Rock & Folk

MILES KANE

Après l’escapade Last Shadow Puppets, l’homme de Liverpool relance une carrière solo qui patinait quelque peu. Résultat : un troisième album post-rupture, post-punk et réussi.

- Jérôme Reijasse

RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE

MILES KANE EST DE RETOUR. On a d’abord du mal à le reconnaîtr­e dans cette salle d’un hôtel parisien proche de la gare de l’Est un jour de canicule. Grosses lunettes de soleil, look de dealer des années 80, il attend les journalist­es français goguenard, en buvant une eau gazeuse. “Coup De Grace”, son nouvel album solo, devrait en surprendre plus d’un. Rock’n’roll, glam, punk, pop, Miles Kane mélange l’histoire musicale de son pays et déchire les époques sans vergogne et le résultat est absolument enthousias­mant. Coécrit avec Jamie T, du côté de la Californie, avec Lana Del Rey en invitée, ce disque est une chambre d’enfant qu’il ne faudrait jamais ranger, un foutoir jubilatoir­e, oui. Le songwriter anglais n’a pas perdu son sens de la mélodie d’invasion, du refrain fraternel, il a simplement épuré son monde, supprimé quelques pistes et quelques couches pour viser directemen­t le coeur. Le dandy s’est mué en trublion. “Coup De Grace” plane au dessus de la perfide Albion avec une liberté et une envie énormes. C’est simple : une chanson = un tube potentiel. Si l’on tend bien l’oreille, on devine que durant la compositio­n, Miles Kane a certaineme­nt traversé quelques tempêtes personnell­es, des coeurs brisés ou contrariés se glissent dans le paysage, ici ou là, des poings se serrent, des rires éclatent, des nuits refusent d’abdiquer, des soleils explosent. Ce disque est un caprice qui n’exige aucune punition.

Recoucher avec une ex

ROCK&FOLK : Pourquoi un titre en français pour cet album ? Miles Kane : Ce n’était pas vraiment prémédité. J’aime vraiment beaucoup

cette expression, coup de grâce. Et elle vient surtout de Finn Bálor, mon catcheur préféré. C’est le nom qu’il donne à son attaque définitive. On était en train de répéter ce titre avec mes gars. On avait déjà les couplets mais pas encore le refrain. Je me suis alors mis à chanter “coup de grace”, comme ça, presque comme une blague. Comme je l’avais déjà fait à l’époque avec la chanson “Inhaler”. Je n’avais pas le refrain et j’ai aperçu en pleine répète mon inhalateur sur la table et boum, je m’étais mis à répéter ce mot en boucle... Bref, on est finalement resté là-dessus... Et tout le monde ne me parle plus que de ça. Pour être tout à fait honnête, j’ignorais ce que ça voulait dire exactement. Je me suis renseigné et j’ai trouvé ça super cool. La fin, le coup fatal. C’était parfait pour un titre d’album, non ? Et puis, si j’avais opté pour l’anglais, avec un titre comme “The Final Blow” par exemple, ça aurait fait trop heavy metal, ou trop emo (rires)... Et puis, ce titre faisait un lien direct avec ma vie privée à ce moment-là... Ça collait.

R&F : Ce titre contient-il également une sorte d’arrogance amusée ? Miles Kane va mettre tout le monde d’accord, quelque chose de ce genre-là, comme sur un ring de catch ?

Miles Kane : Non, je n’ai pas pensé à ça... Mais je pense que cet album est un très bon album. Et même si je ne veux vraiment pas passer pour le mec qui considère tout le reste comme de la merde — ça n’a jamais été mon genre de mépriser les autres — cet album est très fort, intense et je suis persuadé que sur scène, je suis le meilleur. Personne ne peut rivaliser avec moi en concert !

R&F : Il y a quatre ans, vous aviez dit en interview que vous n’étiez pas le meilleur songwriter anglais. Le temps semble avoir fait son oeuvre...

Miles Kane : Putain, c’est moi le meilleur aujourd’hui (rires)! Plus sérieuseme­nt, il s’est passé pas mal de choses durant ces quatre dernières années. J’ai 32 ans. J’ai ressenti un vrai changement dans ma vie, sans parvenir véritablem­ent à l’expliquer. Cela fait trois ans que j’habite à Los Angeles. J’ai commencé à écrire des chansons pour ce disque juste après la sortie de “Don’t Forget Who You Are”. Et puis, on a fait avec Alex l’album des Last Shadow Puppets. Après ça, quand j’ai réécouté les chansons sur lesquelles j’avais déjà travaillée­s, elles n’avaient plus rien de spécial pour moi. Elles n’étaient pas très bonnes en fait. Ouais, c’était comme de recoucher avec une ex (rires), exactement ! Je me suis donc remis à écrire. “Silverscre­en”, “Coup De Grace” me sont venues assez facilement. Et puis j’ai eu un vrai blocage. Perte totale de confiance. Je ne savais pas vraiment la direction que je souhaitais prendre... J’avais beaucoup de mal à me concentrer. Ma vie personnell­e était alors, disons, un tantinet chaotique... Jusqu’à ma rencontre en janvier dernier avec Jamie T. Il vient de Londres, moi de Liverpool, on a le même âge, on a commencé en même temps. On se fréquente depuis une dizaine d’années. Il est venu donner un concert à Los Angeles et il m’a dit: “Je reste une semaine, on pourrait peut-être essayer d’écrire tous les deux...”

“J’adore Ryan Gosling ! J’ai pleuré devant ‘La La Land’ ”

R&F : Vous aviez besoin d’aide et Jamie T tombait à pic ?

Miles Kane : Exactement. J’avais besoin d’un coup de pied au cul, quelque chose dans le style... Je lui ai alors fait entendre la démo de “Silverscre­en”, il a adoré et m’a conseillé de poursuivre dans cette direction. On s’y est mis et on a écrit une chanson par jour quasiment. Jusqu’à avoir tout un album, et même beaucoup plus.

R&F : Vous aviez eu peur d’avoir perdu l’inspiratio­n ? Le fameux syndrome de la page blanche...

Miles Kane : Oui, carrément. Etre avec les Last Shadow Puppets et se retrouver ensuite seul à composer, c’était difficile, voire angoissant. Je m’étais mis une pression incroyable, sans raison. Je veux toujours bien faire, m’améliorer... Mais là, c’était comme si j’avais oublié que j’étais capable de le faire. Que tout ce que j’avais fait avant ne comptait pas.

Un mot qui n’existe pas

R&F : Votre succès, votre exposition médiatique a-t-elle pu jouer un rôle dans cette période de doute ?

Miles Kane : Je ne sais pas, honnêtemen­t. Le succès ne m’a jamais dérangé. Je le trouve même plutôt confortabl­e. Beaucoup de choses ont changé dans ma vie ces dernières années et ce n’est pas moi qui m’en plaindrais.... Et je suis vraiment à l’aise avec l’homme que je suis devenu.

R&F : Dans votre biographie officielle, vous déclarez que ce disque est le plus important de votre carrière.

Miles Kane : Je pourrais probableme­nt dire exactement la même chose de mon prochain album. Et vous pourrez alors me reprocher d’être du genre répétitif (rires). Mais pour moi, ce disque est costaud, il tient la route, c’est celui que j’ai toujours voulu faire, en fait ! Quand j’ai commencé à travailler dessus, je voulais un disque qui sonne un peu comme les Damned, The Fall, les morceaux lents de John Lennon, T Rex aussi... Et je crois que j’y suis parvenu.

R&F : Les premières chansons sont plutôt

viriles, elles donnent envie de foncer dans le tas... Miles Kane : Ouais, tu as envie de pogoter. Ces chansons ont de la colère en elles, de la frustratio­n, plein d’émotions très intenses. R&F : Miles Kane, au départ, c’était quand même plutôt ce mec classe en costard, avec des mélodies ciselées. Là, il y a du rock’n’ roll, du punk...

Miles Kane : Toutes ces choses ont toujours été en moi, bien sûr. Mais là, j’étais prêt à tout laisser sortir. Je ne sais pas vraiment pourquoi maintenant. Peut-être que ça vient des Last Shadow Puppets (pas de nouvel album prévu pour l’instant, selon Miles), quand on a écrit la chanson “Bad Habits”, et quand on reprenait sur scène le “Totally Wired” de The Fall... J’ai adoré interpréte­r ces chansons ! Adoré ! Sur cet album, j’ai voulu emprunter ce chemin. J’étais prêt !

R&F : Ce disque a-t-il un fil rouge ?

Miles Kane : En gros, le fil rouge, c’est moi (rires). Le disque tourne autour de moi. A cette époque, je ne pouvais pas écrire sur autre chose... Et puis, j’ai toujours aimé écrire sur ce que je ressentais à un moment précis. L’amour, la colère, la jalousie, des classiques indémodabl­es ! J’ai l’impression que je ne pourrais pas faire autre chose de toute façon. C’est un disque qui donne envie de se bouger, je l’espère en tout cas. J’ai toujours aimé ces disques qui te boostaient, qui te procuraien­t plein d’énergie, toujours ! Ça va mal dans ta vie, tu es fatigué, agacé, triste et tu mets un disque qui te relance. Voilà ce qui compte !

R&F : Il y a en fin d’album cette chanson incroyable au titre improbable, “Shavambacu”. Quelle en est la significat­ion ?

Miles Kane : C’est un mot qui n’existe pas en fait, créé de toute pièce. Ma grand-mère avait l’habitude de surnommer ma mère comme ça et ma mère avait l’habitude de me surnommer comme ça. C’est un mot qui s’est incrusté et qui n’est plus jamais parti. Pendant que je travaillai­s sur l’album, j’ai demandé ce qu’il voulait dire à ma maman, vu que je l’avais entendu toute ma vie sans obtenir la moindre explicatio­n. En fait, ça vient d’une vieille chanson de Dean Martin intitulée “Darling, Je Vous Aime Beaucoup”. Mais ma grand-mère, elle, entendait quand elle l’écoutait “Shavambacu” (rires). Vous pouvez m’entendre chanter

un peu en français sur ce titre...

Fausses rumeurs

R&F : Le clip de la chanson “Loaded”, sur laquelle on peut entendre Lana Del Rey, est un hommage direct au film “Drive” de Nicolas Winding Refn. Vous parlez souvent en interview de l’acteur Ryan Gosling. Vous aimeriez être lui ?

Miles Kane : Le clip est effectivem­ent un clin d’oeil à “Drive”. Tout comme les visuels de l’album. Et j’adore Ryan Gosling ! J’ai pleuré devant “La La Land”. Je ne voulais pas le voir au départ, je pensais que ça allait être un peu niaiseux, mais j’ai craqué et j’ai fini en larmes (rires). J’aime bien les comédies musicales. “Shavambacu” a d’ailleurs, je trouve, quelques accents propres à la comédie musicale...

R&F : Cette chanson aurait pu figurer dans “West Side Story”, quand les deux gangs s’affrontent.

Miles Kane : Je ne l’ai jamais vu mais c’est un beau compliment... Sinon, ne propagez pas de fausses rumeurs ! Je ne veux pas remplacer Ryan Gosling, hein ( rires). Miles Kane me convient parfaiteme­nt ! ★ Album “Coup de Grace” (Virgin/ EMI/ Universal)

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