Octane (France)

RAUNO AALTONEN AU MONTE-CARLO

Prend une leçon avec le virtuose du rallye Rauno Aaltonen, avant de s’attaquer au Col de Turini.

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Le Col du Turini en Mini Cooper

Robert Coucher

… et aussi l’une des plus exaltantes. Malgré un nom à consonance italienne, cette route de légende se trouve dans les Alpes-maritimes, là où les conditions météo peuvent rendre cet itinéraire de 25 km, 1600 m de dénivelé et 34 épingles, particuliè­rement vicieux. Le cadre idéal pour un rallye, en somme.

À dire vrai, le Turini est tout simplement l’étape la plus connue d’un rallye à la renommée mondiale : le Monte-carlo. Initié en 1911 à la demande du Prince Albert 1er de Monaco, le rallye avait pour but de faire la démonstrat­ion des capacités de cette chose nouvelle qu’était l’automobile (tout en procurant un complément de revenus à la Principaut­é). Les participan­ts prenaient alors le départ un peu partout en Europe avant de converger vers Monte-carlo, à quelque 1 000 km de là. Dès sa première édition, le rallye fut sujet à controvers­es, puisque la victoire de Henri Rougier sur Turcat-méry 25 HP est établie en tenant compte de critères aussi subjectifs que “l’élégance” du véhicule, son “confort” ou encore son “bon état” à l’arrivée. Les temps ont bien changé.

Les Mini Cooper S font partie des voitures qui ont fait la légende du Monte-carlo. Ces lilliputie­nnes ont fait du rallye leur fief en terrassant des adversaire­s autrement plus costauds qu’elles en 1964 (Paddy Hopkirk/henry Liddon), 1965 (Timo Mäkinen/paul Easter) et 1967 (Rauno Aaltonen/henry Liddon).

Les Mini auraient gagné en 1966 également s’il n’y avait eu la disqualifi­cation de Mäkinen, Aaltonen et Hopkirk (pourtant premiers à franchir la ligne) en raison de l’utilisatio­n de projecteur­s fixe munis d’ampoules halogènes, jugés non-conformes à l’équipement du modèle de série. La victoire reviendra finalement à la Citroën DS 21 de Pauli Toivonen, ce qui n’empêchera pas les ventes de Mini de faire un bond cette année-là !

Sacrée épopée que celle des Mini au Montecarlo

Le Col de Turini est connu pour être l’une des routes les plus dangereuse­s au monde…

: d’un côté le glamour du Monaco des années 60, et de l’autre de terrifiant­s cols verglacés qui mettent la bravoure et l’endurance des meilleurs pilotes à l’épreuve. Aujourd’hui, ce n’est pas la course de vitesse contempora­ine qui va nous intéresser, mais le Rallye Monte-carlo Historique organisé par l’automobile Club de Monaco, qui prend la forme d’une éprouvante course de régularité et dont le départ se fait toujours aux quatre coins de l’europe.

Et c’est en toute logique à Monaco que nous retrouvons le pilote finlandais Rauno Aaltonen (79 printemps !) accompagné de son copilote d’alors, Hans Sylvan, prêts à repartir à l’assaut du Turini pour commémorer le 50e anniversai­re de leur victoire. Ce Finlandais volant (vainqueur en 1965 du Championna­t d’europe des rallyes, des éditions 1961 et 1965 du Championna­t de Finlande, du RAC de 1965, et six fois deuxième du difficile Rallye Safari) était à l’évidence un pilote qui avait fait ses preuves au sein de l’équipe d’usine BMC. Pourtant sa première participat­ion au Monte-carlo à bord d’une Mini a bien failli se finir en drame après qu’il est parti en tonneau à 3 km de l’arrivée. Fort heureuseme­nt, son copilote et lui-même s’en sortirent, si bien qu’il put reprendre du service et terminer troisième en 1963.

Après avoir été disqualifi­é de sa seconde place en 1966, Aaltonen était plus motivé que jamais pour l’édition 1967. Le rallye avançant, l’équipage qu’il formait avec Henry Liddon avait pris la tête des opérations pour BMC, mais le plus dur restait à venir. Aussi aborda-t-il le Col de Turini pied à la planche, à travers la nuit noire et la neige tombante. Ces apparition­s fugaces et bruyantes de voitures fendant l’obscurité et la foule à la seule lueur de leurs phares ont d’ailleurs valu aux soirées sur le Turini l’appellatio­n de “nuits des longs couteaux”. On comprend égale-

“Ce rallye comptait des milliers de kilomètres de route, et bien trop peu d’heures de sommeil, alors il fallait ménager le physique”

ment mieux pourquoi BMC avait un peu forcé sur l’éclairage en 1966.

Dans l’ascension, Aaltonen, qui roulait en tête, pousse son auto dans ses derniers retranchem­ents et commet une erreur qui va l’envoyer hors-piste. Pourtant, par un rebond miraculeux, la Mini retrouve la route quelques secondes plus tard. Le temps de reprendre son souffle, et l’équipage repart bille en tête vers une victoire mémorable, qui doit beaucoup aux allures vertigineu­ses que la Cooper S était capable d’atteindre dans le col. N’était-ce là que le triomphe du courage teinté d’une certaine inconscien­ce ? Aaltonen explique que sa démarche était beaucoup plus réfléchie : « Il fallait rester détendu pour conserver de l’énergie. Ce rallye comptait des milliers de kilomètres de route, et bien trop peu d’heures de sommeil, alors il fallait ménager le physique. BMC était une équipe d’usine bien rodée. En 67, la Mini était parfaiteme­nt au point, et l’assistance également. Nous avions mis au point une stratégie pour le Monte-carlo qui consistait à faire les reconnaiss­ances au moins deux fois pour apprendre la route, mais surtout pour prendre des notes. Nous avons essayé les notes en finlandais, suédois, français, et enfin en anglais qui s’est avéré la langue la plus précise. À 160 km/h sur des routes étroites, ce n’est pas le moment de papoter ».

La concision fut la clé du succès. « En 1966, nous avons rencontré un spécialist­e de la communicat­ion en aéronautiq­ue qui nous a aidés à trouver la manière la plus rapide d’échanger. Ajouter “épingle” à “gauche”, c’était déjà trop de syllabes. “Gauche court”, “droite rapide”, ça nous faisait gagner du temps. Imaginez, le Turini fait 25 km et les lignes droites ne font pas plus de 50 m ! Cela

veut dire que nous enchaînion­s 200 virages tous les 10 km, avec des épingles abordées à 60 km/h et des virages rapides à 120 km/h. Faire une erreur de navigation n’était pas envisageab­le. »

Aaltonen avait également ses exigences à propos de la mécanique. « Je demandais systématiq­uement à mon équipe de privilégie­r la puissance au détriment du couple. J’étais ainsi obligé de rester dans les tours pour trouver des chevaux, et je n’avais donc pas d’autre choix que de maintenir un rythme soutenu. C’est ainsi que j’ai mis au point le freinage pied gauche qui, combiné au talon-pointe, s’est avéré être la bonne solution pour des voitures à traction avant. Comme je n’ai que deux bras, je n’utilise pas le frein à main. Je suis bien plus rapide en jouant du pied gauche car j’arrive à m’inscrire en courbe plus tard, avec un meilleur équilibre, et je peux donc réaccélére­r plus vite. » Forcément, cela eut quelques conséquenc­es sur les freins… « Les plaquettes ont parfois fait fondre la colle de leurs garnitures, et les disques souffraien­t également en raison de leur petite taille imposée par les roues de 10 pouces. Mais nous avons réussi à faire en sorte que les freins marchent, et la petite taille des roues avait sa contrepart­ie. Nous pouvions en embarquer quatre de secours, ce qui était impossible pour nos concurrent­s. »

« La garde au sol était également un sujet, et nous avons choisi de ne pas trop l’abaisser. Pour le rallye, je préfère une suspension souple qui va me permettre de mieux sentir les limites de l’adhérence. »

« Bien entendu, nous roulions sur des pneus cloutés, développés spécialeme­nt par une entreprise finlandais­e. Il valait mieux avoir les roues droites avant de remettre les gaz si l’on voulait en tirer le meilleur. L’idée était de finir d’user les clous dans la descente du Turini pour ensuite aborder les routes plus sèches du sprint final. »

Cette année, c’est au volant d’une Cooper S d’usine de 1965 que notre équipage va prendre la route. Entièremen­t restaurée en Suède, et dotée d’un moteur Swiftune Engineerin­g et d’une dizaine de pneus cloutés faits main en Finlande, la voiture s’est élancée de Bad Homburg pour couvrir les 1 250 km de l’épreuve.

Aaltonen raconte : « Elle est super, et plus silencieus­e que dans mon souvenir, mais c’est peut-être l’effet de mon casque antibruit. Avec Hans on a beaucoup travaillé sur notre vitesse moyenne, puisqu’il s’agit d’une épreuve de régularité et non plus d’une course à tombeau ouvert, et nous nous sommes bien amusés sur la première manche. Mais vu que

“Finalement, le Turini c’est une spéciale comme une autre : des virages”

nous sommes à présent hors compétitio­n, la faute à des instrument­s capricieux, on se contente de profiter de la course ».

S’agissant du Col de Turini, Aaltonen est un des pilotes les plus expériment­és du plateau. « Le Turini se court de nuit, alors on ne voit que la route, et parfois les spectateur­s. Autrefois, on passait à fond, alors il fallait redoubler d’efforts pour être aussi précis et rapides que possible. On était très concentré : il fallait lire les notes, engager le bon rapport, chercher le point de freinage, rester attentif à la route, au verglas, aux dérobades, et enfin préserver la mécanique tout en prenant soin de maintenir la vitesse au fil des centaines de courbes. Finalement, le Turini c’est un rallye comme un autre : des virages. » Du moins c’est l’avis de notre énigmatiqu­e Finlandais, qu’il m’expose non sans un soupçon de malice. Cette conclusion ne m’ayant pas tout à fait éclairé, je mets en route les 231 ch de la Mini John Cooper Works d’assistance, et me lance dans la descente. Rien de tel pour en avoir le coeur net. La route est à peine plus large que la voiture, couverte de neige et de glace, et les “gauche serré” succèdent aux “droite serré” à un rythme effréné. Rauno m’a prévenu : « Fais attention aux chutes de pierres ». Heureuseme­nt, la JCW a le gabarit idéal, et fait le boulot bien mieux que ses rivales dans ces conditions. Les verrouilla­ges de la boîte sont francs, l’efficacité du freinage inspire confiance, et la suspension s’avère d’une souplesse inattendue. La vigilance prévaut sur ces routes glacées, mais il est évident que l’adhérence offerte par la monte en 205 R17 est sans comparaiso­n avec celle en 10 pouces des Mini d’antan. Soyons honnêtes, la voiture que je conduis est bien trop moderne pour être comparée à ses devancière­s, dont elle ne fait que reprendre le nom. À présent que je descends en altitude et que la route devant moi s’assèche, je me vois remettre les gaz… Sans toutefois y parvenir. Les virages piégeux se suivent et ne se ressemblen­t pas. Si l’un est rapide, n’en tirez pas de conclusion sur le prochain car il pourrait très bien se refermer, vous obligeant à sauter sur les freins et perdre par conséquent tout espoir de vous en extraire rapidement. L’instant d’après, voilà une belle courbe dégagée qui se présente. De quoi prendre un peu de vitesse si seulement vous aviez engagé le bon rapport en sortant de la dernière épingle. Et il en ira ainsi jusqu’au bout tant il est impossible d’appréhende­r le rythme du Turini.

La solution ? Faire comme Rauno Aaltonen, s’armer de talent et d’un copilote à la diction calibrée. Après tout, le Turini (avec un peu de courage et pas mal de préparatio­n), ce ne sont que des virages.

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