Tim & Éric, mauvais génies de la télé.
Tim & Eric sont quasiment inconnus en France. Une poignée de happy few (les trois quarts du stand-up français) leur voue un culte à leur démesure, mais leur registre les destine à rester la passion honteuse de quelques adeptes courageux. C’est mieux comme
ls n’ont pas l’air comme ça, mais Tim Heidecker (le petit replet) et Eric Wareheim (le géant barbu) forment depuis plus de dix ans le duo comique le plus provocateur, absurde, bizarre, décalé de la télévision américaine et probablement mondiale. Imaginez un puissant concentré de tous les autres sujets de ce numéro et vous aurez une première idée de leur univers. Talkshows, sketches, fausses pubs, look rétro inspiré des jeux télé, des soaps et de la Public Access TV (ces chaînes du câble où l’on peut diffuser ses propres infomerciaux et petites annonces) des années 80 : a priori le registre est celui de tous les autres comiques cathodiques. L’humour trash à mi-chemin entre Hara-Kiri (l’ancêtre de Charlie Hebdo), Benny Hill, Les Nuls ou les Messages à caractère informatif de Nicolas & Bruno n’est pas non plus leur marque de fabrique. Ce qui les rend absolument uniques, c’est d’abord qu’ils vont plus loin que n’importe qui avant eux. Beaucoup plus loin même, dans un registre où la moindre faute de goût (paradoxalement), la moindre erreur de timing ou de ton les condamnerait aux tréfonds de la sinistrose pathétique et vulgaire.
Orfèvres de l’humour bête et méchant, Tim & Eric ne sont d’ailleurs pas à un paradoxe près. Si leurs productions ressemblent à des collages amateurs, leur jeu d’acteur aux scènes dialoguées d’un porno allemand doublé et leur univers esthétique au contenu d’une couche de nourrisson atteint de gastro-entérite, les deux lascars n’ont rien d’une paire de fainéants. Au fil des années, ils ont développé un univers, un langage, des codes, toute une doxa qui, faute d’arriver un jour jusqu’à nous, infuse désormais dangereusement dans ce que nous consommons, innocentes brebis, lorsque nous allumons notre téléviseur dans l’espoir de « loler » un bon coup. Ce qui apparaît au spectateur candide, comme un déferlement de zooms affreux, de sons stridents et de couleurs baveuses s’avère un savant enchevêtrement – osons dire presque avant-garde – de références, faux accidents et
défauts techniques qui, au contraire du chaos, signent avec un savoir-faire obsédant chacun de leurs shows télé. En invitant d’anciennes gloires déchues du petit écran (animateurs ou comédiens à la retraite), mais aussi de véritables SDF, les résidents des maisons de retraites du coin, ou des handicapés à jouer dans leurs sketches surréalistes, ils ont su trouver un équilibre presque poétique entre la comédie régressive et le commentaire poil à gratter. Un peu comme si le Professeur Choron avait eu un enfant avec Divine, le travesti des films de John Waters... C’est cette poésie (ou shrim, sorte de méditation transcendantale au coeur de leur système esthétique) qui permet toutes les outrances et tous les dérapages.
Ventriloques édentés
Tim Heidecker et Eric Wareheim se sont rencontrés à l’université de Philadelphie en 1994. Tous deux étudiants en art, ils commencent à se filmer, à écrire des sketches et développer des projets. L’un d’eux, Tom Goes to the Mayor, les fait remarquer par Bob Odenkirk, génial transfuge du Saturday Night Live, depuis reconverti en avocat véreux au grand coeur de Better Call Saul. Suite de courts métrages animés qui reprennent tous le même schéma (Tom va parler au maire d’un problème quelconque), Tom Goes to the Mayor est acheté par la chaîne Adult Swim, qui n’est encore à l’époque qu’une émanation de la chaîne pour enfants Cartoon Network. En référence aux couloirs de nage pour adultes dans les piscines municipales, Adult Swim ne diffuse qu’entre minuit et six heures du matin et en grande majorité des séries animées pour jeunes adultes. Tim & Eric vont opérer une révolution en créant Tim and Eric Awesome Show, Great Job !, le show qui va les propulser au rang de génies trash incontournables. Indescriptible fourre-tout, Awesome Show, Great Job ! est diffusé à partir de 2007 pendant cinq saisons d’une dizaine d’épisodes chacun. Durant vingt minutes, s’enchaînent des séquences absurdes, des sketches incompréhensibles, des fausses pubs volontairement ratées, des jeux navrants, des clips ringards et se suivent des ventriloques édentés, des magiciens ivres... Le tout au milieu d’interludes bourrés de caméos prestigieux (John C. Reilly, Paul Rudd, Ben Stiller, Bob Odenkirk, Jeff Goldblum, Will Ferrell, Zach Galifianakis) et de dessins animés sans début ni fin.
Mozart, Tim & Eric
Tout ça aurait l’air d’une pantalonnade à voir au troisième degré uniquement si le succès n’avait pas été immédiat. Parce que si Tim & Eric sont trash, Tim & Eric sont cool et derrière la façade du n’importe quoi, se révèle au vaillant téléphage insomniaque une porte interdimensionnelle, pas très éloignée de celles que l’on voit dans Twin Peaks, ouverte sur un univers dangereusement séduisant qui, à forte dose, peut provoquer un puissant effet de rémanence. Si le silence qui suit un opéra de Mozart est encore du Mozart, tout ce qu’on
TIM & ERIC TES TENT ET REPO USSENT LES LIMIT ES DU MAUVAIS GOÛ T.