Sois sage, ô ma Douleur…
Houellebecq sous antidep’
« Homophobe », « misogyne »… C’est reparti ! Le dernier texte de Michel Houellebecq crée encore la polémique. Il serait dommage de s’en tenir là car, comme l’écrit Emmanuel Carrère, « s’il y a quelqu’un aujourd’hui, dans la littérature mondiale et pas seulement française, qui pense […] l’énorme mutation que nous sentons tous en cours sans avoir les moyens de l’analyser, c’est lui1 ». On ne voit donc pas pourquoi il faudrait se priver de la puissance romanesque du cru 2019 : Sérotonine. L’aventure démarre avec « un petit comprimé blanc, ovale, sécable », qui favorise la libération de la sérotonine, neurotransmetteur abusivement appelé « hormone du bonheur ». Antidépresseur de dernière génération, Captorix s’annonce comme l’avenir pharmacologique de la tristesse contemporaine. Florent-Claude Labrouste, 46 ans, ingénieur agronome, l’avale tous les matins avec « un quart de verre d’eau minérale ». C’est sa béquille. Elle lui « permet de donner le change ». Sous le soleil espagnol, il attend Yuzu, maîtresse japonaise perverse, froide, qu’il finit par fuir. Réfugié dans une des dernières chambres fumeurs d’un Mercure du XIIIe arrondissement parisien, le souvenir de ses amours mortes et d’une amitié de jeunesse revient le hanter. Il quitte son lit, part à la recherche du temps perdu au milieu des vaches et du bocage normand. On croise un ornithologue répugnant, ou les trop tendres Aymeric, incarnation des souffrances de l’agriculture nationale, et Camille, vétérinaire aimée et mère isolée. Sous les détours de la fiction, les mêmes motifs obsessionnels reviennent : les ravages de l’Union européenne, le sexe, l’amour, le désespoir, la nature, l’ironie. Et Houellebecq nous emmène une fois de plus entendre avec lui « la douce Nuit qui marche2 ». H.F. 1. Le Monde des livres, 6 janvier 2015. 2. Recueillement, poème de Charles Baudelaire, dans Les Fleurs du mal.
Sérotonine de Michel Houellebecq ( Flammarion, 350 p., 22 €).