Première - Hors-série

Monster’s Shrink, de Joann Sfar.

Après avoir essayé d’imposer son univers mystico-poético-horrifique au cinéma, Joann Sfar va finalement faire bouger les lignes du monde des séries avec un projet qui s’annonce très étrange. Il nous livre les premières infos.

- PAR GAËL GOLHEN Le tournage de Monster’s Shrink débutera début 2018.

Ce qu’on ne peut plus faire au cinéma en France, on le fait dans les séries TV. Quelqu’un a dit récemment que les gens intelligen­ts allaient vers la série, c’est méchant mais c’est vrai. À chaque fois que je propose quelque chose de surnaturel ou de bizarre au cinéma, on me demande si je ne préférerai­s pas faire quelque chose de plus classique. En télé, on m’écoute. Ça ne veut pas dire que c’est facile : je travaille sur Monster’s Shrink depuis cinq ans. La série sera une coproducti­on entre Canal+ et Red Production, en langue anglaise et pour un marché internatio­nal. Mais c’est normal, c’est un projet un peu fou. Pas vraiment magique, ni surréalist­e, non. Ce sera de l’horreur, avec des monstres et du surnaturel très visuel – pas comme dans ces séries où le fantastiqu­e est juste évoqué, là on va avoir les monstres en vrai, dans chaque plan, plein pot.

L’idée était de reprendre les personnage­s de mon roman L’Éternel et de leur offrir une suite. On retrouve donc Ionas, le vieux juif ukrainien ressuscité en vampire, et Rebecka Streisand, la psy new-yorkaise. Le livre racontait leur histoire jusqu’à ce qu’ils se rencontren­t. La série montrera comment ils décident de monter une entreprise pour s’occuper des monstres. Ce qui s’avère être un énorme bordel, en partie parce que malgré sa promesse d’arrêter de tuer des gens, Ionas ne peut pas s’en empêcher. Le principe, c’est que Rebecka, contrairem­ent à tous les autres chasseurs de monstres, essaie de les soigner parce qu’elle garde espoir. Mais Ionas est moins optimiste et il aimerait bien, parfois, en flinguer un ou deux. Du coup, autant prévenir tout le monde : cela n’aura rien à voir avec mes travaux pour enfants. Là, mes monstres ne sont pas mignons. Pas du tout ! C’est plutôt American Horror Story. Je n’aime pas qu’on fasse de l’horreur pour de faux et que les gens n’aient pas vraiment peur. Avec Monster’s Shrink, j’ai envie que mes spectateur­s ne puissent pas dormir le soir. Au-delà de cette dynamique entre les personnage­s et au-delà du plaisir de faire une série angoissant­e, ce qui m’intéressai­t dans ce projet, était d’inventer des monstres, de leur donner vie. J’ai imaginé d’un côté ce vampire qui est un freak très classique, et de l’autre, un tas de créatures bizarres, très originales, avec pour influence principale Lovecraft. Pour le look et les caractéris­tiques, j’utilise les mythologie­s d’Europe de l’Est, mais je me suis amusé à situer la série sur la Côte d’Azur. Parce que c’est un endroit cosmopolit­e, rempli de gens qui viennent du monde entier. C’est un vrai creuset... Et c’est de ça dont parle la série au fond. Les gens sont tellement susceptibl­es aujourd’hui que dès qu’on évoque leur quotidien de manière réaliste, on vexe quelqu’un. Quand tu dis les choses à travers le rêve ou le monstre, c’est de l’allégorie, c’est du symbolique, c’est du récit. Le passage par le bizarre permet d’exprimer beaucoup plus de choses sur le monde qui nous entoure. Monster’s Shrink parlera du pouvoir qu’ont les individus aujourd’hui et de leur responsabi­lité. Le monstre, c’est celui qui ne veut pas que ça se passe bien avec les autres. Cela peut donner naissance à un artiste comme à un criminel. Et mon héroïne a toujours cet espoir de les ramener vers un monde possible. Je voulais parler de la capacité à faire le mal ; et plus encore, je voulais me demander ce qu’on fait du Mal dans nos sociétés. »

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Visuel du roman de Joann Sfar, L’Éternel.

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