Octane (France)

LOTUS ELAN “GOLDBUG”

Elle est basée sur une Lotus, elle est donc légère. Mais sa coque est en aluminium, pas en or. Octane conduit l’unique et illustre Elan Goldbug.

- Texte James Elliott Photos Paul Harmer

Sur la piste avec un coupé unique en aluminium.

Être aujourd’hui universell­ement considéré comme “le team B de Lotus” pourrait être considéré comme un peu péjoratif, mais au milieu des années 60, c’était plutôt le contraire: un grand compliment et une marque d’honneur.

Colin Chapman balayait tout sur son passage. Son Team Lotus était jeune et énergique, ayant fait sans effort le bond entre les fragiles monoplaces des formules inférieure­s et les bolides victorieux de Grands Prix (tout aussi fragiles).

Le rythme de son progrès était sans précédent: du lancement de Lotus Engineerin­g en 1952 à la fameuse victoire de Stirling Moss à Monaco, sur la Lotus 18 de Rob Walker, moins d’une décennie s’était écoulée. C’est d’autant plus remarquabl­e que le Team Lotus, qui s’est dissocié de Lotus Engineerin­g en 1954, n’avait pas assemblé la moindre monoplace jusqu’à 1958, année où il lança son assaut en F2 avec la Lotus 12, et était prêt à tenter sa chance à l’échelon le plus élevé du sport automobile dès la fin de cette même année. La carrière de l’équipe au plus haut niveau dura plus de 30 ans et fut récompensé­e par 7 titres de Champion constructe­ur et 6 de pilotes, avec quelques-unes des voitures de Grands Prix les plus innovantes jamais assemblées.

Cette ascension fulgurante est d’autant plus révélatric­e qu’elle s’est accompagné­e de celle des voitures de route Lotus que Chapman voyait, tel Enzo Ferrari, comme un mal nécessaire pour financer la dispendieu­se Formule 1. Si la Seven pouvait s’aventurer sur route, aucune Lotus n’a été dessinée spécifique­ment pour cet usage jusqu’à la Type 14, plus connue sous le nom d’elite.

Quelle voiture pour se lancer en tant que constructe­ur! Première monocoque en fibre de verre au monde, la sublime voiture dessinée par Peter Kirwan-taylor et propulsée par un Coventry Climax était révolution­naire, mais s’est montrée malheureus­ement aussi délicate qu’elle en avait l’air. Malgré de nombreuses victoires de classe et une l’efficacité énergétiqu­e au Mans, et bien qu’elle ait dominé les courses de sport et de GT aux mains de pilotes tels que David Hobbs et Graham Warner, l’elite fut remplacée par une petite sportive qui semblait marquer un recul technologi­que. La carrosseri­e de l’elan Type 26 était toujours en fibre de verre, mais elle reposait sur un châssis poutre allégé en acier plié et pressé, pesant à peine plus lourd qu’un moineau. D’après le regretté Ron Hickman – le pilier de Lotus, crédité pour avoir conçu l’elan – le châssis a été développé autour des arbres moteur à flector Rotoflex. Les quatre beignets en caoutchouc faisaient partie intégrante des arbres,

dépourvus de joints de cardan – une solution qui rendait Chapman profondéme­nt sceptique. La puissance était fournie par un moteur 1 558 cm3 dérivé de celui de la Ford Anglia (les tout premiers cubaient à 1 498 cm3) sur lequel se greffait une disgracieu­se mais très efficace culasse Twin Cam, et était transmise par une boîte à 4 rapports Ford Classic. Après son lancement en 1962 et de nombreuses incarnatio­ns, disponible­s sous la forme de kits ou assemblées à l’usine, l’elan est restée en production jusqu’aux années 70 et s’est vendue à 10 000 exemplaire­s, soit dix fois plus que l’elite.

Son succès avait du bon et du mauvais. Les ressources de Chapman étaient déjà très limitées lorsque la petite voiture de sport s’est avérée être une révélation, efficace sur la route grâce à ses suspension­s souples, et impression­nante sur circuit même sans modificati­ons. La combinaiso­n du svelte châssis poutre avec la fine carrosseri­e en fibre de verre offrait peu de protection latérale, mais l’elan était un missile agile qui flattait son conducteur et qui pouvait humilier des voitures à plus gros moteur et plus grand pedigree. Dès son lancement, l’elan fut envisagée pour la compétitio­n et la demande fut importante pour une version course qui apparaîtra en 1964 : la 26R.

L’accent fut mis sur la correction des problèmes de la suspension souple, des demi-arbres de transmissi­on (Chapman avait raison) et de la fragilité autour des points d’attache des suspension­s. Des triangles de compétitio­n, un châssis un peu renforcé, des barres antiroulis plus épaisses, des demi-arbres cannelés et une carrosseri­e (soi-disant) plus légère transformè­rent une splendide voiture de sport en une parfaite voiture de course. La puissance passait à 140/160 ch. C’est là que Ian Walker, le protagonis­te principal de notre histoire apparaît enfin. Walker était un ancien de la RAF – il a servi comme mitrailleu­r arrière sur Lancester durant la Seconde Guerre mondiale – et un féroce compétiteu­r des courses britanniqu­es d’après-guerre. C’était un infatigabl­e ingénieur, inventeur et entreprene­ur. L’une des sociétés de Walker assemblait les modèles d’avions indispensa­bles à toute agence de voyages ou des maquettes de Lotus Eleven. Et c’est lui qui suggéra à Chapman qu’un contrat de sponsoring avec un cigarettie­r serait une bonne idée, concluant un accord (finalement mort-né) avec John Player Special, bien avant que Lotus ne s’associe à Gold Leaf.

Il a aussi lancé une entreprise d’avions-taxis légers, a fabriqué des maquettes pour Stanley Kubrick et Doctor Who, et a construit un prototype de circuit miniature bien avant que Scalextric ne se lance, mais son premier amour était la course automobile. Il a débuté en rallye et est devenu un spécialist­e de la préparatio­n des Ford pour la compétitio­n. Il était une figure clé dans les cercles automobile­s et il comptait Graham

Hill (avec qui il a partagé une Ford Falcon au Monte-carlo – ça a mal fini) et Colin Chapman parmi ses amis. Il était, bien sûr, un client Lotus et courait dans les années 50 aussi bien en Elite qu’en Eleven. Walker était respecté comme pilote, mais c’est lorsqu’il a raccroché ses gants et s’est tourné vers la gestion d’équipe qu’il a commencé à briller. Avec Lotus et Ford comme alliés et sponsors, et une liste de pilotes Lotus souvent à sa dispositio­n, il a fait du Ian Walker Racing (IWR) une grande équipe de compétitio­n à l’échelle européenne. Il a été le pionnier de l’utilisatio­n de camions transporte­urs réalisés sur mesure et, tout en remplissan­t les poches de pilotes tels que Jim Clark, Graham Hill et Frank Gardner, il a fait émerger une nouvelle génération de pilotes comme Tony Hegbourne, Doug Revson et Mike Spence.

Un brillant futur en F1 leur était promis, mais le taux d’usure de ses protégés a eu des conséquenc­es néfastes et la mort de Tony Hegbourne (il périt à Spa lorsque son Alfa Romeo TZ1 se retourna durant les 500 km de 1965) poussa Walker à se concentrer sur la sécurité, bien qu’il n’ait jamais perdu son amour de la compétitio­n et se montra ravi de passer le flambeau à son filssean – un grand nom des courses historique­s.

À son apogée, à l’époque où l’appellatio­n de Team B Lotus était la plus appropriée, le Ian Walker Racing était surtout connu pour une Lotus Elan 26R bien spéciale, surnommée Goldbug [Scarabée d’or]. Il y avait en fait trois Goldbug, toutes engagées avec la bénédictio­n de Chapman (deux étaient des 26R standard), mais le sobriquet a collé à la peau de l’une d’elles en particulie­r. Un peu ironique, sachant que c’est celle qui a eu la carrière la plus courte et qui est un peu passée à côté de son potentiel. Mais c’est cette voiture qui est la plus célèbre et c’est celle que nous essayons aujourd’hui – il serait plus approprié de l’appeler Elan Coupé Ian Walker Racing.

Ce qui rend cette voiture si spéciale, ce n’est pas seulement sa forme taillée pour fendre l’air, mais le fait que sa carrosseri­e unique soit en aluminium formé à la main par Williams & Pritchard (les feux arrière rappellent que Walker disposait de pièces Ford gratuites). Elle a été assemblée par John Pledger, le mécanicien en chef D’IWR, dans un seul but : remporter le prix de l’efficacité énergétiqu­e au Mans en 1964. Cela semblait tout à fait à sa portée après qu’un jeune novice, nommé Jackie Stewart, la plaça en pole lors de sa course inaugurale à Montlhéry.

Mais le coupé n’a jamais rejoint Le Mans. Il a été sévèrement accidenté par Mike Spence lors des essais des 1 000 km du Nürburgrin­g. Est-ce que cela l’a pour autant privé de gloire aux 24 H ? Probableme­nt non. Pour Le Mans, la voiture devait être équipée d’une transmissi­on spéciale et les roues dentées et pignons finalement inutilisés ont donc été vendus. Après avoir été installés sur une nouvelle voiture, ils se sont désintégré­s en seulement deux tours…

Après avoir sauté Le Mans, la Goldbug fut réparée et passa entre des mains privées, d’abord avec le champion britanniqu­e de courses de côte David Good, avant de s’embarquer pour une longue et prospère carrière aux mains des gourous de la marque Paul et June Matty, à partir de 1982. C’est le pilote historique Martin Stretton qui l’a récupérée chez les Matty et l’a restaurée pour le circuit. « J’en ai entendu parler pour la première fois il y a 30 ans, via Paul Matty, qui était devenu un très bon ami. Bien des années plus tard, j’ai eu une 26R ordinaire et, il y a environ 10 ans, Paul, sachant que j’ai toujours été fasciné par son histoire et que j’ai toujours eu envie de la repasser à ses spécificit­és d’origine pour courir avec, m’a demandé si je voulais la lui racheter. »

LE COUPÉ N’A JAMAIS REJOINT LE MANS. IL A ÉTÉ SÉVÈREMENT ACCIDENTÉ LORS DES ESSAIS DES 1 000 KM DU NÜRBURGRIN­G

La restaurati­on incluait le remplaceme­nt du pare-brise fissuré, que l’on pourrait décrire comme une version réduite – et non pas découpée – de celui de l’elan, mais a aussi mis en lumière la qualité de sa fabricatio­n. « Dans les années 60, la soudure de l’aluminium était encore de la sorcelleri­e, explique Stretton, mais le travail de Williams & Pritchard est incroyable. Les soudures ont juste l’air de taches sur le métal, on ne les sent même pas en passant le doigt dessus. »

Bien sûr, tout cela est invisible lorsque le soleil se reflète sur le Coupé IWR, dans la pit-lane de Goodwood. En se promenant sur le circuit, si l’on fait abstractio­n du dépouillem­ent de l’habitacle et de tout ce métal à nu, on pourrait être dans une Elan standard, tant elle est docile. En haussant le rythme on commence à sentir la férocité de la 26R, une petite machine pétillante, aussi simple que belle. En se plaçant dans la courbe de Madgewick, on réalise soudaineme­nt que le niveau sonore est élevé, mais le confort reste entier. Freiner, viser un mètre à gauche du premier point de corde, mettre la puissance et garder la trajectoir­e pour atteindre le second apex, en gardant en tête la réputation de la 26R d’être très facile à conduire… Jusqu’au moment où elle ne l’est plus. Rien d’inhabituel. Je traverse Fordwater puis file vers mon Némésis personnel, le virage sans nom qui précède St Mary. De nouveau, rien à signaler: dans un mouvement de volant, le Coupé zigzague avec une telle facilité que j’arrive à St Mary bien plus tôt que prévu. Pas besoin de se mettre sur la pointe des pieds dans Lavant, avant de se jeter dans la longue ligne droite qui se termine par un gros freinage pour Woodcote et passer devant les stands pour recommence­r un tour.

Il n’est pas pertinent de comparer le Coupé IWR aux Elan de série que j’ai possédées et conduites, mais plutôt aux autres 26R dans lesquelles je me suis glissé. Pour être honnête, c’est plus ou moins la même voiture – excepté un point crucial…

À 580 kg, le Coupé IWR pèse peut-être un peu plus lourd, mais il ne semble pas que cela ait émoussé ses performanc­es. Au contraire, alors qu’une 26R à la limite demande parfois de faire acte de foi, avec tellement de bruit de caisse et de flexion à ses extrémités qu’on a l’impression de piloter un ballon, le Coupé, avec sa coque en métal et sa tôlerie supplément­aire la connectant au châssis, n’offre pas les sensations sur le fil du rasoir d’une voiture à châssis poutre. Elle se conduit comme une auto à châssis cage ou une monocoque.

Martin Stretton s’est confronté aux voitures de Formule 1 historique­s les plus délicates sur les circuits du monde entier pendant 40 ans, mais cela ne veut pas dire qu’il apprécie moins la Goldbug. « Je dis à tout le monde que c’est ma voiture pour la retraite, confie-t-il. Les gens pensent que cela signifie que je vais la vendre pour financer ma retraite, mais je veux dire que lorsque toutes les autres voitures seront parties et que je serai trop faible pour les machines vraiment sérieuses, ce sera la voiture que je conduirai et qui me donnera le sourire. C’est ma voiture pour le jour où je serai gâteux. »

Quelle belle fin pour l’histoire du Coupé IWR… Sauf qu’elle ne s’arrête pas là. Depuis la mort de Ian Walker en 2008, son fils Kevin cherchait une façon d’honorer la mémoire de son père. Il y a d’abord eu un livre qui lui a été consacré, Ian Walker Racing – The Man and His Cars par Julian Balme, et désormais Kevin propose des recréation­s de l’elan IWR Coupé.

Ce ne seront pas les premières – son frère Sean courait déjà sur une fidèle réplique – mais ces voitures seront entièremen­t neuves, avec un arceau homologué FIA, et Walker prévoit d’aller plus loin si un minimum de trois exemplaire­s est commandé, chacune demandant un an pour être assemblée. Mike Loughlin, le roi de la préparatio­n des 26R, fait partie de l’aventure, mais suite à la faillite de Williams & Pritchard, la plus grande difficulté était la carrosseri­e. « J’ai eu un tas de propositio­ns, allant jusqu’à 90 000 euros par coque, mais j’ai maintenant mon homme dans les Midlands et nous sommes prêts à commencer. L’idée est venue après le livre, quelques petites marques étaient en train de ressuscite­r et ça me semblait la meilleure façon de garder vivante la mémoire de mon père. »

Il évoque un prix d’environ 230 000 euros, à peu près la valeur actuelle d’une 26R “normale”, mais additionne­z les chiffres – avec 30-35 000 euros pour un moteur 160 ch de pointe – et vous verrez que Walker ne marge pas beaucoup dessus. « Ce n’est pas pour l’argent, c’est pour Papa. Il n’était pas un mécanicien. Si vous lui donniez un tournevis et un marteau, il était juste capable de se blesser les mains, mais c’était un ingénieur visionnair­e et il était talentueux pour régler une voiture. Si je voulais faire des bénéfices, j’achèterais des Elan de base, je les préparerai­s aux spécificit­és 26R et les peindrais en doré avec une bande verte, mais ça serait trop banal. »

En résumé, c’est en cela que la Goldbug, pardon, l’elan IWR Coupé, est si spéciale.

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Williams & Pritchard ont réalisé la carrosseri­e.
De haut en bas Tel que Mike Spence l’a laissée durant les essais dunürburgr­ing 1964 et pourquoi la Goldburg n’a jamais eu la chance de remplir sa mission au Mans. En constructi­on chez IWR. Les artistes de Williams & Pritchard ont réalisé la carrosseri­e.
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