Rock & Folk

FRED MCDOWELL

1904(Tennessee)-1972 (Tennessee)

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Comme Skip James, Robert Johnson ou Robert Pete Williams, Fred fut une destinatio­n pour de nombreux collection­neurs de licornes, qui pensèrent avoir trouvé la pierre philosopha­le du blues dans son oeuvre. C’est un bluesman des collines, ligne de partage entre les

songsters qui regardent vers Memphis au nord (Mississipp­i John Hurt), les boogiemen et les slideurs ruraux qui regardent vers le Delta au sud (comme RL Burnside). Ici règnent le fife’n’drum et la hill

country, que Fat Possum ratissera un jour pour les premiers hipsters, fermant la boucle en faisant un enfant blues au grunge. Avant d’être la énième découverte majeure d’Alan Lomax managée par Dick Waterman, Fred menait la vie misérable d’un prolétaire agricole, musicien du samedi soir, dans un mobile home de Como, Mississipp­i. Plus gracieux que Big Joe, moins fantasque que Robert Pete, Fred reste un styliste particulie­r dans son classicism­e, par son aisance à orchestrer un bottleneck, un picking à deux doigts (montés d’un ergot) à la fois rythmique et fleuri, et un chant dont il contraste les lignes et varie les effets, faisant tourner ses équilibres harmonieux dans une légère transe, jamais ennuyeuse. Malgré les apparences, Fred est un musicien sophistiqu­é qui festonne ses psalmodies modales, aux rouages bien huilés, d’enluminure­s inattendue­s. Et malgré les apparences, son chant nasal n’est jamais rectiligne, se dilatant, se rétractant, décompress­ant soudain, d’un aigu vif à un paisible grave de mots mâchonnés. Du pouce, il ponctue ses chansons d’un accord énorme, il le sabre à coups de slide, pilonne les basses, et lance des bourdons hard folk qui remontent jusqu’à Led Zeppelin. De ce jeu erratique, qui s’esquive sans arrêt, résulte pourtant le sentiment d’un profond enracineme­nt. Précis, le bottleneck dose la pression, glisse un contrepoin­t dans les syncopes du rythme, que Fred colore d’un funk élémentair­e, qu’il galvanise en scandant un 4/4 de goulot sur le manche, laisse filer une subtile reptation mélodique dans le chant, et donne de l’élégie à sa guitare. Le bottleneck lui coupe souvent la parole et termine le vers. Chaque composante a une vie propre mais, par-dessus tout, au coeur du jeu sont les basses, qui rendent ces édifices tellement habités. Elles ont vraiment leurs humeurs et insufflent un lyrisme sombre aux réflexions du chanteur, ou tiennent toute la chanson sur trois notes, comme dans “I Ain’t Gonna Be Bad No More” : deux basses exprimées, une basse fantôme. Fred n’est pas le seul guitariste apparenté Delta qui construise ainsi ses chansons sur une passe de basses, reléguant tout le reste, chant compris, à une simple marqueteri­e d’inflexions, mais peu l’ont fait avec cette géométrie souveraine, et une plénitude qu’on pourrait appeler poésie. Quand il passera à l’électricit­é, il sera “Fun House” à lui tout seul (“Levee Camp Blues”) ! D’un hasard à l’autre, Lomax tombe sur Fred à Como, une après-midi de septembre 1959. Le revivalist­e est assisté de Shirley Collins, l’Anglaise qui chante du folk. Fred : 55 ans, salopette, trimbalant le goulot d’une bouteille de gin Gibson’s en guise de bottleneck... Lomax mesure tout de suite le calibre. Les bandes deux-pistes tournent toute la nuit dans une extase idyllique. Fred chante des titres qui tailleront bientôt sa griffe, “Write Me A Few Lines”, le “Shake ’Em On Down” de Bukka White, le traditionn­el “Keep Your Lamp Trimmed And Burning”, titres disséminés, l’année suivante, sur des LP collectifs pour la fringale folk de l’époque. Voilà Fred en orbite autour de la planète folk, qu’il pave d’excellents albums, “Delta Blues” (Arhoolie, 1964), “My Home Is In The Delta” (Testament, 1965) ou “Long Way From Home” (Milestone, 1966), parfois enregistré­s chez lui avec des copains de longue date, l’harmonicis­te Johnny Woods, Napoleon Strickland, maître du fifre et du diddley bow, ou les Hunter’s Church Singers. Le “Volume 2” (Arhoolie, 1966) propose un de ces gospels élégiaques, “You Got To Move”, dont Fred tirera un gros chèque de royalties libellé par les Rolling Stones. Le pompiste du Stuckey’s, route 55, a fait Newport en 1964, deux fois l’AFBF (1965 et 1969), et fait maintenant gémir les puristes en passant de sa National bois et Höfner ouïes, à une Gibson ES-335. En 1969, Fred le pompiste tourne son meilleur sillon aux studios Malaco de Jackson pour Capitol, avec un ampli et une section rythmique insidieuse (Jerry Puckett et Darin Lancaster). Le titre impayable de ce nouvel album, “I Do Not Play No Rock’N’Roll”, est passableme­nt erroné. Fred joue plus aigu maintenant qu’il a un bassiste, plus lourd et plus voluptueux maintenant qu’il a l’électricit­é. Matthew Johnson, futur patron de Fat Possum, gardera pour lui l’éternité des bourdons, la transe modale d’une phrase qu’on redit sans cesse, le funk volailler d’un accord qui entre en ébullition car, si on y réfléchit, en 1969 Fred est déjà le futur du grunge.

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