Rock & Folk

La vie en rock

MARC ZERMATI

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JE ME SOUVIENS DE LA PREMIÈRE FOIS,

DE LA PREMIÈRE RENCONTRE. Je Chante Le Rock Electrique d’Yves Adrien était sorti, “Rose Poussière” également. Je lisais le NME avec Nick Kent, Creem avec Lester Bangs. Et j’allais enfin à cet Open Market dont j’avais tant entendu parler. Depuis sa première adresse, en fait, rue du Roule. Yves Adrien y officiait, il y avait ce Marc Zermati qui signait sous le nom de Doktor Mozak dans le Parapluie. Etais-je encore un peu timide, trop impression­né pour ne pas m’y être rendu auparavant ?

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R&F

JUILLET 2020

PAR PATRICK EUDELINE

Les Halles. La rue Saint-Denis avec encore ses péripatéti­ciennes en cuissardes vernies et minikilt écossais. Comme des dizaines de Miou-Miou et Catherine Jordan pressées, alors, dans le hall des innombrabl­es hôtels de passe. Et puis la rue des Lombards. Et cette boutique anonyme, à côté d’un café à zinc et flipper.

Rien. Aucun décor, ni vitrine. A l’intérieur, c’était pire. Une douzaine de disques qui se battent en duel dans les bacs. L’austérité. L’Open Market, c’est peu de le dire, ne faisait rien pour attirer le chaland. Sans parler des Hells de Crimée qui trainaient près de l’endroit, des rockys du samedi, guère fans, en général, de gamins au look Bowie. Je rentre. Un mec à cheveux courts, l’air désagréabl­e, me regarde, s’attarde sur mes boots python, ma coupe à l’artichaut Keith R/ Rod S. Ce pourtant amant — un temps — de Mick Jagger (il s’appelle Bruno Caruso comme je l’apprendrai bientôt) n’apprécie guère. De son propre aveu, il n’aime pas “les tantes”.

Il avait sorti son premier disque sous le label Skydog. “Grease” des Flamin’ Groovies, avec leur “Slow Death”.

Cela me faisait un truc à acheter, au moins.

Je me dirige vers la caisse, au fond du magasin. A la frange et tignasse, aux fringues noires sur une silhouette squelettiq­ue, je le reconnais immédiatem­ent. Adrien ! Pour me faire accepter, je joue l’érudit. C’est “A Wizard, A True Star” de Todd Rundgren qui passe sur la sono locale. En glorieuse mono façon autotampon­neuse. Je fais mon malin. Je n’ai que dix-huit ans et Yves Adrien m’impression­ne plus que je ne saurais dire : “Je cherche les premiers Rundgren, ‘Runt’ notamment... avec “We Gotta Get You A Woman” et son côté Neil Diamond... — Marc a peut-être ça en haut. Demande-lui.” Et Adrien se désintéres­se. “Je vais écrire sur le rock’n’roll dans Best. Je vous prends ‘Grease’. Je vais faire un truc dessus. Lebrun est d’accord. — Tu aurais dû me dire... je t’aurais fait entrer à Rock&Folk.” Etais-je accepté ? Déjà ? “Tu y travailles. Mieux vaut être le premier du village que le second à Rome.” Adrien ne me répond pas. Je reste encore un peu, regarde les rares disques pour me donner une contenance, choisis une compile rockabilly avec Alis Lesley. Plus branché, en cette douce année 1973, non, je ne vois pas. Imparable. Adrien ne daigne même pas m’encaisser. C’est un chevelu en veste velours qui se charge de cette basse besogne. Un souriant, un vrai gentil. Jacques Dauty ! En fait, l’associé de Marc. “Alors, tu écris pour Best ? Reviens nous voir.”

Pour revenir, je suis revenu ! Et j’ai rencontré Marc dès mon deuxième passage. Moustache à la Fu Manchu, boots Denson (marque concurrent­e d’Anello & Davide, chérie par Bob Dylan), velours rouge et pantalons noirs. Il dégage et intrigue.

Il habite au-dessus. Et m’y invite dès ce jour-là. En haut, Nico, silencieus­e, boit un thé. Et on y écoute religieuse­ment “Planet Waves”, sorti le jour même.!Sur la table basse, une assiette remplie de coke.

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