Pedale!

En attendant la grande explicatio­n

- SYLVAIN GOUVERNEUR

Quand j’avais 17 ans et que je n’assumais pas encore mon amour pour le Tour (ni pour Stéphanie P.), je disais à Stéphanie P. (qui ne comprenait pas qu’on puisse passer six heures devant des crétins sur des vélos) que je regardais pour les paysages alors que je regardais pour voir si un jour un type allait enfin attaquer Indurain. Ce jour n’est jamais arrivé.

Sur les étapes de montagne, je pars toujours avec beaucoup d’espoir. Il va se passer plein de trucs, tout le monde va attaquer. Rapide plaisir bouffe sur les coups de 1516h, un petit cône glacé pointe en général le bout de son nez, et puis un deuxième parce que c’est petit, ces saloperies. Mais au troisième col, alors qu’un obscur Letton a 12 minutes d’avance sur un groupe maillot jaune qui se renifle le cul, je comprends que la grande explicatio­n entre leaders n’est pas pour aujourd’hui et je reprends une glace. En général, la grande explicatio­n n’est pas non plus pour le lendemain. En 30 ans de Tour, la grande explicatio­n, je ne l’ai pas vue souvent. J’ai plus souvent vu des cônes glacés.

Un jour, le Tour est passé à côté de chez mes parents, on est allés s’installer sur une montée où il y avait déjà beaucoup de monde, à côté d’un type en camping-car qui a regardé sur sa télé hertzienne le Tour qui passait pourtant juste devant lui et qui à un moment a dit: “Ah c’est nous, là!” Effectivem­ent, c’était lui, là.

Je suis devenu fan de Greg LeMond parce qu’un type que je ne supportais pas était à fond derrière Fignon. On a regardé la fin du tour 89 ensemble, le dernier contrela-montre où Fignon perd le tour pour huit secondes. J’ai passé le reste de l’été à compter jusqu’à 8 dès que le fameux Nicolas L. arrivait.

Plus tard, quand j’étais en CDI dans une multinatio­nale, j’avais acheté une clé USB qui permettait de capter la télé hertzienne et je regardais discrèteme­nt les étapes sur mon ordi au bureau. Le problème, c’est que si je voulais attendre la fin de l’étape pour partir du boulot (je n’étais pas submergé par le travail en été), je me tapais les bouchons. Du coup j’écoutais souvent la fin à la radio dans la voiture pour éviter de rentrer à la maison à 19h30 alors que je m’étais tapé quatre heures de purge à regarder des types laisser une échappée filer.

Et aussi, quand j’avais 14-15 ans, on jouait l’étape aux dés en même temps qu’on regardait. On avait inventé une sorte de jeu de l’oie qui reprenait chaque étape avec des difficulté­s et on avait fait tout un Tour parallèle avec un grand gagnant à la fin. Plus aucune idée de ce qu’on avait mis comme enjeu. Mais ça ne m’a pas aidé à devenir sexuelleme­nt actif, cet été là.

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