Piqué, au vif.
Après avoir goûté aux joies du tiki-taka et savouré le Waka Waka, le défenseur central est bien décidé à soigner la relance d’une Catalogne qui rêve de voter pour son indépendance.
Il a infligé des manitas au Real Madrid, participé à la remontada épique contre le PSG, soulevé la coupe du monde avec la Roja et remporté tous les trophées possibles de la planète football. Mais après avoir goûté aux joies du tiki-taka et savouré le WakaWaka, Gerard Piqué a décidé de passer aux choses sérieuses: soigner la relance d’une Catalogne qui veut avoir le droit de voter pour son indépendance. “Petit, je célébrais ses buts devant ma télévision. Franchement, je ne comprends pas les Catalans qui veulent voir la Roja perdre” Gerard Piqué
Dans le couloir du stade, il a pour habitude de parler à Busquets en se mettant la main devant la bouche, de claquer une bise à Messi et de raconter une blague foireuse à Luis Suarez. C’est son moyen à lui de se détendre avant de rentrer dans l’arène. Mais ce 1er octobre 2017, avant de fouler la pelouse d’un Camp Nou vide, le Catalan affiche une gueule des mauvais jours. Il n’a pas envie de jouer au football alors que sa Catalogne organise un référendum pour son indépendance. Une demiheure avant d’affronter Las Palmas, Piqué a d’ailleurs tenté de convaincre ses partenaires de déclarer forfait. Un moyen, pour ce pur produit de la Masia, de marquer le coup et d’honorer le slogan Més que un club. Le souci, c’est que tout le monde, dans le vestiaire, ne partage pas la même vision des choses. Ce jour-là, une grande majorité des joueurs blaugranas, menés par Iniesta et Mascherano, insistent pour jouer, arguant que si le Barça décidait unilatéralement de ne pas disputer la rencontre, les six points de pénalité encourus seraient synonymes d’adieu au titre. Sur le pré, les Culés font le boulot sans briller et s’imposent finalement 3-0. Mais plus que le doublé de Leo Messi, tout le monde retient l’intervention de Gerard Piqué à l’issue de la rencontre. Face aux caméras, le défenseur confesse avoir vécu “la pire expérience professionnelle de toute sa vie”,
avant de fondre en larmes au moment d’évoquer le référendum: “Quand on vote, on peut voter oui, non ou blanc, mais on vote. Dans ce pays, pendant de nombreuses années, on a vécu sous le franquisme, les gens ne pouvaient pas voter et c’est un droit que nous devons défendre. Je suis catalan, je me sens catalan et c’est pour ça qu’aujourd’hui plus que jamais, je suis fier des gens de Catalogne.” La complainte fait le tour du monde, et alors que le club est critiqué par la presse locale pour avoir joué le match, Piqué endosse le costume d’ambassadeur symbolique de la cause catalane. Gerard, plus qu’un footballeur? Il y a un peu de ça.
“Piqué a des couilles, beaucoup de couilles”
Comme beaucoup de Catalans, l’agent de joueurs Josep Minguella, proche des cercles de pouvoir du Barça, estime que Piqué est le porteparole idéal de la Catalogne: “Ses déclarations expriment ce que pensent 80 % des Catalans
et ce qu’il dit a une répercussion mondiale.” Car si la fédé catalane de football et le Barça, pris en étau entre son identité catalaniste et ses millions de fans à travers le monde, semblent dans un premier temps tergiverser, Piqué, lui, n’attend personne. Même pas le président de la région, Carles Puigdemont. Le 9 octobre, alors que tout le monde s’attend à ce qu’il proclame l’indépendance unilatérale de la Catalogne, le président de la Generalitat rétropédale et se perd dans un discours alambiqué difficilement déchiffrable. Deux jours plus tôt, en marge d’une rencontre contre l’Albanie comptant pour les qualifications au mondial 2018, l’international espagnol, sous les feux des projecteurs et copieusement sifflé par les supporters de la Roja, s’est présenté beaucoup plus sûr de son fait en conférence de presse. Cet après-midi-là, le Catalan, attendu dans la fosse aux lions pour s’y faire manger tout cru par les journalistes madrilènes, déballe toutes ses capacités oratoires. Serein, le joueur n’élude aucune question et demande même à la responsable de la communication de la fédé espagnole de faire durer le plaisir. Un aplomb qui force le respect de l’ancien défenseur du Real et actuel sélectionneur de l’Albanie, Christian Panucci. “Piqué a des couilles, beaucoup de couilles. C’est quelqu’un de courageux. Je n’aime pas la politique, mais j’aime son caractère, sa sincérité.
Ça change des gens qui ont une double face.” Reste que personne ne sait vraiment dans quel camp il se situe. Quand on lui pose la question, l’intéressé affirme sans pression “qu’un indépendantiste peut jouer pour la sélection
espagnole”. Avant d’ajouter: “Même si ça n’est
pas mon cas.” En public, Piqué n’a jamais déclaré être ouvertement indépendantiste. Officiellement, il milite juste pour que les Catalans aient “le droit de décider”. Une position politiquement correcte mais difficile à tenir dans le chaos politique ambiant, d’autant que, selon l’historien Carles Santacana, auteur d’une encyclopédie sur le sport catalan, “les Espagnols confondent les partisans du référendum et les indépendantistes”.
Le mythe des deux Espagne
Pour le mari de Shakira, le début du malaise remonte au 11 septembre 2014. Ce jour-là, le champion du monde 2010 participe à la Diada, la célébration du jour national de la Catalogne, un événement clairement souverainiste. Pour immortaliser l’instant, Piqué poste une photo sur son compte Instagram accompagnée de cette légende: “Je n’avais jamais rien vécu de
semblable. Simplement inoubliable.” Considéré dès lors comme un sécessionniste par une partie des supporters de la Roja, le défenseur encaisse les sifflets chaque fois qu’il revêt le maillot de la sélection. Et plutôt que de faire profil bas, Piqué continue de jongler sur la ligne rouge qui sépare le sadomasochisme de la provocation. Ivan San Antonio, auteur d’une biographie sur le poil à gratter culé, n’est pas surpris de le voir prêcher la bonne parole catalane tout en multipliant les piques contre le Real Madrid, symbole de l’unionisme. “Le problème, ce n’est pas Piqué mais la mentalité espagnole. Son anti-madridisme dérange beaucoup parce que l’Espagne est madridiste et espagnole. Et la mentalité espagnole est une mentalité de conquête. Tu n’as pas le droit d’avoir une identité particulière. Tu es espagnol, un point c’est tout.” Sergio Ramos, le binôme de Piqué lorsque les deux évoluent avec la Roja, symbolise à la perfection ce patriotisme unioniste. Pas étonnant donc qu’entre l’amateur de flamenco et le fan de Bowie, les relations