GUIDE Cd
Grâce aux efforts de Jérôme Deschamps et Olivier Mantei, Favart a retrouvé son lustre ; et des institutions comme le Palazzetto Bru Zane-centre de musique romantique française jouent un rôle fondamental dans la renaissance d’ouvrages oubliés. Ce même Palazzetto avait soutenu le spectacle ; dans sa remarquable collection de livres-disques, prend place aujourd’hui cette intégrale du Pré aux Clercs, qui efface les souvenirs pas toujours heureux d’une sélection parue d’abord chez Vega, puis brièvement en CD chez Philips, et d’une bande radiophonique éditée dans la collection Gaîté Lyrique/ Musidisc. L’enregistrement a été réalisé à Lisbonne, quelques jours après la fin des représentations parisiennes, avant et pendant un concert donné le 8 avril 2015. La distribution principale est identique, à l’exception du rôle de Nicette, pour lequel Jeanne Crousaud, voix juvénile et comédienne délurée, succède à Jaël Azzaretti. Marie Lenormand campe une Marguerite au registre grave percutant et au caractère bien trempé. Marie- Ève Munger possède le charme qui sied à Isabelle, et son chant est plus assuré qu’à Paris. Toutes deux semblent mieux maîtriser la partition et ses pièges qu’à Favart. On écoute avec le même plaisir le trio comique masculin, formé par Christian Helmer, Emiliano Gonzalez Toro et Éric Huchet, très bons chanteurs et acteurs de composition qui savent être drôles avec classe. Michael Spyres est Mergy, le héros, huguenot venu à la cour porter un message de son roi Henri de Navarre. Dans une écriture vocale qui se souvient de Rossini, le ténor américain fait preuve d’une aisance exemplaire, bravant les aigus avec vaillance, mettant en valeur le galbe des mélodies, variant les couleurs d’un timbre clair et brillant. Le Choeur Gulbenkian succède à Accentus sans démériter, même si son élocution française laisse à désirer. Au pupitre de l’orchestre Gulbenkian, Paul Mccreesh enlève avec brio ces trois actes qui sont, à eux seuls, le modèle de ce qu’était un « opéra-comique » de la grande époque. Bénéficiant d’un livret malin signé Eugène de Planard, d’après la Chronique du règne de Charles IX de Prosper Mérimée, respectant les coutumes du lieu – de la décence, et pas d’outrances dramatiques –, Le Pré aux Clercs, très strictement structuré musicalement, est un ouvrage qui flatte l’oreille avec élégance. Souhaitons que son retour à la scène et au disque ne soit pas qu’un feu de paille.
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Pour sa visée première, qui est maintenant de donner Wotan en scène ( voir O. M. n° 120 pp. 12-17 de septembre 2016), Matthias Goerne est donc passé par le relais de ce Ring d’apparence un peu exotique, mais qui l’est en fait fort peu. En effet, si le Hong Kong Philharmonic n’a une véritable activité professionnelle que depuis les années 1970, Jaap van Zweden, qui le dirige depuis 2012, mène une carrière internationale, wagnérienne en particulier. Pour ces concerts enregistrés en direct à Hong Kong, en janvier 2015 ( puis janvier 2016 ( la lecture du chef néerlandais est cursive. Dans cette prestation dans l’ensemble honorable, mais où l’orchestre s’efface souvent devant les chanteurs, placés près des micros, dans une ambiance un peu froide et trop réverbérée, on ne cherchera pas un approfondissement ou un renouvellement du sujet. Le plateau est majoritairement d’expérience, offrant un environnement sécurisant, dans la bonne caractérisation des personnages, au moins. Car, dans Das Rheingold, l’alberich bien connu et de beau relief de Peter Sidhom fatigue progressivement, jusqu’au parlando et au crié. Michelle Deyoung afflige d’emblée d’un large vibrato sa Fricka, matrone vieillissante. Le Loge vaillant de Kim Begley est trop proche du Mime assez aigre de David Cangelosi. Les Géants, bien connus eux aussi, ont perdu de leur qualité de timbre. Erda est beaucoup trop légère, Freia pointue... Reste le Wotan de Matthias Goerne : très sombre, très large, d’une stature résolument monumentale. Très différent, donc, de ceux de René Pape ou Bryn Terfel, plus clairs et plus fouillés – pour ne citer que deux titulaires actuels de premier plan. Si l’articulation et la clarté de diction sont parfaites, la qualité d’un maître du lied n’apparaît pas à l’évidence – « Abendlich strahlt der Sonne Auge » est pourtant d’un superbe phrasé. Et l’intensité d’engagement dans plusieurs des répliques qui précèdent justifie, partiellement, qu’on n’ait pas procédé, en anthologie, à son seul enregistrement. Die Walküre offre des atouts plus solides. Si Falk Struckmann donne seulement le Hunding d’un vétéran méritant, le Siegmund lumineux et éclatant de jeunesse de Stuart Skelton vient aujourd’hui au premier rang. À découvrir, encore, la belle et fraîche Sieglinde de Heidi Melton, même si, par moments, l’aigu ne rassure pas totalement pour l’avenir. La Fricka de Michelle Deyoung, en revanche, est encore plus rédhibitoire que dans le Prologue, Petra Lang assumant une Brünnhilde excellemment caractérisée, mais qui fera souffrir par trop de sons pris en dessous et souvent à la limite de la justesse. Quant à Matthias Goerne, il est encore plus sombre, caverneux même, que dans Das Rheingold, avec le léger déficit de timbre noté récemment par Thierry Guyenne, à propos de son CD Mahler/berio ( voir O. M. n° 121 p. 77 d’octobre 2016). Superbe maîtrise du rôle, mais aussi étonnante mutation de voix qui livre un Wotan passant d’une belle véhémence, peut-être un peu trop monolithique dans sa hargne farouche et vindicative, à une accablante dépression. Pour autant, « Der Augen leuchtendes Paar » tient ses promesses en matière de nuances caressantes. Avec son bon orchestre et de très honorables Walkyries, Jaap van Zweden, convenable dans les morceaux de bravoure, reste en dessous de sa tâche dans les difficiles duos du II, et manque tout autant de tension dramatique dans les moments forts de ses héros. Au total, on ne pourra procéder qu’à une écoute sélective, en s’attachant aux jumeaux et à ce Wotan plutôt inattendu qui fait, en effet, souhaiter de le voir maintenant à la scène.
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Dans sa critique de cette nouvelle production zurichoise, proposée en juin 2015, Éric Pousaz s’était montré d’une extrême sévérité pour la mise en scène de Christof Loy ( voir O. M. n° 109 p. 71 de septembre). Je ne partage pas tout à fait son analyse. À quoi bon, certes, replacer l’histoire dans un cadre évoquant indéniablement l’italie fasciste, et pourquoi diable aller chercher quelque rapport incestueux entre Capellio et sa fille, qui expliquerait qu’elle soit ici bloquée dans ses élans amoureux ? Les explications données dans le livret d’accompagnement, de surcroît, ne sont pas toujours convaincantes. D’un autre côté, même si elle repose sur une « relecture » discutable, comment ne pas être sensible à l’habileté de cette mise en scène n’ayant rien de banal ? Un plateau tournant permet de passer d’une pièce à l’autre,