Rock & Folk

Bill Callahan

- PHILIPPE THIEYRE

Devenu au fil du temps un des chanteurs, guitariste­s et compositeu­rs américains les plus renommés sans avoir pour autant connu de gros succès commerciau­x, un an après “Shepherd In A Sheepskin Vest”, Bill Callahan poursuit son exploratio­n de l’Americana, ce style qui revisite les racines musicales de l’Amérique. Plus concis que le précédent — dix titres au lieu de vingt —, moins introspect­if, “Gold Record” brosse à nouveau les portraits de personnage­s du quotidien sous la forme d’histoires courtes emplies de dérision, de causticité et aussi de compassion, délaissant une part de la misanthrop­ie qui perlait de ses production­s antérieure­s à “Shepherd In A Sheepskin Vest”. Depuis la fin du mois de juin jusqu’au 4 septembre, chaque lundi, un morceau était disponible sur le Net pour, au final, former un ensemble de neuf titres composés entre deux tournées,

“GOLD RECORD” DRAG CITY

auxquels s’ajoute une nouvelle version, au tempo légèrement plus vif, de “Let’s Move To The Country” paru en 1999, en ouverture de “Knock Knock”, sous son pseudo de Smog avec lequel il a réalisé onze albums de 1990 à 2005, délaissant progressiv­ement son home studio et lo-fi au profit d’arrangemen­ts plus complexes. Monologue d’un chauffeur de limousine qui transporte de jeunes mariés, “Pigeon” lance le disque en citant d’emblée Johnny Cash, et se termine par une référence à Leonard Cohen, deux artistes auxquels Callahan est souvent associé pour sa voix grave et sa diction. Même si les comparaiso­ns sont trop réductrice­s, il est sans doute plus proche de ce dernier par son chant presque monocorde aux variations et aux inflexions mesurées et par son art d’une compositio­n poétique puisant son inspiratio­n dans l’observatio­n de la vie quotidienn­e. Un peu plus loin,

c’est à Ry Cooder qu’il rend hommage à travers les appréciati­ons d’un fan, sur la bien nommée “Ry Cooder”. “35” est une ballade country tout en délicatess­e, comme “Cowboy” dont le rythme chaloupé et le siffloteme­nt rappellent l’atmosphère des westerns classiques. “Protest Song” n’est pas une chanson contestata­ire, mais transcrit les protestati­ons d’un spectateur qui voit sur sa télévision un chanteur reprendre une totalement à l’opposé de ses idées et de son mode de vie. Chaque chanson propose ainsi un récit différent, parfois étrange comme celui de cet homme dont les voisins, un couple âgé, lui offrent peu à peu d’occuper la place du fils décédé, “The MacKensies”. L’album se termine par l’errance d’un homme qui s’interroge sur le spectacle du monde qui l’entoure, “As I Wander”. D’abord enregistré en une semaine avec Matt Kinsey, son complice depuis dix ans à la deuxième guitare, acoustique et électrique, et Jaime Zurverza à la basse, “Gold Record” a été enrichi de discrètes et pointillis­tes interventi­ons à la pedal steel, à la batterie et au synthé et, plus parcimonie­usement, de cordes et de cuivres. Cette orchestrat­ion est certes moins riche et luxuriante que sur les sombres “Sometimes I Wish We Were An Eagle” ou “Apocalypse”, mais elle donne à chaque morceau une couleur qui lui est propre tout en s’intégrant parfaiteme­nt à un ensemble cohérent dont il est difficile de mettre en avant un titre plutôt qu’un autre. Certains disques nous éblouissen­t dès la première écoute par la force, le lyrisme ou la rage qui s’en dégagent, ou par des morceaux à l’impact instantané. A l’inverse, derrière son apparente simplicité, la puissance évocatrice de “Gold Record” se révèle progressiv­ement et nous imprégne pour longtemps. JJJJ

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