Énigmes de l’histoire
Marco Polo, explorateur ou fabulateur ?
Marco Polo, l’homme qui a fait découvrir l’Asie aux Européens grâce à son livre « Le Devisement du monde », a-t-il vraiment vu tout ce qu’il décrit ? « Qui ne l’a pas vu ne pourrait le croire », répète le Vénitien au fil des pages pour prévenir l’incrédulité que ses descriptions fantastiques ne manqueront pas de susciter. Justement, alors que son ouvrage est un véritable best-seller sur tout le Vieux Continent, certains crient à l’imposture. Par Anthony Dhennequin
Dès la parution du « Devisement du monde », après le retour d’Orient de Marco Polo, des voix s’élèvent pour mettre en doute la réalité de ses voyages. La polémique rebondit près de sept siècles plus tard, dans le milieu des années 1990, avec le livre de Frances Wood, « Marco-Polo est-il allé en Chine ? », dans lequel l’universitaire soupçonne le Vénitien de s’être arrêté au bord de la mer Noire où il aurait rencontré des marchands et compilé leurs récits. Cette thèse a depuis été reprise par de nombreux chercheurs qui mettent en doute le voyage de Marco Polo.
Entre autres arguments, ils s’étonnent du fait qu’il ne fasse aucune mention de la Grande Muraille, de l’utilisation de baguettes pour manger ou de la dégustation du thé, desquelles un explorateur européen du XIIIe siècle n’aurait pas manqué de s’émerveiller. Plus suspect encore, il décrit des créatures fantastiques, chimères, cyclopes et hommes chiens : « On trouve quelques hommes qui ont une queue comme un chien, de la longueur d’une paume ; mais ils se retirent dans les montagnes. Il y a aussi des licornes et plusieurs autres sortes d’animaux […] » (livre III, chapitre 28). Tous ces éléments, et bien d’autres, posent en effet question et instillent le doute.
Une enfance nomade
Marco, né à Venise en 1254, grandit sans son père, Niccolo, marchand spécialisé dans le commerce avec l’Orient parti avec son frère Matteo peu de temps après sa naissance. Les deux négociants ont fait route vers l’est afin de rebâtir leur fortune familiale, perdue après que les Byzantins ont chassé les Vénitiens de Constantinople. Ce périple les a menés à rencontrer Kubilay Khan, empereur mongol et fondateur de la dynastie Yuan en Chine, qui les a chargés de transmettre une lettre au pape. De retour à Venise, Niccolo emmène son fils de 15 ans à la rencontre de celui à qui il doit transmettre la missive du Khan. Hélas ! Clément IV vient de mourir. Ils doivent attendre l’élection de Grégoire X, deux ans plus tard, pour s’acquitter de la mission. Mais la fameuse lettre n’a jamais été retrouvée.
Un livre dicté en prison
Marco Polo se serait ensuite rendu en Chine avec son père et son oncle, en passant par le golfe Persique puis en suivant la route de la soie. Une fois sur place, il serait devenu enquêteur et messager pour Kubilay, impressionné par l’érudition du jeune homme. Quoi qu’il en soit, il est bel et bien fait prisonnier par les Génois, en 1296, au large de la Turquie. Et c’est en prison qu’il rencontre Rustichello de Pise, à qui il dicte ses souvenirs. Souvenirs ou inventions ? Pour étayer la véracité de son récit, on peut avancer que ses invraisemblances seraient tout simplement dues aux libertés prises par le rédacteur, mais aussi à la tradition de l’époque qui mêle toujours l’extraordinaire au réel. En outre, le document original a disparu et les textes controversés sont donc apocryphes, et pourraient être à l’origine des erreurs décriées. Enfin, les archives locales de l’époque font bien mention d’un certain « Po-Lo » italien servant à la cour du Khan. S’agit-il bien de Marco Polo, le plus célèbre des marchands italiens ? En tout cas, ces archives, qui tendent à confirmer l’exactitude de nombreux événements et descriptions du « Devisement du monde », laissent entier le doute.