Rock & Folk

VIV ALBERTINE

La guitariste des Slits publie ses mémoires, francs et tranchants comme son jeu de Rickenback­er.

- Isabelle Chelley

Lire “De Fringues, De Musique Et De Mecs” peut susciter, même auprès d’un public averti, habitué aux rebondisse­ments les plus roc(k)ambolesque­s de l’autobiogra­phie rock, une certaine incrédulit­é. Car en matière de réalité plus folle que la fiction, Viv Albertine s’y connaît. Aucun scénariste n’aurait imaginé l’ex-guitariste des Slits, groupe punk tribal et expériment­al féminin, se reconverti­r en prof d’aérobic au début des années 1980. Ou restitué le ton direct du livre, son honnêteté, son mélange de fond et de légèreté. Un ouvrage qui mérite de figurer aux côtés de “Just Kids” de Patti Smith, “Girl In A Band” de Kim Gordon ou “Hunger Makes Me A Modern Girl” de Carrie Brownstein.

Pantalon et veste noirs, boots à talons plats, maquillage discret : Viv Albertine assume son âge avec la même grâce que ses erreurs au fil des pages de son livre. Avant de commencer l’interview, elle nous tend un plan de Paris pour qu’on lui indique nos meilleures adresses de shopping. Le chapitre fringues temporaire­ment expédié, passons à la musique,

après un détour par la première phrase de l’ouvrage : “Pour écrire son autobiogra­phie il faut être un sacré connard, ou alors c’est qu’on est fauché.” Ce qui ne dit pas dans quelle catégorie elle se range... “Les deux. Je me sentais embarrassé­e à l’idée d’écrire mes mémoires. Ce n’est pas punk du tout. On pensait de façon égalitaire, alors pourquoi suis-je spéciale au point d’écrire mes mémoires ? Ce livre est truffé de toutes mes erreurs. Au bout d’un an à le promouvoir, à parler de pipes ratées,

d’avortement, d’être virée de groupes et de boulots, ça ne m’a plus affectée. Ça a été une thérapie formidable. On peut enjoliver sa vie, mais je voulais décrire la vérité. Je ne croyais pas pouvoir être dans un groupe parce qu’aucune fille ne le faisait, je n’avais pas de modèle. Celles qui réussissai­ent étaient très brillantes comme Joni Mitchell. Trop à part pour que je les copie.” Tout fondu de musique se reconnaîtr­a dans la réaction de Viv, 10 ans, découvrant les Beatles avec sa babysitter. “Ça a été une évasion pour moi. J’avais une vie culturelle très pauvre. L’Angleterre dans les années 70 était très froide, le système de classes restait très rigide. Il y avait de la violence chez moi, je n’avais pas de livre, d’accès à l’art. N’importe quoi à cet âge-là aurait pu me faire cet effet. Les Beatles ont été un déclencheu­r. J’ai compris qu’il y avait autre chose, de l’excitation, de la colère puisque ‘Can’t Buy Me Love’ commence par un cri. J’ai eu l’impression qu’il existait un autre monde qu’on m’avait caché.” A 19 ans, elle part l’explorer dans le Londres des squats et traîne avec la future aristocrat­ie punk, de Mick Jones au vicieux Sid, de Vivienne Westwood à Don Letts, avant d’être contactée par les Slits, quatre filles désinhibée­s, avec à leur tête une furie de 14 ans, Ari Up. C’est une bohème crasseuse et fauchée, où la créativité bouillonne. La violence aussi. “C’était terrifiant. En particulie­r à nos concerts. Venir voir un groupe de jeunes femmes et avoir peur d’elles, craindre qu’on saute de scène pour commettre un acte violent ou que le public le fasse, c’était inhabituel.” Pourtant, en lisant l’histoire officielle du punk, on a pu croire que le mouvement avait aboli les différence­s, y compris entre les sexes. Etrange alors que les groupes féminins, Slits inclues, aient été relégués au second plan. “Oui, on a été exclues, Ari en était furieuse. Grâce à internet, on a été redécouver­tes par une jeune génération qui a fouillé dans les archives.” On aborde l’héritage des Slits. “J’en vois des traces parfois. On a été parmi les premières à fusionner les genres musicaux, reggae, world, etc. J’entends l’héritage de mon jeu de guitare et de mon son, mais pas de notre attitude. On ne faisait pas de compromis, on était agressives, on devait l’être, on était passionnée­s, prêtes à risquer notre sécurité, notre séduction, notre argent... Le risque a disparu de la musique.”

Effrayante­s

Pendant six ans, les Slits vont repousser les limites du son et du bon goût, se faire attaquer par des cinglés dans la rue, virer de chambres d’hôtels puis d’Island Records, voir le vent de la révolte tourner, les commerciau­x remplacer les passionnés dans les maisons de disques et finir par jeter l’éponge. Viv Albertine oublie la guitare pour des décennies, une décision qu’on a du mal à comprendre. “L’Angleterre est une île et il n’y avait que deux stations de radio, deux journaux musicaux, c’était très étriqué, dès qu’on avait eu ses cinq minutes de gloire, c’était fini. Margaret Thatcher était au pouvoir. Au lieu de faire du boucan, tout le monde a essayé de vivre comme les Américains. Le pays a muté. La musique aussi. C’est devenu une industrie. La classe moyenne a remplacé les électrons libres, s’est dit qu’elle pouvait faire carrière dans le rock. Quand j’étais dans un groupe, cette attitude était dégueulass­e, à l’opposé de nos aspiration­s.” On la soupçonne donc, hum, d’adorer l’idée que le punk entre au musée pour ses 40 ans. “La dernière exposition à Londres est médiocre. Aucun vrai punk n’a voulu y participer. A l’époque, on nous empêchait de faire des concerts, de passer à la radio, et maintenant, on veut nous mettre au musée ? Allez vous faire foutre. C’est pour cela que Joe Corré (fils de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren) a brûlé toute cette memorabili­a, pour dire : ‘vous ne consignere­z pas le punk au musée.’” No past. Suite logique de no future. La vague de nostalgie n’a pourtant pas épargné les Slits. En 2005, le groupe est revenu sous le nom de New Slits, avec Ari Up et la bassiste Tessa Pollit. Viv Albertine a décliné l’invitation, ne jouant que pour deux concerts. Une expérience à propos de laquelle on la sent mitigée dans le livre, entre plaisir de revoir ses amies et malaise de ne pas retrouver la créativité des débuts. “Je ne suis pas d’accord avec les New Slits. Elles gâchent notre héritage. Tout ce qu’on a fait reste génial... Et c’était impossible de le refaire dans les années 1990. Les gens pensent qu’en voyant les New Slits, ils ont vu les Slits. Pareil pour les vieux Pistols. Si tu n’étais pas là à l’époque, c’est trop tard.” La conversati­on revient sur les fringues, leur lien de toujours avec le rock. “On choisissai­t souvent nos groupes favoris en fonction de leur look et de leurs pochettes.” Idéal pour la future guitariste d’un groupe dont la pochette du premier album, “Cut”, reste iconique. Les Slits, vêtues de pagnes et de boue, regard féroce, plus guerrières que sexy, raccord avec leur musique. Un visuel qui n’a pourtant provoqué aucune controvers­e chez Island en 1979. “Il n’y avait qu’un responsabl­e, Chris Blackwell et s’il validait, c’était bon. Les mecs trouvaient ça effrayant. Et si des filles nues ont l’air effrayante­s, c’est une réussite ! On l’a fait pour deux raisons. On s’identifiai­t à la musique tribale et comme on était des parias dans notre pays, on formait une petite tribu. Et puisqu’on sentait que notre musique serait intemporel­le, on ne voulait pas que nos looks soient datés.”

Vêtues de pagnes et de boue, plus guerrières que sexy

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Livre “De Fringues, De Musique Et De Mecs” (Buchet-Chastel)
Livre “De Fringues, De Musique Et De Mecs” (Buchet-Chastel)

Newspapers in French

Newspapers from France