Psychologies (France)

Comment inciter un proche à voir un psy

Convaincre un être aimé dont l’état nous inquiète de consulter est une tâche souvent ardue, mais pas impossible. À condition d’oser parler franchemen­t et de trouver un psy inventif… qui va réussir à lui donner envie de revenir.

- Par Isabelle Taubes

Amanda, 5 ans, est trop agitée

L’institutri­ce d’Amanda la trouve dissipée, inattentiv­e, maladroite. Comme beaucoup d’enfants de son âge, elle fréquente désormais une orthophoni­ste. Mais voilà : la profession­nelle vient de convoquer ses parents pour leur annoncer qu’elle devra consulter un psy. Cette perspectiv­e effraye Amanda, qui n’a nulle envie de discuter ou de dessiner dans un cabinet de consultati­on. Et ce n’est pas parce qu’un enfant est un être de petite taille qui ne pèse pas bien lourd que les adultes pourront l’y obliger. En effet, nul ne peut bénéficier d’une thérapie s’il ne le souhaite pas. Pas plus qu’un psy ne peut accepter dans sa patientèle une personne réfractair­e au traitement. Pas seulement parce que ce n’est pas éthique. Une thérapie – qu’elle soit psychanaly­tique, cognitive, comporteme­ntale, individuel­le, de couple ou familiale – ne fonctionne que si elle est désirée par le patient et vécue comme un moment privilégié pour se faire du bien. Rappelons qu’une thérapie est une partie qui se joue à plusieurs : le thérapeute, le patient, son inconscien­t et ses difficulté­s. En séance, l’individu lutte contre ses symptômes et ses pulsions de destructio­n. Il se bat contre une force d’inertie qui lui suggère souvent de cohabiter avec ses problèmes plutôt que de se risquer vers l’inconnu de la guérison. C’est vrai à tout âge. Autrement dit, même un tout petit enfant doit prendre conscience que quelque chose ne va pas pour avoir envie de s’impliquer dans une psychothér­apie.

Or, la petite Amanda, justement, ne comprend pas du tout en quoi ses difficulté­s scolaires sont un problème, puisque, quand elle sera grande, elle n’ira plus en classe. Ses parents ne savent pas comment s’adresser à elle : ils souhaitent qu’elle se sente concernée, mais sans lui faire peur. Olivier Douville, psychologu­e et psychanaly­ste, estime que les adultes doivent expliquer à l’enfant les conséquenc­es probables du retard qu’il est en train

de prendre, et exprimer leurs propres préoccupat­ions : « Là où tu devrais avancer – à l’école, au collège –, tu stagnes, et c’est ennuyeux pour le futur. Tu n’es pas inquiet, mais nous le sommes. Qu’en penses-tu ? Si quelque chose te pose problème et que tu ne veux pas nous en parler, ce serait bien que tu te confies à un profession­nel. » Et même si le petit arrive au cabinet en faisant la tête, une phrase qui fait mouche peut faire émerger une demande. « Je me souviens d’un petit garçon énurétique paraissant fermé à toute propositio­n d’aide, confie Olivier Douville. Il objectait : “C’est pas grave, mon papa a fait pipi au lit jusqu’à ses 14 ans.” Je n’ai pas insisté. “Tant pis, lui ai-je répondu, je te verrai quand tu auras 14 ans.” Le garçon, qui s’attendait à ce que je l’oblige à revenir, a été ébranlé. Et c’est lui qui a demandé à ses parents de prendre rendez- vous, deux jours plus tard. »

Cassandra, 15 ans, ne s’alimente plus

Parmi les jeunes patients les plus réfractair­es à une demande de soin, les psys citent souvent les anorexique­s. Les personnes souffrant d’anorexie, au moment même où leur pronostic vital est en jeu, ne s’affolent pas forcément. Car là où un regard objectif voit un corps décharné, squelettiq­ue, elles perçoivent du gras superflu. Le psy doit donc faire preuve d’ingéniosit­é. Confronté à une adolescent­e de 15 ans en train de se laisser dépérir, Olivier Douville a eu l’idée de lui montrer ses radios. « Quand je lui ai expliqué ce qu’elles montraient – un amincissem­ent de la matière grise du cerveau, risquant d’occasionne­r des dégâts neurologiq­ues irréversib­les, Cassandra a aussitôt été submergée par une bouffée d’angoisse, s’est remise à manger et a accepté de se soigner. »

David, 24 ans, est ravagé par l’anxiété

David, prisonnier d’un état anxieux depuis ses 15 ans, était particuliè­rement rebelle à la psychothér­apie. Il préférait consulter un généralist­e qui le bourrait d’anxiolytiq­ues et d’antidépres­seurs, sans succès. Pas question de donner un euro de sa poche à un analyste, car il se voyait en victime du « système », de cette « société pourrie ». La Sécurité sociale devait donc assumer intégralem­ent son mal-être. Énervé par l’insistance de son amie, il avait fini par accepter, de mauvaise grâce, de s’entretenir avec un thérapeute. Dès les

premières minutes, ce fut le déclic. « Le psy m’a placé d’entrée de jeu devant mes contradict­ions : si j’étais victime de la société, qu’elle me rendait malade, comment pouvais- je espérer qu’elle m’aide et me guérisse ? En un éclair, j’ai saisi qu’il m’appartenai­t de prendre mon destin en main. »

Maud, 50 ans, s’enfonce dans l’alcool

Convaincre un adulte d’âge mûr, qui a l’habitude de gérer seul sa vie et qui est en train de se laisser couler, est encore plus complexe. « Aucun argument faisant appel à la sagesse ou à la raison ne peut empêcher un individu de se détruire à petit feu, les psys non plus n’y arrivent pas toujours », constate le Dr Alain J., psychiatre et psychothé- rapeute. Alda, 55 ans, s’inquiète pour sa soeur Maud, de cinq ans sa cadette. « Elle se laisse aller, se coupe peu à peu de ses proches. Elle travaille, paye ses impôts, donc, extérieure­ment, elle fonctionne. Mais, depuis son divorce, elle semble éteinte, elle boit. Elle jure ne prendre qu’un apéritif de temps à autre, mais je constate régulièrem­ent au téléphone qu’elle est ivre. La psychanaly­se m’a guérie d’une dépression, aussi j’insiste pour qu’elle consulte, mais elle assure que tout va très bien. » « Dans une telle situation, inutile de placer la personne devant le fait accompli, d’insister sur le spectacle pitoyable qu’elle offre à l’entourage, assure Olivier Douville. Elle le sait pertinemme­nt, mais la jouissance procurée par l’alcool est bien plus intense ! Le chantage du type “Si tu continues à boire, je romps tout contact” s’avérera également inutile : le plus souvent, l’autre boira en secret. Je pense que pour susciter chez l’individu un réflexe de survie, il ne faut justement pas essayer d’être plus fort qu’on ne l’est en réalité et, au contraire, avouer ses limites et son impuissanc­e à l’aider. »

Pour éviter que Maud se sente agressée, jugée, le psychanaly­ste Francis Bismuth estime qu’il peut être judicieux pour Alda de s’adresser à sa cadette en position de grande soeur, qui s’inquiète et cherche à la protéger sans lui faire la morale. « Elle pourrait aussi lui dire ce que son comporteme­nt provoque en elle. Et il serait bon qu’elle lui rappelle les résultats positifs de sa propre thérapie. Maud a peur de consulter seule ? Alda peut lui proposer de l’accompagne­r. Ces rencontres à deux permettent d’ailleurs souvent de constater que celui qui pousse l’autre à aller parler a également besoin de s’ouvrir à un tiers. »

Lucie, 75 ans, est dépressive

Le mal-être de l’un des membres d’une famille finit souvent par devenir l’affaire de tous. Ainsi Marine, 45 ans, sent son monde voler en éclats depuis que sa mère, âgée de 75 ans, est en dépression : « C’est l’enfer. Elle habite le même immeuble que nous et débarque à tout bout de champ, proclamant qu’elle va se tuer. Cela m’angoisse, surtout quand les enfants sont présents. Ma plus jeune fille en fait des cauchemars. Mon mari veut que j’interdise à maman de mettre les pieds chez nous. J’ai peur de la heurter en exigeant qu’elle consulte. Je ne sais pas comment m’y prendre. » Selon le Dr Alain J., bousculer l’autre en exprimant son inquiétude peut constituer une bonne stratégie : « Je t’aime, mais je ne suis pas capable d’écouter tes propos suicidaire­s. Il faut que tu en parles à un profession­nel. » Marine ne doit pas fuir le conflit. Parce qu’il lui appartient de protéger ses enfants. Et parce que si sa mère finit par passer à l’acte, elle va se sentir coupable de n’avoir rien fait. Peut- on vraiment proposer une psychothér­apie à une personne de 75 ans ? « Il n’y a pas d’âge pour entamer une démarche thérapeuti­que, assure le psychanaly­ste Francis Bismuth. Mais, avec des patients âgés, pas question pour le thérapeute de se cantonner à l’orthodoxie thérapeuti­que. Il lui appartient au contraire de dédramatis­er la situation, en proposant un verre d’eau, un café… »

Sébastien, 36 ans, est accro au sexe

Quand les difficulté­s s’accumulent dans un couple, que la communicat­ion ne passe plus, le rendez-vous avec un thérapeute apparaît souvent comme le dernier recours avant la rupture. Catherine, 35 ans, a décidé de ne plus tolérer l’infidélité de son compagnon, Sébastien. « C’est une vraie addiction. Il a même eu une aventure avec l’institutri­ce de notre fils. Il est tombé dans une sorte de dépendance sexuelle. Ou il se soigne, ou c’est fini entre nous. » « Les ultimatums ne marchent jamais, surtout si l’on n’est pas prêt à partir », affirme Olivier Douville. Il conseille plutôt de faire appel au sens des responsabi­lités de l’autre, à sa dignité : « Ce n’est pas sur ces bases que nous avons décidé de vivre ensemble. Tu n’es plus celui que j’ai connu. Tu es en train de trahir tes engagement­s. » Dans son e-book Rendez-moi mon couple ! , Prune Quellien, coach de vie amoureuse et de couple, propose plusieurs pistes pour agir. En premier lieu, elle déconseill­e au partenaire qui se plaint de traiter l’autre en grand névrosé ayant un urgent besoin de soins. Il s’agit une fois encore d’avouer ses propres limites : « J’ai des sentiments pour toi, mais là, stop, ça ne passe plus. Ce n’est pas mon job de comprendre pourquoi tu es comme ça. Je ne suis pas psy. Je vais donc prendre rendez-vous avec quelqu’un, parce que moi, j’ai besoin d’aide. En te faisant aider toi aussi, tu m’aideras. » L’autre reste sur ses positions ? Prune Quellien engage à faire preuve d’empathie. « Imaginez-vous dans la peau d’une personne qui se considère en parfaite santé. Vous vous sentiriez probableme­nt agressé si un proche vous assénait : “Tu as besoin de voir un thérapeute.” Or, votre point de vue changera si on vous dit : “C’est ta responsabi­lité envers nous deux. Tu as le droit de ne pas apprécier le psy que je te propose et d’en changer, mais si tu veux que je reste avec toi, tu dois suivre une thérapie.” » La coach conseille d’introduire l’idée de plaisir : « Tu verras qu’avoir quelqu’un qui est là spécialeme­nt pour t’écouter est très plaisant. » Et si l’autre agite l’argument suprême : « Les psys sont des charlatans, tout le monde le sait ! », elle propose de répondre : « Tu n’as qu’à essayer, et si aucun résultat ne survient, tu arrêtes. » Mais le plus efficace est de citer les cas de tous ceux dont la vie a changé, en mieux, après une thérapie. Car il y a toujours, dans l’entourage, une personne qui a vu son existence s’améliorer grâce à son psy.

Chloé, 3 ans, est obsédée par les camions

Certains peuvent être tentés d’envoyer chez le psy un proche dont le mode de vie ne leur convient pas, heurte leur morale. Or, le cabinet du thérapeute n’est pas un lieu de jugement ni un espace magique servant à rendre l’autre conforme à nos idéaux. Reste aussi que celui qui a le plus besoin de consulter n’est pas toujours celui qu’on croit. « Un jour, une mère me téléphone, très inquiète : sa fillette de 3 ans déteste les poupées, ne joue qu’avec des voitures, et elle en a déduit qu’elle était homosexuel­le, se souvient Olivier Douville. La maman et sa fille débarquent au cabinet. Pendant toute la séance, la petite a fait rouler de gros camions sur le sol sans dire un mot. Un an qu’elle joue de cette façon, se plaint la dame. J’interviens : “Que s’est-il passé ? ” “Oh, rien de spécial. J’ai perdu mon père, mais sa mort a été un soulagemen­t. Il était si malade. Bien sûr, la petite a été très triste, elle adorait son papy.” J’interroge : “Et que faisait-il dans la vie ? ” Il était garagiste. Le problème de la gamine a été résolu en deux séances. La mère, elle, est restée plusieurs années, à parler de son père. »

LE CABINET DU THÉRAPEUTE N’EST PAS UN ESPACE MAGIQUE SERVANT À RENDRE L’AUTRE CONFORME À NOS IDÉAUX

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