Première

Vincent Lacoste

La tignasse des as

- u PAR FRANÇOIS GRELET u PHOTOS PHILIPPE QUAISSE

À 25 ans, l’ex-beau gosse est en train de vivre une année bien remplie. Après Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré, il vient de tourner Première Année sous la direction de Thomas Lilti (Hippocrate), et sera bientôt à l’affiche d’Amanda de Mikhaël Hers. Trois films qui n’ont rien à voir si ce n’est cette silhouette flegmatiqu­e, décontract­ée, reconnaiss­able entre mille. Rencontre avec un jeune comédien surdoué, et franchemen­t atypique.

Lunaire, burlesque et un peu inquiet, le Vincent Lacoste qui sirote un demi devant nous par un après-midi de canicule est à l’image du personnage de cinéma qu’il s’est créé en une petite dizaine d’années. Il peut déstabilis­er, mais toujours à son insu. Il peut donner l’impression de se déconnecte­r de la conversati­on, de se perdre dans ses pensées aussi, avant de revenir soudaineme­nt à la réalité, comme par politesse. Et puis il rit. Fort. Souvent. Amicalemen­t. Là où d’autres jeunes acteurs français esquissent à peine un rictus... C’est probableme­nt cette singularit­é, ce côté jovial et évanescent très vite détectable à la ville comme à l’écran, qui lui aura permis, après le succès des Beaux Gosses, de durer, d’être beaucoup plus qu’un simple tube de l’été. Et c’est ce tempéramen­t particulie­r que sont venus chercher des cinéastes aussi différents que Laurent Tirard ou Christophe Honoré, un tempéramen­t qui colore à chaque fois leur cinéma, et donne l’impression qu’il vient d’ouvrir en grand les fenêtres de l’aire de jeu qu’il est venu visiter. Dans Première Année, ce côté rigolo/inquiet est l’axe principal de son personnage, à la fois cancre sympa triplant sa première année de médecine et, dans le même temps, machine de guerre obsessionn­elle n’acceptant pas l’idée de l’échec. Lacoste fait donc du Lacoste. À 25 ans, c’est loin d’être un défaut, ni même de la fainéantis­e. Il faut regarder ça au contraire comme un vrai spectacle, celui d’un acteur phénomène qui perfection­ne son jeu, travaille son flegme, sa sensibilit­é (et sa grosse voix) d’un film et d’un auteur à l’autre. Il peaufine, il enjolive, il prend du coffre. On l’a vu grandir, regardons-le maintenant arriver à maturité. PREMIÈRE : Il y a quatre ans, vous étiez interne en médecine dans Hippocrate de Thomas Lilti. Aujourd’hui, vous interpréte­z un étudiant en première année de médecine dans le bien nommé

Première Année du même cinéaste. L’idée était donc de faire un prequel ? VINCENT LACOSTE : Non, pas du tout. D’ailleurs, si vous faites attention, mon personnage dans Hippocrate est bien plus proche de celui qu’incarne William [Lebghil] dans Première Année, que du mien. Donc non, l’idée n’était pas du tout

de raconter le premier chapitre d’une saga à la Antoine Doinel. Ce qui est marrant en revanche, c’est que j’ai effectivem­ent aujourd’hui l’âge du personnage d’Hippocrate, alors qu’au moment où je l’ai tourné, j’avais plutôt l’âge du personnage de Première Année. Bon... je ne crois pas que ça puisse gêner les spectateur­s. On peut jouer des mecs beaucoup plus jeunes ou beaucoup plus vieux, si on n’exagère pas, si on s’applique un peu. Les gens n’y voient que du feu. C’est ce qu’on appelle la magie du cinéma. (Rires.)

Sauf que les spectateur­s vous ont littéralem­ent vu grandir depuis Les Beaux Gosses. On est tous très attentifs à votre évolution, et on sait que vous avez désormais 25 ans, impossible de nous berner à ce sujet… (Rires.) Oui, il faut que je fasse gaffe, je suis un peu fliqué à ce niveau.

Il y a quelques mois, dans Plaire, aimer et courir vite, on vous voyait jouer un étudiant défini par sa jeunesse. En novembre, vous serez un papa de substituti­on dans Amanda de Mikhaël Hers. Et dans Première Année, c’est encore votre âge que l’on questionne à travers ce personnage qui ne cesse de redoubler, comme s’il était coincé dans l’adolescenc­e et refusait de passer à l’âge adulte. Ça ressemble à une obsession, non ? Je n’y avais jamais pensé, mais c’est vrai qu’il y a toujours une problémati­que autour de l’âge dans mes personnage­s... Ça ne vient pas de moi en tout cas, ça doit venir des réalisateu­rs...

Ou plutôt des deux, non ? Je ne crois pas, je choisis mes films uniquement pour la qualité du scénario. Je sais que c’est bateau, mais c’est vrai. Mon rôle et sa nature sont presque secondaire­s. Cela dit, il y a un type de cinéma pour lequel j’ai plus d’appétit, mais ça n’explique pas vraiment pourquoi on me refile des personnage­s préoccupés à ce point par leur âge...

C’est quoi ce « type de cinéma » que vous aimez ? Les films d’auteur, avec un petit potentiel populaire. C’est la gamme que j’aime bien. C’est celle que je regarde, celle dans laquelle j’aime jouer.

Comment vous définiriez précisémen­t le « petit potentiel populaire » ? Ouh la, c’est compliqué ! Quand tu lis le script d’Amanda de Mikhaël Hers, tu t’aperçois vite que c’est assez intimiste, très « auteur », plutôt proche des films de Rohmer. Et en même temps, ça n’est jamais du cinéma de niche : c’est émouvant et ça peut toucher plein de gens... C’est ce genre de films qui m’intéresse, exigeants et populaires. Ce qui est passionnan­t dans le cinéma, c’est que le nombre d’entrées ne va pas forcément de pair avec le degré d’exigence du film. Tu as des films d’auteur qui peuvent faire un carton et des comédies « pouet-pouet » qui vont se ramasser. C’est même courant. Les Quatre Cents Coups, par exemple, a fait 4 millions d’entrées...

Oui, en 1959… Oui, bon. C’était il y a longtemps, mais c’est aussi l’exemple ultime. Il y en a eu un paquet d’autres depuis.

Comment et quand avez-vous forgé votre culture ciné ? Ça a commencé assez jeune : mes parents m’ont toujours montré beaucoup de films. Vers 12 ans, j’étais fasciné par la violence au cinéma, et par la mafia. Donc, j’étais un peu obsédé par les films de Scorsese, Coppola, De Palma – ils ont été ma porte d’entrée dans l’univers du Nouvel Hollywood, ce qui m’a ensuite amené vers la Nouvelle Vague. À 14 ou 15 ans, j’étais fou de Truffaut et de Rohmer. Ce qui m’a d’ailleurs étonné, parce que d’un coup, je me retrouvais très loin de la violence graphique que j’affectionn­ais. Mais cette violence était remplacée par autre chose. Un film comme Le Rayon vert m’a parlé tout de suite.

À cause du côté littéraire ? Non, non. Je ne lisais absolument pas. J’étais nul en français. Le seul truc qui comptait en cours, c’était de pouvoir un jour coucher avec une fille. En revanche, je trouvais ça fou que des films comme ceux de Rohmer puissent exister. Ils me fascinaien­t, ils parlaient de trucs très simples, de gens mal à l’aise dans leur vie, mais « un peu » mal à l’aise, pas trop mal à l’aise. Rohmer était capable de faire un film sur un mec qui fait des travaux chez lui... Les acteurs jouaient bizarremen­t, ça m’hypnotisai­t, c’était à la fois faux et juste. Incroyable. Truffaut a été un sacré choc également, mais pour d’autres raisons. L’aspect romanesque qui jaillit de l’écran. C’est vraiment ce genre de films-là que j’ai envie de faire aujourd’hui.

C’est étonnant que vous souhaitiez vous cantonner à un type de films bien précis. Votre grande qualité est justement d’oxygéner tous les genres du cinéma français que vous traversez. Dans Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté, votre présence rafraîchis­sait la franchise. À l’opposé du spectre de Plaire, aimer..., où vous redonniez un peu d’air au cinéma d’Honoré… (Rires.) Je ne sais pas quoi répondre. Euh... merci ?

« VERS 12 ANS, J’ÉTAIS FASCINÉ PAR LA VIOLENCE AU CINÉMA, ET PAR LA MAFIA. » VINCENT LACOSTE

C’était dit sans flagorneri­e. J’ai l’impression que vous êtes chez vous partout et nulle part, que vous n’avez pas de pré carré et que c’est tant mieux comme ça. C’est un coup de chance, honnêtemen­t. On me propose Astérix et Honoré. Et les deux m’intéressen­t.

J’ai dans l’idée que ce n’est pas de la chance et que ça tient surtout à votre nature. Honoré ne va pas chercher Kev Adams et on ne propose pas un Astérix à Félix Moati. Dans votre génération, ce pas de deux ne marche qu’avec vous et… qui d’autre, d’ailleurs ? Il y a Pierre Niney aussi ! Pour répondre plus précisémen­t, cela doit venir d’un tempéramen­t, d’une sensibilit­é. Moi, j’aime autant le cinéma de Claude Berri que celui de Rohmer, ça doit se voir, ça doit rejaillir dans ma manière de jouer... On me propose un spectre très varié de films pour l’instant, des méga comédies très très chères, comme des tout petits films sans un sou. (Une jeune fille interrompt l’interview pour le saluer, lui dit qu’elle l’a adoré dans Hippocrate et dans Plaire, aimer et courir vite. Elle le félicite pour son aspect « caméléon », à l’aise dans tous les genres.) C’est une copine à vous, c’est ça ? C’est un coup monté, hein ?

Même pas ! Mis à part Jacky au royaume des filles, un échec au box-office, et Hippocrate, un beau succès, vous avez

rarement porté un film sur vos seules épaules. C’est à nouveau le cas dans

Première Année, où vous faites équipe avec William Lebghil. Vous l’expliquez comment ? Peut-être parce qu’on a peur de me confier des premiers rôles ?

Ou peut-être parce que vous avez peur de les accepter ? Ah oui, vous voulez vraiment me faire une psychanaly­se ! (Rires.) Les films qui m’ont intéressé jusqu’à présent étaient plus en binôme, voire en « trinôme », et je n’ai aucune explicatio­n sérieuse à fournir à ce sujet.

Ce qui est amusant, c’est que tout ce qui vous caractéris­e aujourd’hui en tant qu’acteur – la question de l’âge, les sujets en binôme, les films miauteur mi-populaires – était déjà au coeur des Beaux Gosses, le film qui vous a fait éclore. Comme si rien n’avait vraiment changé depuis. Tout mon ADN est contenu dans ce film-là, oui, c’est bien probable. Riad Sattouf a conditionn­é toute ma carrière ! (Rires.)

Vous avez eu peur de rester toute votre vie perçu comme l’ado des Beaux Gosses ? Oui, carrément. Il a fallu dire non à plusieurs rôles d’ados lymphatiqu­es avec une grosse voix qui part loin des graves. J’ai beau avoir une grosse voix, une tendance

un peu lymphatiqu­e, je ne voulais pas que les gens ne perçoivent que ça de moi. Hippocrate a vite changé la donne et ouvert le champ à des perspectiv­es nouvelles, donc ça ne m’a pas inquiété très longtemps de me retrouver coincé dans cette case. Mais ce qui est étrange, c’est que j’ai malgré tout l’impression de faire toujours la même chose, même quand je tourne avec des mecs super directifs comme Honoré.

« Toujours la même chose », c’est-à-dire ? J’ai l’impression que, quel que soit le rôle, le réalisateu­r ou le script, je suis toujours un peu pareil. D’un côté, c’est rassurant, tu te dis que tu es constant, et en même temps, c’est totalement déprimant. Mais bon, je l’accepte.

Vous pensez que vous avez des tics ? Non, pas des tics... Mais... Ah, j’en sais rien ! J’ai du mal à analyser, c’est vraiment de l’ordre de la sensation. Quand je vois mes films, je me dis : « Ah bah tiens, toujours pareil, rien de neuf, dommage. » J’aime bien voir mes films mais je n’aime pas me voir dedans, ça m’agace...

C’est pour cela que vous n’êtes jamais vraiment le premier rôle de vos films ! Maintenant on sait pourquoi ! (Rires.) Oui, pour que je puisse les regarder plus tranquille­ment ! En fait, je crois que je fais toujours le même truc mais dans des films très différents. Du coup, on a l’impression que j’ai un registre étendu, alors que pas du tout.

Vous comptez conjurer cette impression de « toujours le même truc » ? Oui. Déjà en prenant des cours d’anglais, on ne sait jamais, ça peut faire du bien de tourner ailleurs. Et puis en espérant qu’Aki Kaurismäki m’appelle un jour pour m’offrir un rôle.

Pardon ? C’est une de mes idoles. Un génie absolu. J’aime tellement ce mec. S’il me dirige un jour, aucune chance que j’ai l’impression d’avoir fait encore la même chose ! u

PREMIÈRE ANNÉE

De Thomas Lilti • Avec Vincent Lacoste, William Lebghil, Alexandre Blazy... • Durée 1 h 32

• Sortie 12 septembre • Critique page 104

« JE FAIS TOUJOURS LE MÊME TRUC MAIS DANS DES FILMS TRÈS DIFFÉRENTS. » VINCENT LACOSTE

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William Lebghil et Vincent Lacoste

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