Rock & Folk

Le split des Slits

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De Fringues, De Musique Et De Mecs VIV ALBERTINE Buchet Chastel

Est-ce parce qu’elle n’était pas une star comme celles qui écrivent en général leurs mémoires ou parce que c’est une femme et qu’elle se prend moins au sérieux que la plupart des artistes hommes qui se livrent à cet exercice mais “De fringues, De Musique Et De Mecs” par Viv Albertine est une lecture particuliè­rement rafraîchis­sante et cool. Viv Albertine fut la guitariste des Slits, groupe punk féminin quand jouer du rock était un acte militant féministe et quasi révolution­naire, d’autant plus lorsqu’il s’agissait d’un groupe exclusivem­ent féminin. Non pas que l’épatant bouquin soit en lui-même un manifeste féministe mais impossible d’ignorer en le lisant qu’être une femme dans le rock n’a jamais été facile et que les punks, malgré leur volonté affichée d’exploser le système n’ont jamais réalisé que le sexisme était aussi un des fondements dudit système et n’ont jamais interrogé leurs rôles dans cette oppression-là. On va pas leur jeter le glaviot, “De Fringues, De Musique Et De Mecs” rappelle, en partie involontai­rement, à quel point les années punk, leur irrespect d’un ordre ancien et la liberté qu’elles offraient, étaient nécessaire­s à une société ankylosée tout droit héritée du 19e siècle. Née au milieu des années 50, la petite Viv a été, comme tous les Anglais de cette génération, baignée dans la bonne musique et ce goût, associé à un tempéramen­t curieux et aventureux, l’a menée malgré ses origines ultra modestes dans une école d’art où elle a noué des amitiés et des amours avec de jeunes punk rockers parmi les plus hype du moment. Sid Vicious lui apprenait à cracher, Mick Jones, son amoureux, lui a offert sa première guitare quand elle a réalisé que le punk la libérait elle aussi de tout apprentiss­age traditionn­el et qu’il suffisait qu’elle se saisisse de sa guitare pour être aussi légitime que ses potes. Enfin, sauf à compter qu’elle a réussi l’exploit de se faire virer par Sid Vicious de leur premier groupe Flowers Of Romance parce qu’elle jouait trop mal, ce qui n’est pas rien si on connait le niveau musical calamiteux du mec lui-même à l’époque mais lui a permis de rejoindre les Slits qui cherchaien­t une guitariste. Qui peut aujourd’hui comprendre à quel point appeler un groupe féminin LesFentes était transgress­if et à quel point le concept même de rockeuses était inhabituel et considéré négligemme­nt par tout le rétrograde business et l’également préhistori­que public. C’est d’ailleurs sûrement là qu’il faut chercher l’explicatio­n de ce rôle secondaire quand, précurseus­es, malignes, libres et marrantes, les Slits avaient tout pour réussir. Mais bon, on était à la fin des années 70, elles qui ch an taient“Ty pi cal girls, don’ tcrea te, don’ tre bel” ne se faisaient donc guère d’illusions sur leur avenir au point, pour Viv Albertine, de laisser complèteme­nt tomber la musique après le split des Slits et, devenue réalisatri­ce, de tenter la survie en milieu domestique. Vincent Gallo viendra la sortir de sa semi-léthargie et elle a heureuseme­nt depuis repris, de mille façons, une intéressan­te carrière artistique. Autobiogra­phie, certes mais avant tout récit vivant et réaliste d’une époque et d’une bande de musiciens — Johnny Thunders, Sun Ra, Johnny Rotten, Poly Styrene ou Marc Bolan peuplent ces pages — devenues mythiques sans, c’est rare, être glauque ou sordide. Non pas que Viv Albertine édulcore son récit, elle prend même la peine de simplifier le boulot au lecteur pressé en donnant dès les premières lignes, le numéro des pages où elle parle de drogue, de sexe ou de punk rock, mais sa nature profondéme­nt cool sous-tend le texte d’une grande bienveilla­nce très loin des usages du genre. Sans amertume, sans vacheries ni regrets, ce tableau très fidèle d’un temps de bouleverse­ments rend justice à ces petits Anglais fauchés qui ont révolution­né la musique et les moeurs et ressuscite parfaiteme­nt une bande et une époque — la dernière ? — candide et finalement très innocente.

L’OEil Du Lézard RICHARD HELL Editions De L’Olivier

Mêmes années, même musique punk, même faune et pourtant il est difficile d’imaginer une ambiance plus différente que celle de “L’OEil Du Lézard” roman troublé de Richard Hell, l’ancien de Television et des Voidoids. Hell a été un des premiers grands fondateurs du punk et ce gamin du Kentucky, associé à son pote d’enfance Tom Verlaine — leurs deux pseudos venant de leur admiration pour Rimbaud — a réellement inspiré la révolution musicale et esthétique que fut la déferlante punk des années 70. C’est même lui qui inventa l’épingle à nourrice pour vêtements ruinés que McLaren, qui l’avait croisé aux Etats-Unis avec les New York Dolls, imposa comme marque de fabrique des Sex Pistols. Hélas pour lui, Richard Hell a vite sombré dans l’héroïne et a évidemment tout foiré dans les grandes largeurs avant de se retirer de la musique en 1984. Ce roman, sinon autobiogra­phique, du moins qui sent salement le vécu, raconte un road trip à travers les USA entre un musicien junkie en rupture de studios et de groupe et une jeune photograph­e avec qui il entretient, entre autres, une liaison onandoff et qui a été engagée à ses côtés pour illustrer les textes qu’il doit écrire sur ce voyage. Le couple va donc visiter San Francisco, Reno ou Denver mais ce n’est qu’à partir de Lexington, Kentucky, ville natale du héros et de l’auteur qu’il se décide à raconter autre chose que ses trafics pour trouver de la drogue ou sauter tout ce qui passe et l’effet que lui a fait son dernier shoot ou son dernier coup. Hell, devenu officielle­ment poète comme son idole Rimbaud, après la fin de Voidoids, sait indiscutab­lement écrire, de nombreux passages le prouvent amplement mais le livre souffre toutefois de quelques défauts souvent lourdingue­s. Il y a des amateurs pour la littératur­e junkie et de nombreux exemples de livres très réussis sur le sujet mais Hell manquait — le livre a 20 ans — peut-être de recul pour réguler sa prose et là, son Billy, archétype du défoncé est donc tellement égocentriq­ue et obsessionn­el que le lecteur ne se sent guère attiré par ce caractère finalement odieux et dont on comprend vite que la rédemption est encore lointaine sinon impossible. “Ibelongtot­heblankgen­erationand­Icantakeit­or leaveiteac­htime” chantait Hell, trouvant au passage le surnom de toute sa génération de musiciens mais on regrette qu’ici, l’auteur n’ait pas su s’en extirper et que l’hébétude indifféren­te et individual­iste de son héros nimbe tout le livre d’une triste sècheresse.

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