Dave Alvin & Phil Alvin
YEPROC/REDEYE Le moteur à explosion des regrettés Blasters revient tout seul, sans la carrosserie. Surgissant de sous les pissenlits trente ans plus tard, Phil et Dave Alvin, la fratrie fondatrice, bronze à nouveau sous les lasers avec douze titres repris de Big Bill Broonzy. Face à cet exercice, deux attitudes : l’une puriste, l’autre laïque. La puriste : pourquoi cet hommage inoffensif à un bluesman aussi consensuel, comme font les vieilles chanteuses folk newyorkaises tombées dans l’oubli ? En outre, les Alvin commettent l’erreur de démystifier le blues de Broonzy, ils le matérialisent en rock et en country et lui flinguent son mojo. Phil détache les syllabes comme s’il déclamait dans une langue étrangère, Dave place des contrechants de baryton qui lui mettent la bouche en cul de poule, et donnent à l’album une touche rétro-skiffle presque amusante. Leur disque ne manque pas de feeling, mais de... danger. La manière laïque, l’hédonisme débarrassé du péché ethnique : un disque de skiffle, oui, et après ? Broonzy était une référence noire du folk anglais, non ? Les deux Alvin chantent et grattent comme s’ils avaient accumulé trente ans de pression hillbilly dans le coffre et dans les doigts. Ils ont avec eux l’ancien pianiste des Blasters, Gene Taylor, deux bassistes et deux batteurs qui se partagent les titres, notamment l’excellente Lisa Pankratz. Même pasteurisé, même taillé au carré (avec quel amour), Broonzy reste bel homme. Et puis tout n’est pas blancblanc dans ce rag’n’roll ardent, surtout quand Dave fait gicler le goudron de l’ampli et réinjecte les flottements du blues dans la quadrature du Bill.
CHRISTIAN CASONI