L'épopée: Grèce 2004
Comment les Grecs ont créé la plus grosse sensation de l'histoire du Championnat d'Europe.
Le Portugal rêvait d’un premier sacre, l’équipe de France d’une confirmation. Mais finalement, c’est la Grèce qui est repartie de l’Euro 2004 trophée sous le bras. Un exploit construit sur la discipline et la solidarité de 23 hommes devenus dieux vivants dans leur pays. Stade de la Luz, Lisbonne, 4 juillet 2004, 23h. Le gardien grec Antonios Nikopolidis est assis dans sa surface de réparation, le dos appuyé contre un poteau. Légèrement sonné, il regarde un par un chacun de ses coéquipiers en train de cavaler comme des gosses sur la pelouse du grand stade lisboète, devant plus de 60 000 spectateurs qui n’ont pas encore totalement compris ce qu’il venait de se passer. Le Portugal a le coeur brisé, la Grèce, elle, chante de bonheur pour un succès inespéré. Mené par le vieux coach allemand Otto Rehhagel, les 23 Hellènes viennent de réaliser l’impossible, une victoire en Championnat d’Europe de football face à la nation hôte. Le portier grec, aujourd’hui sélectionneur des U21 grecs, rembobine: “Je me demandais:
‘Comment c’est possible?’ C’est un miracle, peut-être le plus grand miracle sportif du XXIe siècle, ce que l’on a fait là, personne n’y croyait, même nous. On pensait pouvoir faire un bon tournoi, mais de là à aller au bout…”
Saragosse, le début de l’histoire
Pour comprendre d’où reviennent Nikopolidis et ses potes, il faut remonter plus d’un an en arrière, à Saragosse. Le Bateau pirate – surnom de la sélection – semble alors voué au naufrage face à l’Espagne, pour son cinquième match de qualification. Les Grecs ont commencé leur campagne avec deux défaites, à domicile contre la et en Ukraine. Des victoires contre l’Arménie et l’Irlande du Nord maintiennent le “Bateau” à flot, mais difficile d’imaginer mieux qu’un match nul, sur un malentendu, face à l’un des favoris. Pourtant, ce jour-là, une solide équipe grecque préserve son but vierge, et Stélios Giannakopoulos, milieu de Bolton de 29 ans, marque le but le plus important de sa carrière d’une frappe du droit. Roja,
“Cela a changé ma vie, c’est sûr, raconte le
bonhomme. Mais cela a été un tournant pour toute l’équipe, car ce jour-là, on s’est dit qu’on pouvait secouer le monde du football.”
Bien vu: la Grèce enchaîne trois victoires 1-0 contre l’Ukraine, l’Arménie et l’Irlande du Nord. L’histoire est en marche, même si
“Je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti quand Charisteas a marqué en finale. C’est comme un volcan d’émotions qui entre en éruption.” Stélios Giannakopoulos.
le sorcier allemand Otto Rehhagel calme tout le monde en clamant que l’objectif à l’Euro, c’est d’abord de marquer un but, et éventuellement de gagner un match. “Dire que l’on allait à l’Euro pour gagner, cela aurait été suicidaire, reprend
Giannakopoulos. Les dernières campagnes de la Grèce avaient été de vrais désastres, il ne fallait pas trop nous en demander.”
Libérés, délivrés…
Arrive le jour J. Pour le match d’ouverture, le 12 juin 2004, au Stade du Dragon de Porto, les Hellènes sont en panique.
“Dans un stress quasiment insoutenable”, assure Nikopolidis, qui détone avec le mythe du gardien totalement zen. Stélios Giannakopoulos essaie d’expliquer:
“Imaginez, la cérémonie d’ouverture, l’équipe organisatrice, l’ensemble de la planète football qui a les yeux rivés sur nous, alors que dans nos souvenirs, l’équipe de Grèce se faisait détruire à ce niveau de la compétition…” Mais ce jour-là, la Grèce ouvre son compteur dès la 7e minute par Giorgos Karagounis. Peu après la pause, Angelos Basinas double la mise sur penalty face à des Portugais impuissants, jusqu’à une réduction du score trop tardive du tout jeune Cristiano Ronaldo. Victoire 2-1. Nikopolidis ressent alors une “libération”, quand Giannakopoulos confirme qu’il a été difficile, ce soir-là, de trouver le sommeil. “Mais l’objectif était atteint, désormais, nous jouions sans pression, seulement pour faire honneur à notre pays et nos supporters.” Et tout s’enchaîne très vite avec un nul contre l’Espagne qui confirme que quelque chose est en train de naître, puis une défaite contre la Russie au match suivant. “Le seul jour de l’épopée où rien n’allait dans notre sens, sauf le résultat de l’autre match”, qui voit le Portugal battre l’Espagne. Résultat: ce score valide la qualification de la Grèce pour les quarts de finale et l’élimination des Espagnols.
Éliminer Zidane, Nedved et Cristiano Ronaldo
Pour les quarts, direction Lisbonne et le stade José Alvalade. L’adversaire? L’équipe de France, championne d’Europe en titre. L’armada de Jacques Santini se casse les dents sur la solidarité défensive hellène, et Fabien Barthez reste impuissant sur une tête d’Angelo Charisteas à l’heure de jeu. “Il y avait comme une espèce d’impuissance. On avait l’impression d’être anesthésiés”,
expliquait il y a trois ans Olivier Dacourt dans le journal 20 Minutes. La Grèce élimine les Bleus, et a clairement pulvérisé
un plafond de verre. “On venait de battre la meilleure équipe du monde, alors pourquoi douter? On savait quelles étaient nos limites, mais aussi nos qualités: la discipline, la solidarité, l’effort…” explique aujourd’hui
Nikopolidis. “Zidane, Henry, Vieira, Pirès… c’était le top du top à l’époque, si tu peux les battre eux, tu peux battre n’importe qui”,
appuie Giannakopoulos, pour qui la suite a presque coulé de source.
En demi-finales, les Grecs viennent à bout de la République tchèque du Ballon d’or 2003 Pavel Nedved. Et en finale, la Grèce retrouve le pays organisateur, le Portugal. Les Portugais se voient gagnants, mais Charisteas, déjà bourreau de la France,
ouvre le score peu avant l’heure de jeu. “Je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti quand Charisteas a marqué en finale. C’est comme un volcan d’émotions qui entre en éruption”, explique Giannakopoulos. Le coup de sifflet final de Markus Merk boucle une épopée glorieuse: la Grèce est championne d’Europe. Pour les 23 champions, c’est
le début d’une nouvelle vie. “On a été accueillis par des millions de gens dans les rues d’Athènes, les 24 premières heures post-victoire étaient incroyables”, raconte
Giannakopoulos. Encore aujourd’hui, on m’arrête dans la rue pour me reparler de 2004. Je réalise chaque jour un peu plus l’ampleur de ce que l’on a fait. Et à quel point ce sera difficile de le reproduire.” De fait, la sélection grecque ne s’est qualifiée ni pour l’Euro 2016 ni pour le Mondial 2018. À . elle de s’inspirer des héros de 2004 pour retrouver l’Olympe. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS JUCHA, SAUF MENTION