Rock & Folk

ARNAUD VIVIANT

Ce glorieux ancien des Inrocks et de Libé passe de la rock critique à la politique. Sous étiquette indépendan­te dans les deux cas...

- RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET

“Remonter le fleuve c’est bien plus beau que de partir de la source”

C’est un candidat aux élections législativ­es qui nous reçoit dans son appartemen­t parisien. Arnaud Viviant, mieux connu comme journalist­e (actuel rédacteur en chef de la revue Charles après être passé par Les Inrockupti­bles, Libération) et écrivain (“Le Génie Du Communisme”), se présente en effet dans le 18ème arrondisse­ment de la capitale, sous l’étiquette de lui-même (mais plutôt à gauche de lui-même qu’à droite d’un autre, pour situer), voulant poser un regard libre (c’est son slogan) sur la vie de la cité. Bon courage, camarade ! En attendant le résultat du dépouillem­ent, nous sommes allés chercher dans sa discothèqu­e les raisons d’une telle trajectoir­e et peut-être constater les signes d’une radicalisa­tion prochaine.

Un chef-d’oeuvre tous les jours

ROCK& FOLK : Premier disque acheté ? Arnaud Viviant : En 1975, j’ai 12 ans. J’achète au Monoprix de Tours une compilatio­n de Pink Floyd, “Masters Of Rock”, où sur la pochette le nom du groupe est sculpté en lettres de bois. Il y a tous les tubes de la période psychédéli­que : “See Emily Play”, “Arnold Layne”... R&F : Pourquoi Pink Floyd ?

Arnaud Viviant : Je ne sais pas trop. Mais, truc très important, un ou deux ans plus tard, j’ai une chance extraordin­aire : mon père ouvre un magasin de disques à Amboise. Et j’y vais tous les dimanches matins enregistre­r des disques sur cassette... Toutes les nouveautés. C’est “Charlie Et La Chocolater­ie” ! On est en 1977.

R&F : Et les punks arrivent comme on dit pieusement...

Arnaud Viviant : Je me rappelle très bien d’un reportage de FR3 sur le festival de Mont-de-Marsan et le nouveau phénomène des pounkes comme ils disaient alors. Je tombe là-dessus et ça change ma vie ! Et, aussi, de ce jour où je traîne à la boutique de mon père, une bande de blousons noirs vient demander à mettre un disque. Ils me font un peu peur... Mon père avait une super sono et il leur met à fond “Rock And Roll Heart” de Lou Reed. C’est la première fois que j’entends la voix de Lou Reed...

R&F : Ce n’est pas franchemen­t son meilleur album ! Arnaud Viviant : Oui et c’est l’un des disques que les loureedien­s avertis n’aiment pas trop. Sauf que c’est le disque où il chante le mieux. Dès le premier morceau, “I Believe In Love”, cette voix, je tombe amoureux et surtout je découvre le rock... R&F : Vous ne connaissez pas le Velvet à l’époque ?

Arnaud Viviant : Non. J’ai écrit un article bien plus tard pour un énième hors-série des Inrocks sur le Velvet, où je disais que j’avais eu la chance incroyable de découvrir Lou Reed avant le Velvet. Remonter le fleuve c’est bien plus beau que de partir de la source ! On parle d’une époque où les disques étaient très difficiles à trouver, hein...

R&F : C’est quand même une période fantastiqu­e pour découvrir le rock cette époque, non ?

Arnaud Viviant : Il y a un chef-d’oeuvre tous les jours ! Le premier Cure, le premier PiL, le premier AC/DC... Je n’étais pas très hard rock mais eux c’était plus que du hard rock, c’était une brutalité... philosophi­que (rires). Le premier Devo. le premier Talking Heads, etc. Tous les jours !

R&F : Comment arrive l’envie d’écrire sur la musique alors ? Arnaud Viviant : Je fais un journal au lycée qui s’appelle Pancréas où je tiens la rubrique musique que j’appelle Tampax. Le bon goût ! On gagne quand même le prix du meilleur journal lycéen organisé par L’Etudiant ! J’étais fan de Bayon aussi. J’achetais Libération le mardi uniquement, quand il y avait sa chronique. R&F : La radio ? Arnaud Viviant : C’était l’autre truc. Il y avait l’émission de Maneval, il y avait déjà Lenoir, il y avait les concerts de RTL... Je me souviens de Clash à Mogador en 81... R&F : La presse ?

Arnaud Viviant : Rock&Folk, bien sûr... D’ailleurs, bien que je n’y aie jamais travaillé, je me souviens qu’au début de ma carrière quand je bossais pour Musicien, un magazine qui se faisait dans la salle de ping pong de Rock&Folk, d’avoir vu débarquer une super gonzesse de dos, petit cul moulé à merveille dans un jean bien serré, super cheveux longs... C’était Yves Adrien !

R&F : Vous commencez à écrire dans quel canard alors ? Arnaud Viviant : A la fin de mes études de lettres à Tours, un prof me dit que sa femme bosse au Monde De La Musique. J’envoie des trucs... Premier article publié, payé, c’est sur le premier EP de Noir Désir, “Où Veux-Tu Qu’Je R’garde ?”. Je mets 5 étoiles. R&F : Et en français alors justement vous écoutez quoi ?

Arnaud Viviant : J’ai écouté très jeune Gainsbourg, Brassens, Ferré via mon père... Ma première interview d’ailleurs c’est Gainsbourg pour Le Monde De La Musique mais sous l’angle musique classique. Ma deuxième c’est Bashung pour l’album “Passé Le Rio Grande” qui va très mal se passer. J’en ai pleuré. Je lui posais une question : il rotait. Il allait aux chiottes tout le temps. C’est le photograph­e qui a terminé l’interview.

R&F : Comment arrivez-vous à Libé ?

Arnaud Viviant : Après Le Monde De La Musique je bosse à Musicien, donc, avec Yves Bigot. Mais bon, ça parle beaucoup de technique et moi je ne suis pas musicien donc à un moment Bigot me dit :

“Tu devrais aller à Libé”. Honnêtemen­t, je pensais que j’avais pas le niveau. Alors j’attends qu’un album sorte sur lequel je puisse vraiment montrer ce que je vaux ! Et ça va être “New York” de Lou Reed, en 1989. J’envoie le papier à Bayon, mon idole... Un mois après, je vois en accroche sur la une l’annonce de mon papier. Double page. R&F : Hosanna ! Arnaud Viviant : Ma première légion d’honneur, c’est un mois plus tard, je suis en voyage de presse à New York et je rencontre Laurent Chalumeau, alors correspond­ant US de Rock&Folk, qui me dit : “Ton papier sur Lou Reed est un chef-d’oeuvre”. Lui que je lis depuis que j’ai 15 ans ! Et qui a eu cette formule formidable sur le Velvet : “Les Beatles de ceux qui avaient lu Bataille”. R&F : S’ensuivent vos années Libé... Arnaud Viviant : En fait, Bayon voit les Inrocks monter et me confie tout le rock indie de l’époque. Il me dit : “Tu fermes l’angle à mort. Tu parles des groupes qui sortent 100 exemplaire­s à Paris”. Genre, les Feelies. R&F : Vous tenez cette chronique en pleine explosion du grunge, donc... Arnaud Viviant : Oui. Et au-delà de Nirvana, tout ce qui est Sebadoh, Sugar, Yo La Tengo, Pavement... R&F : Le lo-fi plutôt. Arnaud Viviant : Oui. Au début des années 90 je préfère les américains aux anglais. Tout ce qui est Sarah Records ça n’a jamais été ma tasse de thé. Le côté vaporeux que les anglais ont à ce moment-là.

R&F : En même temps c’est un peu l’ADN des Inrockupti­bles, pour qui vous allez bosser, ce que vous décrivez là ? Arnaud Viviant : J’aime bien les Smiths, oui... Mais enfin les Inrocks parlaient surtout des groupes dont ne parlaient ni Best, ni Rock&Folk. Par exemple Nick Cave... En plus, l’objet était magnifique et on pouvait y faire des interviews de 40 000 signes. Je fais Gérard Manset, puis encore Bashung avec qui ça se passe mieux que la première fois. R&F : Est-ce qu’on peut parler d’une esthétique Inrocks ?

Arnaud Viviant : Déjà, il y a trois journalist­es qui viennent de Tours dans une rédaction qui en compte, au début, onze : JD Beauvallet, Emmanuel Tellier et moi... Il n’y a pas de scène musicale à Tours, du coup on est devenus critiques plus que musiciens ! Après oui, on avait le même âge, on aimait tous les mêmes choses, même au-delà de la musique : Leos Carax par exemple... On ne pensait pas à la thune. Et puis c’étaient des belles vies. Etre critique de rock entre 23 ans et 33 ans, c’est le plus beau job que tu puisses avoir.

R&F : La réaction contre le Rock&Folk de l’époque était clairement établie ?

Arnaud Viviant : Pas forcément. Mais c’est sûr qu’on se sentait plus proches des shoegazers, qu’on la jouait profil bas, et qu’on avait choisi comme baseline la citation de Jacques Tati : “Trop de couleurs distrait le spectateur”... Du punk minimalist­e, quoi. En rock français ça donne le premier album de Dominique A, le seul mec que j’ai découvert de ma carrière. R&F : Et du côté anglo-saxon, quel est l’album emblématiq­ue de cette époque ? Arnaud Viviant : Le premier Sebadoh, que j’appelle “la cathédrale du grunge”. Et aussi “Loveless” de My Bloody Valentine qui repoussait littéralem­ent les murs de ma chambre. Et je n’ai pas pris de drogues

avant l’âge de 40 ans ! R&F : Cette époque vous manque ?

Arnaud Viviant : Je vivais comme un Baudelaire qui aurait eu de la chance. Je recevais tout... 80 disques par semaine ! Ecouter un disque c’est bien plus difficile que lire un livre. Qu’est-ce qu’il se passe dans un disque ? Est-ce qu’il apporte quelque chose ? Je voyais aussi beaucoup de succédanés dans la production, il y aura toujours les soussous-sous Rolling Stones... Je me suis emballé aussi parfois... R&F : Par exemple ? Arnaud Viviant : Dr Phibes & The House Of Wax Equations. Une espèce de retour

de rock psyché avec un grand Noir à la guitare genre Hendrix. Bon, le groupe a immédiatem­ent disparu... R&F : Comment vous faites-vous alors rattraper par la politique ?

Arnaud Viviant : J’arrête de faire critique rock en 1995 quand on me propose la chronique télé de Libé. Et la télé, qu’on le veuille ou non, est une fenêtre sur le monde. Je sors alors le nez de mes disques, je rentre dans le monde. R&F : Rock et politique font-ils bon ménage ? Arnaud Viviant : Quand tu vas voir Lou Reed à New York tu ne t’emmerdes pas avec les problèmes sociaux. Même si le rock peut être le vecteur d’une politisati­on, par exemple avec les Clash...

R& F : Est- ce que ça ne donne pas surtout de mauvaises chansons ? Arnaud Viviant : Non. Quand Trump a été élu je me suis immédiatem­ent dit que ça allait donner de bons trucs, en rock et en rap... R&F : Vous avez toute une théorie sur la notion de groupe...

Arnaud Viviant : Oui car c’est le rock qui a inventé ça... Et c’est éminemment politique. Le jazz, c’est l’orchestre et, donc, le chef d’orchestre, ce n’est pas pareil. Le groupe c’est une autre façon de jouer. On le voit clairement avec les Beatles ou les Clash. Il y a un côté collectivi­ste, proche de l’autogestio­n, même si il y a des leaders. On parle aujourd’hui, d’“intellectu­el collectif”. Le rap ne fonctionne pas comme ça, l’electro ne fonctionne pas comme ça.

Mick Jagger à la maison de la presse

R&F : Beatles ou Stones ?

Arnaud Viviant : J’étais plus Stones que Beatles, ma sympathie allant aux vivants. C’est en vieillissa­nt que j’ai commencé à m’intéresser aux morts. Je n’ai découvert le double blanc que dans les années 90. Un choc. Pour moi, les Stones c’est “Some Girls” que j’ai adoré dès sa sortie, et qui est toujours un de mes disques préférés. Mick Jagger avait une propriété près d’Amboise où mon père avait son magasin de disques. Un jour, il est revenu tout excité. Il avait croisé Mick à la maison de la presse, où celui-ci feuilletai­t des revues de jardinage. R&F : Le rock est-il mort ?

Arnaud Viviant : Il est momentaném­ent fini. Il faut qu’il retrouve ses moyens de production. Il faut des petites structures, des petits labels. Que toute la chaîne soit minimale, coûte trois francs-six sous... Le retour du vinyle est très intéressan­t de ce point de vue-là. Le rock ne peut se ré-imaginer que comme ça.

R&F : Aujourd’hui vous écoutez quoi ?

Arnaud Viviant : Je vais à la médiathèqu­e, comme un vieux con... Je prends plein de trucs. Là, par exemple j’ai pris cette anthologie de Jah Wobble, “I Could Have Been A Contender”. Je trouve ça absolument génial. Je m’intéresse beaucoup au Miles Davis des années 70 aussi. R& F : Quel serait votre album malaise, celui qui vous fait un peu honte ? Arnaud Viviant : J’adore Lou Reed, mais il y en a quand même deux qui ne sont pas terribles : “Growing Up In Public” et l’autre où il est avec un joystick, “New Sensations”. R&F : Et votre album d’île déserte ?

Arnaud Viviant : Ca va surprendre, mais “Animals” de Pink Floyd. La connexion avec “La Ferme Des Animaux” d’Orwell est hyper intelligen­te. Le son est parfait. Je le réécoute toujours.

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