TIM ROTH
“Joe Strummer m’a donné du boulot”
Avec son pote d’enfance Gary Oldman, Tim Roth a grandi dans le Sud de Londres. Témoin privilégié de l’émergence du punk, il se souvient.
Vous avez joué dans un groupe… Il faut préciser : j’étais dans un super, super mauvais groupe, sans déconner, The Royal Statted Band. On était trois, on voulait juste faire partie d’un groupe. Jouer de la musique n’était pas du tout notre motivation… Après, j’ai rejoint un autre groupe d’un mec de Liverpool, avec qui j’ai joué à Londres. Aucun de nous n’était musicien mais on jouait tout, on chantait tout. Personnellement, je n’en n’ai jamais fait un truc important. Mon fils, le plus jeune, est un super musicien, il a cette folie avec la musique, il est super fort. Je lui ai présenté Joe Strummer. C’était aux États-Unis, en backstage d’un concert. Strummer, il m’a donné du boulot. Il devait jouer dans le film de Stephen Frears, The Hit, mais il avait des problèmes avec le groupe. Du coup, comme il avait aimé ce que j’avais fait dans Made in Britain, un rôle de skinhead, il a proposé mon nom à Frears et j’ai eu le rôle. Strummer, à mes yeux, c’était juste le mec qui jouait dans le meilleur groupe du moment. J’ai aussi traîné avec Mick Jones, le guitariste de The Clash, je m’entendais bien avec les deux.
Vous étiez un punk ?
“Quoi que l’establishment te propose ou pense de toi, fais ce que tu veux. C’était ça, la règle.”
Oui, mais pour des raisons très intéressées. Quand c’était cool d’être appelé punk, on aimait se faire appeler punk, point. Dans le milieu du théâtre et du cinéma, ça impressionnait un peu, on en jouait, oui, c’est tout con. Avec les filles, c’était super.
Vous vous êtes retrouvé dans des bastons ? Il y avait deux manières de vivre le truc à Londres. Il y avait le Chelsea Contingent, les mecs à l’aise, les « posh »… Et puis, il y avait les radicaux, les Yellow, les mecs plus durs… Je n’allais pas dans les bastons mais j’en ai vu un paquet, et c’était très dur, ça faisait vraiment peur. Vraiment… Dans le Sud de Londres, c’étaient les punks contre les skinheads, qui organisaient les attaques contre les Pakis. Dans la banlieue, les punks étaient populaires. Il fallait trouver une réponse concrète contre les fascistes, les racistes, tous ces trous du cul… Les musiciens se sont positionnés, mais il n’y a pas eu de mouvement punk d’acteurs. Il y a eu des films faits avec cet esprit, évidemment, mais pas de mouvement. Il y a eu des réalisateurs vraiment underground, mais dans le mainstream, cela ne pouvait pas exister. Pourquoi ? Parce que tu as besoin d’argent pour faire un film et que l’anarchie de cette musique n’était pas compatible avec un tel système. Les performances en direct n’existent pas dans le cinéma.
Malcolm McLaren, le manager des New York Dolls et des Sex Pistols, avait- il tout prévu ?
Pas tout, mais beaucoup, oui. McLaren a laissé la porte ouverte au fait que ce mouvement pouvait changer le monde. J’ai vu les Sex Pistols mais je n’arrive pas vraiment à me rappeler où c’était. Je sais juste qu’on était vraiment, vraiment bourrés… On allait voir des groupes à Camden Town, dans un lieu qui s’appelait The Music Machine, un beau bordel. On avait juste l’argent pour venir, acheter une bière et rentrer chez nous. On avait donc mis en place une technique pour être bourrés à l’oeil, très simple. On ne buvait notre bière qu’aux deux tiers. Ensuite, comme personne ne fait vraiment attention à son verre dans ce genre de lieu, on l’échangeait avec un autre verre sur le comptoir, qui était un tout petit peu plus rempli. On buvait la différence et on recommençait avec d’autres, sans s’arrêter. Impossible de se faire gauler, ça marchait très bien… Bon, après, l’alcool n’a jamais été un composant de mon processus créatif, jamais. J’étais sérieux à l’école et j’ai laissé toute cette dimension d’alcoolisme et de violence loin derrière moi.
Vous considérez que vous avez bénéficié du souffle de liberté du moment ?
C’est sûr qu’on sentait qu’il y avait quelque chose dans l’air, une humeur. Tout paraît moins libre aujourd’hui, alors qu’on avait le sentiment que tout était possible. Le théâtre communautaire dans lequel j’ai commencé était géré par un groupe de hippies qui avait l’intelligence de nous laisser sentir qu’on pouvait tout faire. La règle principale qu’ils nous ont inculquée, c’était : « Quand quelqu’un vous dit non, considérez que c’est oui ! » Quoi que l’establishment te propose ou pense de toi, fais ce que tu veux. C’était ça, la règle.
Margaret Thatcher, c’est la pierre tombale du punk ?
Les rassemblements contre Thatcher, c’était pour contrer les politiques qui cherchaient à détruire les coeurs dans un sens, et à trouver des financements pour le faire. L’opposition a joué son rôle, Thatcher n’a pas réussi. Elle a essayé de détruire les systèmes d’éducation et de santé, les syndicats. C’était une personne horrible, horrible, qui ne trouvait aucune vertu à penser de manière créative. Certains éléments, notamment dans le domaine de la création, ont certes besoin d’argent, mais surtout d’une aide intelligente, car le rôle social est fondamental. Moi, ça m’a sauvé. Pour l’anecdote, Thatcher avait acheté une maison pas loin de chez moi, dans un petit lotissement fermé, il fallait passer la sécurité. Je ne pense pas qu’elle ait vécu là mais on se marrait bien, on tournait autour et on balançait des oeufs, pas des pierres. On avait 15 ans, c’était cool… Propos recueillis par BF, à l’Institut Lumière
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