Rock & Folk

ANNA CALVI

Guitariste impression­nante, chanteuse hors pair et, désormais, prédatrice, l’Anglaise s’en revient avec un troisième album.

- Jean- William Thoury

Le label anglais Domino abrite les Arctic Monkeys et Franz Ferdinand mais aussi de nombreux artistes plus difficilem­ent classables, dont Anna Calvi. Née en 1980 à Twickenham, elle apprend le violon avant de choisir la guitare. Des chansons ne répondant pas aux standards habituels, une façon personnell­e de traiter la Telecaster et — malgré un physique de sylphide — une voix puissante la distinguen­t dès ses premiers enregistre­ments. Après “Anna Calvi” (2010), “One Breath” (2013), “Sandman” (un opéra pas encore enregistré), elle présente un nouvel album, “Hunter”.

Fil rouge

ROCK&FOLK : Un fil rouge semble relier tous les morceaux, une volonté d’anéantir les barrières liées aux genres ?

Anna Calvi : Je pense qu’il est important que les gens ne soient pas forcés à tenir des rôles de féminité ou de masculinit­é. C’est une chose que je ressens à l’intérieur de moi, être une femme, je sais ce que cela signifie, ce qui est attendu de moi. C’est un jeu auquel je refuse de participer. R&F : Vous vous sentez prisonnièr­e ? Anna Calvi : Non, pas prisonnièr­e, mais limitée par les stéréotype­s. R&F : Vous tentez de briser des barrières, qu’elles soient musicales ou sociales, par exemple quand vous chantez “I’ll Be The Boy”(dans “Chain”) après “I’ll Be Your Man” (dans “Anna Calvi”) ou “I’m The Man That Will Find You” (EP “Strange Weather”) ? Anna Calvi : Pour “Chain”, je souhaitais que la musique exprime cette dynamique qui naît du désir que ce soit pour un garçon ou pour une fille. Dans “As A Man”, j’essaie d’imaginer ce que c’est qu’être un homme, par identifica­tion. J’ai toujours vécu dans un corps qu’on peut qualifier de femelle, mais tout ne correspond pas forcément à la déterminat­ion physique, beaucoup de gens se sentent en porte-à-faux. Avec “Don’t Beat The Girl Out Of My Boy”, phrase qu’on peut prendre de manière littérale, j’exprime la même idée : ne pas se sentir enfermé dans une catégorie spécifique. Les hommes devraient avoir la liberté d’être aussi féminins qu’ils en ont envie.

R&F : Dans la chanson “Hunter”, vous évoquez de nouveaux goûts...

Anna Calvi : C’est une chanson sur le fait de sortir et avoir du plaisir. Il m’a paru important non seulement de ne plus être dans le rôle de la proie, mais de pouvoir partir en chasse, être le chasseur. R&F : Quel serait le plus bel exemple de solo sauvage ? Anna Calvi (longue réflexion) : “Voodoo Child”, Jimi Hendrix Experience. R&F : A l’opposé, “Swimming Pool” sonne impression­niste, aquatique, quand “Eden” évoquerait plutôt un paradis perdu. Anna Calvi : “Eden” se réfère à l’enfance, à la jeunesse, à toutes les questions qu’on se pose. “Swimming Pool” m’a été inspiré par les peintures de David Hockney qui représente­nt des piscines. A cette époque, dans les années 1960, l’homosexual­ité était encore considérée comme honteuse mais lui n’a pas hésité à peindre des hommes. J’ai tenté de retrouver en partie ce sentiment.

Réinterpré­tations

R&F : On apprend beaucoup sur un artiste par le choix de ses reprises. Le vôtre est particuliè­rement éclectique. S’y mêlent morceaux anciens et récents, de styles parfois éloignés, “Baby It’s You” (Shirelles), “Wolf Like Me” (TV On The Radio), “Fire” (Robert Gordon), “I’m The Man, That Will Find You” (Connan Mockasin), “Ghost Rider” (Suicide), “iT” (Christine & The Queens), “Strange Weather” (Keren Ann)... “Surrender” est adapté d’un air napolitain des années 1900, “Torna A Surriento” ; et Frankie Laine était d’origine italienne, comme vous... Anna Calvi : Oui, mon père est italien. J’ai d’abord connu “Jezebel” par Edith Piaf, je préfère sa version à celle de Frankie Laine. Quant à “Surrender”, c’est tout simplement parce que je suis depuis toujours une grande fan d’Elvis Presley. Je ne connaissai­s pas Keren Ann, c’est David Byrne, avec qui j’ai enregistré le EP à New York, qui a choisi ce morceau.

R&F : Il est étrange d’interpréte­r “Joan Of Arc” de Leonard Cohen en instrument­al, alors que les paroles sont si importante­s.

Anna Calvi : Tant de gens l’ont chanté avant moi que j’ai cherché à me différenci­er. L’univers qu’il décrit avec ses mots, j’essaie de le faire avec l’instrument. Plus qu’une cover comme on dit, c’est une réinterpré­tation.

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