Playboy (France)

CLASSIQUE PLAYBOY — OLIVIER ROCABOIS

Début des 70’s : les Stones sortent Sticky Fingers, premier album réalisé pour leur propre maison de disques. Quarante-six ans plus tard, il n’a pas pris une ride, contrairem­ent à ses géniteurs en approche de Paris pour leur tournée du mois d’octobre.

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rendu célèbre grâce à sa pochette zippée signée Andy warhol, le disque est un succès instantané, porté par le sulfureux single Brown Sugar. La légende prétend que l’heureux propriétai­re de ces pantalons en denim serait Joe Dallesandr­o (le visuel, drôle et provocateu­r pour nos démocratie­s décadentes, ne sera pas du goût de tous :cf pochette espagnole cicontre : Sticky Fingers version franquiste) L’album fut enregistré en grande partie au cours de l’année 1970 dans leur studio mobile de Stargroves (Hampshire, uK), demeure de Mick Jagger. Certains titres comme Sister Morphine furent gravés dans les mythiques studios Muscle Shoals (Alabama, uSA) pendant les fécondes sessions Let It Bleed en 1969. Le disque s’inscrit dans la tétralogie (entamée en 1968 avec Beggars Banquet et close avec Exile on Main Street en 1972) qui fera d’eux “le plus grand groupe de rock’n’roll du monde”. Le producteur américain Jimmy Miller les suit tout au long de cette folle séquence (tea & sympathy) Les Beatles ont officielle­ment splitté l’an passé, les glimmer Twins ont la voie libre. Même si les who et Led Zeppelin sont de solides concurrent­s. Sans parler de Bolan puis de Bowie qui envoûtent le royaume. ça swingue encore pas mal à Londo ! Dès 1970, les Stones sont enfin libérés des griffes d’Allen Klein et montent leur propre label : Rolling Stones Records. Leurs précédents albums avaient paru jusqu’alors chez Decca en Grande-Bretagne et London Records aux uS. L’homme qui a failli man(a) ger les Fab Four leur laisse enfin quelque répit. L’enfer ABKCo (la compagnie de Klein) continuera quelques années à toucher le pactole à coups de compils plus ou moins réussies mais très éclairante­s pour les fils de baby-boomers... Sans Klein, Mick & Keith sont enfin mûrs pour leur Sacre du Printemps, secondés par le métronomiq­ue Charlie watts, le sosie d’un Gérard Darmon centenaire (Bill wyman) et le nouveau venu Mick Taylor, qui remplaça le fondateur défunt Brian Jones. C’est pourtant ce natif de 1942 qui créa le groupe en 1962 à base de petites annonces et d’heureuses rencontres (merci Alexis Korner, parrain de la scène blues londonienn­e). Multi-instrument­iste surdoué, il donna un temps l’illusion d’être le leader. Mais gavé de brandy, de joints et de pilules, il perd vite les rênes du groupe. Et sous l’impulsion d’Andrew Loog oldham (qui travailla brièvement auprès de Brian Epstein, manager des Rois), il fut rapidement englouti par le talent et les egos exponentie­ls de Jagger et Richards (tiens, encore un S à l’époque). Surtout quand ces derniers se mirent à écrire/ composer leurs propres titres. Le faiblard I Wanna Be Your Man (version Liverpool interprété­e par Ringo) leur fut littéralem­ent offert par un couple Lennon-McCartney alors en pleine floraison :le titre fut classé dans les charts uK, ce qui fera dire à John :“dès que l’on éternue, les Stones attrapent la crève”. Jones est finalement viré du groupe en Juin 1969, il meurt dans sa piscine deux semaines plus tard.

Le jeune Michael Philip Jagger, fraîchemen­t auto-expulsé de la London School of Economics, a toujours été fasciné par les Beatles :la première fois qu’il les vit en concert, il fut sidéré par l’hydre à quatre têtes : “They looked like a four-headed monster on stage and backstage, wearing the same leather coats, laughing at the same jokes at the same time”. Mick et Paul devinrent ensuite les décideurs de leur groupe respectif quand ils semblèrent un temps jouer dans la même cour de l’aristocrat­ie pop/rock anglaise (mondiale). 1967, Mick & Keith sont présents pour la soirée-orchestre A Day In The Life en Février puis remettent le couvert en Juin pour All You Need Is Love en Mondovisio­n. Les anciens moustachus de St John’s wood leur paieront en retour une visite de courtoisie en Juillet sur l’incroyable et sous-estimé We Love You en y ajoutant des choeurs faciles à reconnaîtr­e au casque. Jagger accompagne­ra les Fab Four à Bangor (Pays de Galles) fin Août voir le grand Maharishi. Cette même année 1967 est très chaotique pour le groupe :de multiples arrestatio­ns/ incarcérat­ions pour détention de stupéfiant­s ralentisse­nt le rythme haletant album/tournée/album. Townshend et les who enregistre­ront pour l’anecdote une version d’Under My Thumb afin de lever des fonds pour les cautions libérant les trois Stones brièvement mis aux fers (Jones, Jagger, Richards). “Between The Buttons” puis “Their Satanic Majesties Request”, les deux albums publiés au cours de cette année psychédéli­que en diable, n’ont pas emballé le public malgré quelques hits (Ruby Tuesday, Let’s Spend The Night Together sur BTB) ou moments de grâce (She’s A Rainbow sur TSMR). ils se sont éloignés de leur camp de base :le blues. 1968 les voit revenir à leurs fondamenta­ux. Le succès de Jumping Jack Flash (video signée Michael Lindsay-Hogg, autre collaborat­eur régulier des sorciers d’Abbey Road) remet les Stones sur les rails et ouvre la voie à l’impression­nante série de quatre albums qui va suivre.

Nous voici donc en 1971 : examinons de plus près les 10 titres qui forment Sticky Fingers, cocktail enivrant de rock, rythm’n’blues, country & western, folk, gospel, soul, etc... Keith Richards prend clairement les commandes, Mick Jagger écrit ses paroles les plus dingues du répertoire stonien, la section rythmique watts-wyman imprime la (dé) cadence, Mick Taylor devient un membre essentiel du quintet. A noter que la relation Richards-watts est depuis le début l’un des moteurs de cette rutilante machine, l’interactio­n entre le guitariste et le batteur propulsant notamment les titres de Sticky dans une dimension inédite/inouïe. De nombreux et talentueux guests viennent compléter l’affiche, on en parle plus bas. ironie de l’histoire :c’est un groupe anglais qui, en revisitant (presque) tous les styles de musique populaire américaine, allait créer un mélange unique :une sorte de blues de synthèse, monstrueux, mutant et magnétique.

Brown Sugar :manifeste oro-génital, tube planétaire. Mick hurle son amour pour les femmes noires sous couvert d’hymne aux opiacés, lui-même déguisé en passion pour le sucre de canne : le grand public est prêt. une

vieille chanson des Stones (Jagger 1969 : 18 mois = une éternité pour l’époque). Déclaratio­n d’amour à Marsha Hunt, la mère de son premier enfant? Comme souvent chez les Stones, la lecture est riche comme la queue du paon. Cuivres conquérant­s et riff en open tuning dupliqué pour Start Me Up sorti 10 ans après.

Sway : l’un des plus beaux titres de l’album avec son final en spirale. Mick Taylor s’illustre avec brio, il prend confiance. L’autre Mick dit “le Lippu” (l’historique logo labial a été crée à cette époque, Rolling Stones Records obligent) assure la guitare rythmique :une première. Chose rare :Keith absent. Mais selon plusieurs sources, les choeurs sont prodigués par la crème du rock anglais : Pete Townshend, Ronnie Lane et Billy Nichols.

wild Horses :ballade déchirante portant la patte de Keith Richards et de Gram Parsons (ex-Byrd, mort d’une overdose en 1973 et dont le cadavre, dérobé à l’aéroport de LA, fut brûlé dans le désert californie­n par son ami Phil Kaufman, autre figure étrange et inquiétant­e de la galaxie stonienne). Ce morceau transperce à chaque écoute :la grille d’accords, les paroles, le chant de Mick et les harmos haut-perchées de Keith. Can’t you Hear Me Knocking? Le bon riff qui fait vibrer, du BEPC à la MiLF. Refrain classe A. Puis, sans crier gare :décrochage régional, direction Cuba pour une longue jam. “Propice à tous les débordemen­ts”, comme dirait Pierre Douglas. Ricky Dijon aux congas.

You gotta Move:version risquée mais très réussie d’un trad gospel popularisé par Fred McDowell. Les Stones enfoncent le clou :tous les accents ricains affectés de Sir Mick sont bien des parodies. il suffit de l’entendre parler maintenant pour réaliser qu’il a gardé son accent cockney, mâtiné/ patiné par 50 ans de jet set. Son français est délicieux.

Bitch : l’armada est de sortie :riffs croisés sur Charlie qui envoie la sauce et les cuivres magnifique­s de Bobby Keyes (sax) et Jim Price (trompette). Populaire de Bali à l’ile d’Yeu.

i got The Blues : un autre sommet du disque. “otis, entends-nous!” semble chanter Jagger. Superbe élégie, hymne rêvé des funéraille­s 60’s avec Billy Preston à l’orgue Hammond. Le même Billy qui jouait avec les Beatles sur les toits d’Apple quelques mois plus tôt. Et sur I Want You (She’s So Heavy). un des rares musiciens qui joua avec les deux faux rivaux (Scrabble!). Seul Nicky Hopkins peut s’en targuer sur cette période bénie :Revolution, Sympathy For The Devil pour ne citer qu’eux... CV en or.

Sister Morphine :gloire à Marianne Faithfull. Sans elle, cette chanson n’aurait jamais existé. Car elle l’a co- écrite. Sa version précède fatalement celle de Sticky Fingers. Et elle ne fut créditée que des décennies plus tard… Magnifique chanson malade rejouée ici par les Stones (Keith absent de la version “fidèle”) avec Ry Cooder à la guitare slide et Jack Nitzsche au piano.

Dead Flowers : “Take me down little Susie, take me down”. on chausse les tiags et on enfile son Stetson, direction le Bal des Pétroles. Cette mélodie enchantere­sse a sauvé des millions de gueules de bois? The hair of the dog !

Moonlight Mile : je vous la conseille avant/ pendant/après l’amour. La mélodie vous transporte, les cordes de Paul Buckmaster sont à tomber. “The sound of strangers sending nothing to my mind Just another mad mad day on the road I am just living to be lying by your side But I’m just about a moonlight mile on down the road”

Jagger in the nude. Absolute poetry.

Le disque sort, le groupe quitte le Royaumeuni pour notre Riviera. Pour raisons fiscales, ils n’en font pas mystère. Chaque Stone se trouve une maison à proximité de la villa Nellcôte, louée par Keith Richards à Villefranc­he-sur-Mer. Bill wyman aura notamment pour voisin Marc Chagall. Mick Jagger épousera la bellissima Bianca Perez Morena de Macias à St-Trop’. Guestlist stellaire (Ron wood, Stephen Stills, Ringo et McCartney sont de la party). Le couple Jagger fréquenter­a assidûment l’ami warhol tout au long des 70’s, jusque dans les boudoirs du Studio 54 : full circle. Les Stones enregistre­ront cet été 1971 le successeur de “Sticky Fingers”, “Exile On Main Street”. Dans la villa de Keith, ancien QG de la Gestapo reconverti en lieu de débauche rock’n’roll... Rocks off !

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