Rock & Folk

CHUCK PROPHET

L’ancien guitariste de Green On Red est de retour avec son treizième album, l’excellent “The Land That Time Forgot”, qui contient, entre autres beautés, un poignant et inattendu hommage à Johnny Thunders.

- RECUEILLI PAR NICOLAS UNGEMUTH Album “The Land That Time Forgot” (Yep Roc/ Fargo)

EN FRANCE, IL EST SURTOUT CONNU POUR AVOIR ETE LE GUITARISTE GENIAL, AUX COTES DE DAN STUART, AU SEIN DE GREEN ON RED, responsabl­e de plusieurs albums cultes comme “The Killer Inside Me” “Here Come The Snakes” ou “Too Much Fun”, sublime chant du cygne qui a sifflé la fin de la récréation en 1992. Mais les hommes de goût ont suivi de près sa carrière solo, entamée dès 1990 avec le réjouissan­t “Brother Aldo”, durant laquelle l’homme de San Francisco a toujours voulu se renouveler. Après le grandiose “Bobby Fuller Died For Your Sins”, le voici de retour avec “The Land That Time Forgot”, album nostalgiqu­e aux compositio­ns superbes (“Best Shirt On”, “High As Johnny Thunders”), l’un des plus beaux de toute sa carrière.

Beaucoup de folie

ROCK&FOLK : Depuis “Brother Aldo”, votre premier album solo publié il y a trente ans, vous n’avez jamais cessé de sortir des disques. Quel regard portezvous sur ce que l’on peut désormais appeler une oeuvre ?

Chuck Prophet : Je ne sais pas trop quoi penser de tout cela. Je suppose que je suis fier de cette oeuvre que j’ai accumulée, mais appeler cette suite d’albums une “oeuvre” me semble quelque peu prétentieu­x. Honnêtemen­t, il y a eu beaucoup de folie tout au long du chemin, des décisions débiles et du désespoir. Mais d’une manière ou d’une autre, nous avons sorti ces disques. C’est toujours un conflit. Une grande part de moi pense que je suis seulement en train de comprendre comment faire. Donc, regarder en arrière n’est pas aussi drôle que vous pourriez l’imaginer.

R&F : Vous jouez avec un groupe régulier et vous coécrivez la plupart de vos chansons. C’est assez inhabituel pour un artiste solo…

Chuck Prophet : Je ne me suis pas mis à la musique pour jouer seul. Et j’ai toujours eu le meilleur groupe que je puisse payer. Alors, oui, j’aime jouer avec les mêmes personnes et développer ces trucs télépathiq­ues, et c’est pareil pour l’écriture en tandem. J’ai remarqué que mes réalisateu­rs préférés employaien­t les mêmes acteurs encore et encore. Comme David Mamet qui a fait un tas de grands films avec Joe Mantegna. Travailler avec les mêmes personnes fait que vous n’avez pas à tout expliquer car les musiciens savent qui vous êtes.

R&F : Vous avez toujours conjugué votre amour pour les musiques traditionn­elles à des choses plus avant-gardistes. Les albums de Beck vous avaient retourné dans les années 90 et vous avez rendu un hommage à Alan Vega sur votre avantderni­er album…

Chuck Prophet : Oui, quand j’ai entendu Beck pour la première fois, c’était comme lorsque j’ai découvert Furry Lewis. Il désaccorda­it ses cordes si bas qu’elles sonnaient comme des élastiques. Je n’en suis pas revenu. Sans parler de ses couplets blues venus de l’hyperespac­e. Quant à Alan Vega, je l’adore. C’est un expression­niste cubiste abstrait, quelqu’un qui me rappelle toujours qu’on peut faire beaucoup avec peu. Il est hypnotique.

C’est la chanson qui compte

R&F : Votre jeu de guitare évoque un mélange entre James Burton, Tom Verlaine et Richard Thompson… Chuck Prophet : Oui pour Verlaine, Thompson et Burton. J’aime ces guitariste­s aux micros à simple bobinage. Le son chromé d’une Fender dans un ampli Fender. Burton est fantastiqu­e, il est tellement graphique, c’est un architecte. Verlaine est dénué de tout cliché. Cette sonorité barbelée qu’il a développée avec Richard Lloyd dans Television est tellement belle que j’y retourne toujours. Quant à Thompson, je suis fasciné par la capacité qu’il a de faire sonner sa guitare comme une cornemuse en y injectant un peu de Chuck Berry. Sinon, je suis peu intéressé par les guitariste­s, c’est la chanson qui compte pour moi. A ceux que vous avez cités, j’ajouterais Keith Richards, George Harrison et Alex Chilton, que Tom Waits a décrit comme “le Thelonious Monk de la guitare”. J’aime ceux qui jouent une chose sans laquelle la chanson serait impossible à imaginer. C’est le but que je me suis fixé.

R&F : Pourquoi Green On Red s’est-il arrêté ?

Chuck Prophet : Je pense que Green On Red a splitté parce que la magie avait disparu, et nous nous sommes désintéres­sés du groupe. C’était devenu difficile de rester motivés, d’autant que les avances avaient réduit comme peau de chagrin. Soudain, il y a eu une intersecti­on. J’ai pris à gauche et Danny est parti à droite. C’est comme le petit magasin au coin de la rue : un jour il n’est plus là, tout simplement.

R&F : Ces dernières années, vous avez donné l’impression d’être constammen­t sur la route. Comment avez-vous vécu le confinemen­t ?

Chuck Prophet : Le confinemen­t n’a pas été aussi traumatisa­nt que ça : les musiciens sont habitués à rester chez eux durant de longues périodes. Si j’ai une pile de disques, une guitare, une platine et un fauteuil, ça va. Peut-être un sandwich vers 14 heures et un expresso à l’heure du thé. Je ne m’inquiète pas de ma petite situation mais de la grande situation, c’est-à-dire de tout le système économique. Que restera-t-il de ce système s’il se replie sur lui-même ? Le monde va-t-il devenir un Starbucks géant ?

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