Bertrand Cantat
“Quelque chose comme un grand frisson devant le vol de l’aigle”
Pourquoi vous aimez le foot? Parce que c’est l’accès immédiat à la mémoire de l’enfance. Parce que c’est un langage universel. Parce que ça emmerde ceux qui ne l’aiment pas.
Quel a été le summum de votre plaisir footballistique? Désolé de la banalité de la référence, mais Zidane se baladant, et toujours au service du collectif, dans les quarts et la demifinale 2006, c’est purement inoubliable… Devant certaines phases de jeu, on ressent un plaisir non seulement esthétique, mais bien au-delà, quelque chose comme un grand frisson devant le vol de l’aigle. On ne peut pas se lasser de l’éventail des scénarios possibles. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de matchs chiants, mais tout peut se débloquer sur un geste de génie, une inspiration, un mouvement collectif dans toute sa pureté. Et puis les élans que le foot génère –même s’ils entraînent souvent la crétinerie–, le coeur de toute une ville, de tout un peuple… Ça ne ressemble pas à mes valeurs premières, mais j’avoue vibrer, surtout dans les grandes occasions.
Y a-t-il des choses qui font que vous pourriez ne plus l’aimer?
Rien ne pourra jamais m’empêcher d’aimer le foot, à part le fait que l’argent vienne à dominer le monde, que le coût des transferts devienne exorbitant, qu’une partie des supporters atteignent le degré zéro de l’intelligence, que la plupart des valeurs du foot virent à l’opposé de celles qui me sont chères, comme si tout ça n’était pas déjà la réalité effective, et ce jusqu’à l’écoeurement. Absolument rien de rien de ce qui peut dégoûter les amoureux du foot de mon acabit ne nous est épargné, mais ô mystère insondable, je l’aime et l’aimerai probablement toujours.
Qu’est-ce que le foot a de plus que les autres plaisirs de la
vie? Il est sacrément partagé. J’ai joué au foot n’importe où dans le monde, avec des gens que je ne connaissais pas trois minutes auparavant, à s’en taper cinq et à se féliciter avec des accolades fraternelles, alors qu’on ne se reverrait probablement jamais. J’ai même été gardien de but au Mexique, dans des parties de rue, les portes d’une église faisant en l’occurrence office de cage. Si vous deviez faire une déclaration d’amour au foot, elle dirait quoi? Ô foot! Donne-nous encore des visionnaires de la trajectoire, des princes du dribble, des géants de la parade, des dieux de la lucarne. Donne-nous encore des poètes du ballon, Donne-nous encore des Iniesta (il est dans une chanson à venir, mais si!) Donne-nous encore des Cantona, et entre nous, c’est pour l’éternité!–