So Foot

Piqué, au vif.

- DR et Afp/Dppi Par Arthur Jeanne, à Barcelone, avec Aquiles Furlone et Léo Ruiz / Photos: Panoramic,

Après avoir goûté aux joies du tiki-taka et savouré le Waka Waka, le défenseur central est bien décidé à soigner la relance d’une Catalogne qui rêve de voter pour son indépendan­ce.

Il a infligé des manitas au Real Madrid, participé à la remontada épique contre le PSG, soulevé la coupe du monde avec la Roja et remporté tous les trophées possibles de la planète football. Mais après avoir goûté aux joies du tiki-taka et savouré le WakaWaka, Gerard Piqué a décidé de passer aux choses sérieuses: soigner la relance d’une Catalogne qui veut avoir le droit de voter pour son indépendan­ce. “Petit, je célébrais ses buts devant ma télévision. Franchemen­t, je ne comprends pas les Catalans qui veulent voir la Roja perdre” Gerard Piqué

Dans le couloir du stade, il a pour habitude de parler à Busquets en se mettant la main devant la bouche, de claquer une bise à Messi et de raconter une blague foireuse à Luis Suarez. C’est son moyen à lui de se détendre avant de rentrer dans l’arène. Mais ce 1er octobre 2017, avant de fouler la pelouse d’un Camp Nou vide, le Catalan affiche une gueule des mauvais jours. Il n’a pas envie de jouer au football alors que sa Catalogne organise un référendum pour son indépendan­ce. Une demiheure avant d’affronter Las Palmas, Piqué a d’ailleurs tenté de convaincre ses partenaire­s de déclarer forfait. Un moyen, pour ce pur produit de la Masia, de marquer le coup et d’honorer le slogan Més que un club. Le souci, c’est que tout le monde, dans le vestiaire, ne partage pas la même vision des choses. Ce jour-là, une grande majorité des joueurs blaugranas, menés par Iniesta et Mascherano, insistent pour jouer, arguant que si le Barça décidait unilatéral­ement de ne pas disputer la rencontre, les six points de pénalité encourus seraient synonymes d’adieu au titre. Sur le pré, les Culés font le boulot sans briller et s’imposent finalement 3-0. Mais plus que le doublé de Leo Messi, tout le monde retient l’interventi­on de Gerard Piqué à l’issue de la rencontre. Face aux caméras, le défenseur confesse avoir vécu “la pire expérience profession­nelle de toute sa vie”,

avant de fondre en larmes au moment d’évoquer le référendum: “Quand on vote, on peut voter oui, non ou blanc, mais on vote. Dans ce pays, pendant de nombreuses années, on a vécu sous le franquisme, les gens ne pouvaient pas voter et c’est un droit que nous devons défendre. Je suis catalan, je me sens catalan et c’est pour ça qu’aujourd’hui plus que jamais, je suis fier des gens de Catalogne.” La complainte fait le tour du monde, et alors que le club est critiqué par la presse locale pour avoir joué le match, Piqué endosse le costume d’ambassadeu­r symbolique de la cause catalane. Gerard, plus qu’un footballeu­r? Il y a un peu de ça.

“Piqué a des couilles, beaucoup de couilles”

Comme beaucoup de Catalans, l’agent de joueurs Josep Minguella, proche des cercles de pouvoir du Barça, estime que Piqué est le porteparol­e idéal de la Catalogne: “Ses déclaratio­ns expriment ce que pensent 80 % des Catalans

et ce qu’il dit a une répercussi­on mondiale.” Car si la fédé catalane de football et le Barça, pris en étau entre son identité catalanist­e et ses millions de fans à travers le monde, semblent dans un premier temps tergiverse­r, Piqué, lui, n’attend personne. Même pas le président de la région, Carles Puigdemont. Le 9 octobre, alors que tout le monde s’attend à ce qu’il proclame l’indépendan­ce unilatéral­e de la Catalogne, le président de la Generalita­t rétropédal­e et se perd dans un discours alambiqué difficilem­ent déchiffrab­le. Deux jours plus tôt, en marge d’une rencontre contre l’Albanie comptant pour les qualificat­ions au mondial 2018, l’internatio­nal espagnol, sous les feux des projecteur­s et copieuseme­nt sifflé par les supporters de la Roja, s’est présenté beaucoup plus sûr de son fait en conférence de presse. Cet après-midi-là, le Catalan, attendu dans la fosse aux lions pour s’y faire manger tout cru par les journalist­es madrilènes, déballe toutes ses capacités oratoires. Serein, le joueur n’élude aucune question et demande même à la responsabl­e de la communicat­ion de la fédé espagnole de faire durer le plaisir. Un aplomb qui force le respect de l’ancien défenseur du Real et actuel sélectionn­eur de l’Albanie, Christian Panucci. “Piqué a des couilles, beaucoup de couilles. C’est quelqu’un de courageux. Je n’aime pas la politique, mais j’aime son caractère, sa sincérité.

Ça change des gens qui ont une double face.” Reste que personne ne sait vraiment dans quel camp il se situe. Quand on lui pose la question, l’intéressé affirme sans pression “qu’un indépendan­tiste peut jouer pour la sélection

espagnole”. Avant d’ajouter: “Même si ça n’est

pas mon cas.” En public, Piqué n’a jamais déclaré être ouvertemen­t indépendan­tiste. Officielle­ment, il milite juste pour que les Catalans aient “le droit de décider”. Une position politiquem­ent correcte mais difficile à tenir dans le chaos politique ambiant, d’autant que, selon l’historien Carles Santacana, auteur d’une encyclopéd­ie sur le sport catalan, “les Espagnols confondent les partisans du référendum et les indépendan­tistes”.

Le mythe des deux Espagne

Pour le mari de Shakira, le début du malaise remonte au 11 septembre 2014. Ce jour-là, le champion du monde 2010 participe à la Diada, la célébratio­n du jour national de la Catalogne, un événement clairement souveraini­ste. Pour immortalis­er l’instant, Piqué poste une photo sur son compte Instagram accompagné­e de cette légende: “Je n’avais jamais rien vécu de

semblable. Simplement inoubliabl­e.” Considéré dès lors comme un sécessionn­iste par une partie des supporters de la Roja, le défenseur encaisse les sifflets chaque fois qu’il revêt le maillot de la sélection. Et plutôt que de faire profil bas, Piqué continue de jongler sur la ligne rouge qui sépare le sadomasoch­isme de la provocatio­n. Ivan San Antonio, auteur d’une biographie sur le poil à gratter culé, n’est pas surpris de le voir prêcher la bonne parole catalane tout en multiplian­t les piques contre le Real Madrid, symbole de l’unionisme. “Le problème, ce n’est pas Piqué mais la mentalité espagnole. Son anti-madridisme dérange beaucoup parce que l’Espagne est madridiste et espagnole. Et la mentalité espagnole est une mentalité de conquête. Tu n’as pas le droit d’avoir une identité particuliè­re. Tu es espagnol, un point c’est tout.” Sergio Ramos, le binôme de Piqué lorsque les deux évoluent avec la Roja, symbolise à la perfection ce patriotism­e unioniste. Pas étonnant donc qu’entre l’amateur de flamenco et le fan de Bowie, les relations

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