Whiplash
de Damien Chazelle
batterie des nuits durant. Et détruit même son amour naissant avec une fille cool qui, lui dit-il avec une grande froideur, “pourrait l’empêcher de progresser dans son art”. Il s’enfonce si fort dans sa passion et son arrivisme qu’il finit pas devenir un ersatz d’être humain, plus siamoisé à ses notes qu’à sa vie... La confrontation entre les deux personnages, d’un côté le prof sec et humiliant (l’incroyable JK Simmons révélé en taulard néo-nazi dans la série “Oz”), de l’autre l’élève transi d’inquiétude et de volonté quasi kamikaze (Miles Teller, jeune étoile montante de Hollywood) tient presque d’un face à face de cow-boys sans pitié dans un western italien de Sergio Leone. Le rythme du métronome remplaçant les thèmes de Morricone pour une tension ambiante qui ne faillit jamais. Le film est également au diapason de sa BO jazzy magnifique dont le thème principal (“Whiplash”) confronte trompette et piano, exactement comme s’affrontent les deux personnages du film. Conçu avec passion par des producteurs indépendants venus de tous les horizons (dont, curieusement, Jason Blum, initiateur des nouvelles séries B d’épouvante à succès du moment comme “Insidious” et “Paranomal Activity”), “Whiplash” repose évidemment sur le talent hallucinant de son jeune (28 ans !) metteur en scène Damien Chazelle, hanté par le jazz depuis toujours (surtout Charlie Parker, dont l’ombre plane sur le film) et qui fut lui-même batteur dans un orchestre. Il synthétise ainsi ses intentions retranscrites à la perfection dans son film : “Je voulais filmer chaque concert comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort.” Ou encore : “Jevoulais que ça ressemble à un film de guerre ou de gangsters dans lequel les instruments de musique remplacent les armes à feu et dont l’action ne se déroule pas sur un champ de bataille mais dans une salle de répétition ou sur une scène de concert.”
Allez, tiens : meilleur film de l’année 2014 ! ❏ En règle générale, même les meilleurs films indépendants américains ne sont pas conçus pour avoir la popularité des blockbusters les plus atrophiés. Ce qui, exceptionnellement, pourrait être le cas de “Whiplash” : un bas budget (trois millions de dollars et des poussières) un lieu presque unique (une salle de répétition) et un sujet a priori pas vraiment commercial (l’apprentissage du jazz et ses conséquences). Pourtant, si chaque être humain de cette maudite planète se donnait la peine d’aller voir “Whiplash”, statistiquement 90 % d’entre eux en ressortiraient ravis. Car depuis son premier passage à Sundance en janvier dernier, “Whiplash” a réjoui tous les spectateurs des autres festivals où il a été programmé. De la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes à celui de Deauville, le film a cumulé prix, cris de bonheur et standing ovations. Et pour cause puisque rythme, suspense et jouissance amusée restent constants de la première à la dernière seconde. Comme si “Whiplash” s’avalait d’une traite en une seule et longue expiration... On y suit le parcours difficile d’un jeune musicien de 19 ans qui, rêvant de devenir le meilleur batteur de jazz du monde — rien que ça ! — suit intensivement des cours dans un conservatoire de Manhattan. Son but ultime : faire partie d’un orchestre réputé dirigé par son professeur et mentor. Un fou furieux qui mène ses cours avec une pugnacité quasi ordurière, à la façon du redoutable sergent instructeur du “Full Metal Jacket” de Stanley Kubrick. Colérique, insultant, agressif — mais paradoxalement prof d’exception (d’où ambiguïté ambiante) — ce vieux briscard du jazz ne laisse pas passer à ses élèves le moindre début de fausse note, même si celles-ci sont totalement imperceptibles à des oreilles lambda. L’élève, lui, a la ténacité de Sylvester Stallone dans le premier “Rocky”. Il veut tellement réussir et est dans une telle quête de perfection absolue, qu’il se fait saigner les paumes de main à force de s’entraîner à des solos de