôle, propose la préfabrica­tion des pièces par des usines canadienne­s comme Schokbeton. Mais à peine a-t- il lancé le processus que le chef de la police annonce qu’une bombe a été placée dans l’usine et que la chaîne de fabricatio­n va exploser ! Puis il découvre que les gaines d’acier par lesquelles doivent passer les câbles de précontrai­nte ont été bouchées par des boulons et de la colle. De leur côté, syndicats et mafias s’en donnent à coeur joie : une centaine de grues sont inutilemen­t louées pour le stade alors que dix ont suffi à la constructi­on du Parc des Princes ; les camions-toupies passent et repassent trois fois dans la journée sans livrer le béton, ou alors dans des chantiers privés où certains se construise­nt des villas hollywoodi­ennes aux frais de la municipali­té ; les équipes de jour détruisent le travail des équipes de nuit et inversemen­t, tandis que les emplois fictifs achèvent de faire exploser le budget. Une fois de plus, le pragmatism­e de Taillibert paie. Ignorant les menaces de mort pesant sur lui et sa famille, il finit par obtenir la surveillan­ce des usines par la police et en moins de sept mois, érige le stade juste à temps pour les Jeux qui s’ouvrent le 17 juillet 1976.

Quarante ans plus tard, et bien qu’il ait construit

des dizaines de projets extraordin­aires comme le club des officiers d’Abu Dhabi et l’Aspire Zone à Doha qui comporte le plus grand dôme du monde, Roger Taillibert conseille toujours la Régie olympique de Montréal dans l’espoir qu’elle achève son stade. Si le mât a été terminé en 1987, le vélodrome a été démantelé après les Jeux et transformé en biodôme ! Quant au toit amovible du stade, en Tolvar, prévu originelle­ment et qui peut se déplier ou se replier comme une toile de parachute en vingt minutes, il n’a jamais été réalisé selon ses indication­s, chaque société engagée dévoyant le projet initial pour un résultat toujours plus catastroph­ique. Il reste que ce vaisseau arachnéen, même inachevé et mal éclairé – en comparaiso­n avec l’habillage lumineux de la tour Eiffel – est devenu le symbole de la ville de Montréal. L’aventure lui aura permis d’acheter une petite maison à SaintSauve­ur- des- Monts : une station des Laurentide­s où il aime séjourner plusieurs mois par an, entre le printemps et l’automne, et peindre de grandes toiles abstraites. “Les gens ont toujours eu peur. Maupassant était contre la tour Eiffel, mais, une fois construite, il passait tout son temps au restaurant du premier étage. À Montréal, les journalist­es écrivaient que le mât de mon stade allait s’effondrer, que les pieds s’écartaient alors que les câbles étaient accrochés au rocher, à 60 mètres de profondeur. Et regardez à Tokyo, Zaha Hadid avait proposé un stade révolution­naire et, là encore, ils ont eu peur et renoncé à son projet. Eiffel, lui, n’avait pas peur. Quant à Paris, après le ratage du Stade de France, entre manège de chevaux de bois et trame d’immeuble de logements, je n’ose imaginer ce qu’on fera pour les Jeux olympiques de 2024”, reprend Taillibert, ton las et regard lointain de Guépard viscontien. C’est un nostalgiqu­e mais de l’avenir, quand il était promesse d’élévation. Héritier du gothique, il a exprimé son siècle de façon inédite, abandonnan­t le modèle du bâtiment pour imiter le fuselage des astronefs. En poète du mouvement, comme le sont parfois les athlètes, et en connexion spirituell­e avec les planètes, comme Mozart dont il joue la musique au piano. Au philosophe Martin Heidegger, auteur de

Bâtir, habiter, penser, cet homme qui siégea à la fois à l’Académie des beaux- arts et à l’Académie des sports, aurait pu ajouter : “Exprimer, émouvoir, c’està- dire emmener ailleurs.”

 ??  ?? Le stade olympique de Montréal et son mât qui demeure la plus haute tour penchée du monde, culminant à 160 mètres.
Le stade olympique de Montréal et son mât qui demeure la plus haute tour penchée du monde, culminant à 160 mètres.

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