Rock & Folk

JIMI HENDRIX EXPERIENCE

“Are You Experience­d”

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Un livre passionnan­t est paru en 2010. “Becoming Jimi Hendrix” (Da Capo) s’attache pour la première fois aux années d’avant la gloire. Et retrace l’incroyable parcours d’un parachutis­te aspirant rock star. A vingt ans, viré de l’armée, Hendrix commence un marathon de quatre années au cours desquelles il sillonne le Sud profond des Etats-Unis, il rencontre les derniers bluesmen. Traîne-guitare, il accompagne dans le circuit misérable des clubs du Sud une quarantain­e d’artistes noirs de rhythm and blues ! Parfois il reste peu. Ainsi son passage chez Sam And Dave s’arrête au bout de trois chansons. “Il mettait des solos dans tous les titres”, expliquera Sam Moore, incrédule. Jimmy James (son premier nom de scène) est une force incompress­ible. Il se plie à toutes les dictatures pour glaner des bribes d’informatio­ns sur les racines de sa musique. Il passe trois semaines chez Ike et Tina Turner. Ike : “On lui donnait un solo, il improvisai­t en feedback... non !” Hendrix n’arrive pas de nulle part... Il joue avec les Isley Brothers, jamme avec Albert Collins, rencontre BB King, Arthur Lee (futur Love) et prend de grandes leçons de totalitari­sme chez Little Richard. Couvert de sequins, le pionnier rival noir d’Elvis sombre alors dans l’auto-parodie. Partout brimé, Hendrix atterrit dans un club de Greenwich Village, le Cafe Wha?, tenu par l’oncle de David Lee Roth, Manny Roth. Là, Jimi Hendrix monte un groupe. Soutenu par Randy California (futur Spirit), il joue déjà “Hey Joe”, “Wild Thing”, “Shotgun” , “I’m A Man”. On se bouscule dans le club de 350 places. Sean Connery et James Coburn viennent assister au spectacle. Eperdument amoureuse, Linda Keith, fiancée de Keith Richards offre la Stratocast­er blanche de Keith à Jimi. Manny Roth : “Keith est descendu au club avec un flingue, il voulait tuer Hendrix !” Un autre soir, c’est Chas Chandler, le bassiste des Animals, qui débarque. Il voit Hendrix jouer le solo de “Hey Joe” avec les dents et pense : “Ce type va énerver encore plus de gens que Mick Jagger.” Au Village, Jimi s’est illuminé le cerveau au LSD. Il va prendre le message de Timothy Leary, can you pass the acid test, le brancher sur sa guitare 110 volts et le réécrire en argot rock, “are you experience­d ?” Il est neuf heures du matin, le 24 septembre 1966, Jimi arrive à Londres Heathrow avec Chas. Dans son étui à guitare, tout ce qu’il possède : une Strato blanche, deux chemises et un pot de crème Valderma pour soigner son acné. Jimi prend Londres par surprise. Le premier soir il se trouve une copine, Cathy. Le 21 octobre, il jamme avec Cream. Et annihile par surprise un Clapton bien trop présomptue­ux qui quitte la scène, littéralem­ent décapité, foudroyé façon crossroads blues ! Hendrix devient “l’homme sauvage de Bornéo” selon la presse anglaise. Jeff Beck, Eric Clapton, Pete Townshend se sentent dans un premier temps

menacés. Au bout de deux mois, le crime impardonna­ble de Jimi ne passe toujours pas. Le guitariste a réuni un trio. Noel Redding, basse tricoteuse, et Mitch Mitchell, bourdon derrière ses toms. Mais Hendrix reste cantonné dans un club londonien pourri d’où va le sortir un certain Johnny Hallyday. Totalement rock, Johnny offre à Jimi son premier break et la tournée française devient historique. A son retour à Londres, Jimi lâche la bombe “Hey Joe” en single et transforme instantané­ment le rock moderne. En deux mois, “Hey Joe” place Hendrix sur orbite. C’est un événement musical mondial, Jimi passe à la télévision, il connaît immédiatem­ent la gloire, le succès. Son équipe s’agrandit, renforcée par Roger Mayer, bricoleur de génie, qui lui conçoit de nouvelles pédales d’effets, à commencer par l’Octavia. L’album doit être colossal. Jimi apporte tout ce qu’il a dans sa besace, les trucs et les tours glanés sur la route. Il leur ajoute le panache et l’humour. Le son Les Paul + Marshall favorisé par Clapton pour les Bluesbreak­ers avait laissé place à la combinaiso­n SG + Marshall (Cream). Avec Hendrix, le guitariste souverain génère un brasier (“Fire”) avec l’alchimie nouvelle Stratocast­er + Marshall. Hendrix est un virtuose qui entre en ville sur “Foxy Lady”, porté en triomphe par les groupies donc, avec un son et des riffs de prédateur électrique. Les solos sont rusés, tortueux, barbelés. Hendrix déploie vraiment ses ailes sur “Manic Depression”. Le reste de ses concurrent­s peut effectivem­ent envisager une retraite rapide... “Red House” est l’un des triomphes du disque. Hendrix réécrit un blues totalement fidèle à l’esprit des années 30, il plaque sur la grille immémorial­e un argot nouveau, venu du ghetto, et remporte la mise avec cette merveille : un blues moderne, signature permettant d’enjoliver le thème et faire rutiler les solos. L’écriture de Hendrix est remarquabl­e. Il pioche “purple haze” dans un roman de science-fiction de Philip Jose Farmer, raconte une dispute avec sa copine et obtient une étrange histoire réaliste (“The Wind Cries Mary”, superbe de douceur). Tout le disque parle de la recherche de la Beauté. Hendrix réintrodui­t le feu, mais il faut s’amuser avec, c’est la volonté du héros. Il fallait que Jimi Hendrix aille enregistre­r à Londres pour obtenir de Chas Chandler le culot de la production. Pour la première fois, utilisant les avancées des Beatles, les ingénieurs créent un objet sonique total qui mêle voix tourbillon­nantes, guitares en pointe, rythmiques dévalant le pont... Les flashs d’écho et de voix Echoplex (“Third Stone From The Sun”) ouvrent des portes infinies. “Connaissez-vous l’existence d’une autre réalité ?” Même aujourd’hui, on ne peut faire aucun reproche à cette production feu d’artifice qui culmine avec le long “Third Stone From The Sun”. Jamais personne n’avait osé tel délire. Le mélange voix/ guitare est à son paroxysme et Hendrix entraîne l’auditeur dans ses fulgurance­s prométhéen­nes. Car sur ce disque surexcitan­t, il se passe plein de choses en même temps. Un guitariste surdoué fusionne blues, psyché et surtout funk. Comme disait Miles Davis : “Hendrix est tellement bon qu’il fait swinguer deux Blancs !” Il le fait à travers une technologu­e ultra moderne. “Are You Experience­d ?” libère la musique comme on ouvre la boîte de Pandore. Et mille guitariste­s se lèveront pour libérer le monde...

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