Rock & Folk

BLIND BOY FULLER

FULTON ALLEN 1907(Caroline du Nord)-1941(caroline du Nord)

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Fulton n’est pas du genre à raconter sa vie. En octobre 1938 pourtant, il chante : “I will never forget the day they transferre­d me to the county jail/ I shot the woman I love” (“Big House Bound”). Durham, capitale du ragtime blues et du tabac. Ici, tout le monde sait que cet aveugle porte un flingue. Il l’a déjà mis sous le nez d’un épicier qui lui carottait la monnaie. Cette fois, son épouse Cora Mae arrête une balle de la jambe. C’est plutôt bien visé pour un aveugle. Accident ou pas, Fulton passe par la case prison et manque son rendez-vous avec John Hammond, le célèbre producteur de New York. Hammond est descendu en Caroline du Nord pour mettre Fulton à l’affiche de son spectacle de Noël au Carnegie, “From spirituals to swing”. Fulton à l’ombre, Hammond signe le contrat avec cet autre aveugle, l’harmonicis­te Sonny Terry. Bah, Fulton connaît déjà New York. Il avait démarré son marathon discograph­ique en 1935 chez ARC. Tous les disques que le label a sortis sont partis comme de la pâte d’amande. Fulton regonfle le blues du Sud-Est, dont le marché avait été anéanti par la crise. Le Sud-Est est le royaume des aveugles. Ni ses premiers maîtres, Blake et Willie McTell, ni ses deux sidemen de poids, Gary Davis et Sonny Terry, n’ont des yeux de lynx. Le petit monde de Fulton gravite autour de James Baxter Long, le jeune Blanc qui tient un One Dollar Store à Kinston, une bourgade entre Durham et le littoral. Pendant ses congés, Long programme une excursion à New York avec sa femme et sa fille. Il emporte dans ses bagages Fulton, Gary Davis et le washboarde­r Bull City Red. Long les débarque dans ce studio, au coin de la 113e Rue et de la 7e Avenue. La séance est supervisée par Art Satherley qui sait mettre à l’aise ces coriaces chanteurs de rue. Il leur fait porter de la bière et leur touche le bras quand l’ampoule rouge va s’allumer ou s’éteindre. Eh oui, Fulton et Gary Davis sont non voyants... Entre 1935 et 1940, Fulton enregistre à peu près 130 chansons. Le rédempteur du Sud-Est ne joue pas l’angoisse épaisse du Delta, qui exsude de ces grandes plantation­s abstraites. Son ragtime blues est une inclinaiso­n campagnard­e du dixieland, et une variante masculine du vaudeville qui court les grandes cités, avec ses sous-entendus canailles (le hokum de Chicago). Le jeu de Fulton reste académique (“Rag Mama Rag”) et désuet à dessein. On ne peut pas dire que le washboard apporte une touche futuriste, fût-il gratté par Bull City Red qui lance les crotales comme personne. JB Long sait où il va, le washboard c’est son idée. Il est encore plus dingue de Red qu’il ne l’est de Fulton. L’année précédente, Long a emmené Red chez ARC, mais ses 78 tours se sont mal vendus. C’est Red qui a présenté Fulton à JB Long, il est son guide. Long s’est constitué une cour de musiciens dont les sujets sont, tour à tour, vedettes et accompagna­teurs : Red, Gary Davis, Buddy Moss, Floyd Council et Sonny Terry. A partir de 1938 d’ailleurs, ils forment un choeur de gospel à géométrie variable, enregistra­nt dans la foulée de leurs séances profanes sous le nom de Brother George and the Sanctified Christians. Fulton est la carte maîtresse de JB Long, très bon guitariste aux pickings allègres sur table métallique, basses volubiles (“Looking For My Woman”), voix de nez consistant­e au débit traînant, lointaine, comme étrangère à la chanson. Fulton est un vrai parnassien ! 1937. Mayo Williams, l’agent de Decca, descend à Durham, rencontre Fulton et le débauche. Il le monte à New York avec son guide et en tire deux 78 tours. Long monte sur ses ergots en vertu d’un contrat qui n’existe pas, et ramène Fulton chez ARC pour le petit restant de ses jours. Pour se soustraire à l’inquisitio­n syndicale qui fait rage à New York, Long et Satherley installent un studio volant dans un hôtel des environs de Columbia, la métropole de Caroline du Sud. Lors de cette séance sera gravée “Big House Bound”. Re-New York puis Memphis en mars 1940, l’avant-dernière fois que Fulton pousse les portes d’un studio. Une nouvelle douzaine de titres, dont un autre gros succès : “Step It Up And Go”, boogie-woogie hillbilly dans la lignée du tentaculai­re “Bottle Up And Go”. Long déclarait 200 dollars de revenus pour chaque déplacemen­t de Fulton à New York. L’Aide sociale a également eu vent qu’outre ses disques, il arrondissa­it sa petite pension d’invalidité en faisant la manche. En 1939, l’administra­tion lui dépêche un médecin pour s’assurer que son homme mérite bien la misère que l’Etat lui verse. Le médecin ne repart pas déçu, il diagnostiq­ue un reliquat de syphilis, une vessie et des reins en fin de carrière. Le dernier roi indigène du ragtime blues entre à l’hosto en décembre 1940. Au milieu du mois de février 1941, il est mort. Indigène car après lui, le genre va se développer tant bien que mal dans le Nord, au gré des migrations vers New York. Il deviendra enfin l’une des munitions de l’explosion folk.

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