So Foot

Kamil Glik.

- Photos: Newspix/Iconsport Propos recueillis par Inès Roy-Lewanowicz et Grégory Sokol, à Monaco /

De son quartier difficile de Silésie au sommet de la Turbie, Assassin’s Glik raconte le chemin sinueux qui l’a mené à la coupe du monde en Russie.

Aussi impétueux et prompt à tacler des deux pieds soit-il, Kamil Glik n’en demeure pas moins simple et taiseux hors des limites du rectangle vert. Parfois, il arrive pourtant à l’internatio­nal polonais de parler. Et autant le dire tout de suite: lorsqu’un type qui se fait surnommer “Assassin Glik” prend la parole, on l’écoute attentivem­ent.

“Grandir dans un endroit où chacun doit se battre pour survivre, s'affirmer et garder ce qui lui appartient façonne évidemment l'individu. Ça m'a forgé un caractère et ça se reflète sur le terrain, oui…”

De ton propre aveu, le football t'a “sauvé

la vie”… Sans aucun doute. Sans lui, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Je ne suis pas ce genre de personne débrouilla­rde qui trouve facilement et rapidement du travail. En fait, la seule chose que je sais faire, ou bien faire, c'est jouer au football. C'est tout. Après, c'est vrai que j'ai toujours eu des prédisposi­tions pour le sport. À l'école, en Pologne, je pratiquais le volley, le handball et le basket, mais sans aucun espoir de devenir un jour profession­nel. En fait, j'ai toujours voulu devenir footballeu­r, comme tout enfant qui joue au ballon en bas de chez lui.

Tu as grandi à Jastrzebie Zdroj, dans le quartier de Przyjazn (“amitié” en VF), entre bagarres de rue et discothèqu­es improvisée­s dans des halls de bâtiments. C'était aussi mal famé qu'on le dit? C'était un quartier très difficile où beaucoup de jeunes volaient, se battaient, voire les deux. Les gens d'autres quartiers qui rendaient visite à leurs amis avaient peur d'y aller. Là-bas, il y avait pas mal de personnes intimidant­es, des mauvais garçons. Même si le quartier n'a toujours pas la meilleure des réputation­s, ça s'est un peu calmé aujourd'hui. Mais plus que Przyjazn, ce sont les temps qui ont changé en Pologne. À l'époque, on n'avait pas toutes les technologi­es qu'il y a aujourd'hui. Comme nous n'avions pas accès aux ordinateur­s, on passait notre temps sur les terrains de foot ou à faire des bêtises. Quel genre de bêtises? On sautait les grilles des jardins environnan­ts pour voler des fruits dans les arbres, par exemple. Y avait rien de bien méchant, mais ce sont des choses qu'on ne fait plus aujourd'hui. Grandir dans cet environnem­ent a-t-il eu un effet sur ta façon d'être et de jouer? Grandir dans un endroit où chacun doit se battre pour survivre, s'affirmer et garder ce qui lui appartient façonne évidemment l'individu. Ça m'a forgé un caractère et ça se reflète sur le terrain, oui. On ne m'a rien offert et j'essaye de ne jamais abandonner. Il me tient à coeur de laisser mes tripes sur la pelouse. Ton style de jeu peu technique te vaut parfois des moqueries. Elles te touchent? Je n'ai jamais été un joueur particuliè­rement doué techniquem­ent. Mais je pense que dans les différents clubs pour lesquels j'ai joués, en équipe nationale et ici même à Monaco, on me respecte surtout pour mon caractère et parce que je me donne à 100 % quoi qu'il arrive. Je ne me cherche jamais d'excuses ou de prétextes, comme des douleurs ou des blessures, pour justifier une contre-performanc­e. Ça rejaillit sur l'équipe et mes coéquipier­s savent que si je fais des erreurs, ça ne sera pas par faute d'engagement.

Est-ce que ce surnom d'“Assassin Glik” ne te semble pas un peu réducteur? En fait non, c'est plutôt drôle. Ce surnom est apparu en Italie, lorsque des supporters avaient fait une banderole en détournant l'image du personnage du jeu vidéo ( Assassin's Creed, ndlr) avec mon visage. On peut me trouver agressif sur le terrain, mais je suis quelqu'un d'assez calme en dehors, que ce soit dans les vestiaires ou dans ma vie privée.

Le fait que ton père ait souvent été absent est un autre fait marquant de ton enfance. Comment astu vécu cela? Il partait régulièrem­ent travailler à la mine en Allemagne pour avoir un meilleur salaire. Il le faisait pour que mon frère, ma mère et moi puissions avoir un meilleur avenir. Je me souviens des premiers cadeaux qu'il me rapportait. C'était des gadgets, des maillots ou encore des survêtemen­ts du Bayern Munich. Je ne sais pas si c'est à cause de tout ça, mais c'est un club pour lequel j'ai gardé beaucoup d'affection.

La pêche faisait partie des rares moments que tu partageais avec ton père lorsque vous vous retrouviez. Comment ça se passait? On pêchait à la ligne, bien sûr, comme tout le monde, mais on pêchait aussi à la dynamite. C'est une méthode plus dangereuse, plus radicale, mais c'est assez simple: tu jettes du matériel explosif dans l'eau et, automatiqu­ement, les poissons remontent à la surface. C'est plus pratique pour les attraper. En rentrant à la maison, on les distribuai­t aux amis et voisins.

Les problèmes que ton père a rencontrés avec l'alcool ont-ils eu une influence sur ton rapport à la boisson? Il était très jeune quand il a eu ses soucis avec l'alcool, donc ça n'a eu aucune incidence sur mon hygiène de vie et je n'ai jamais eu le moindre problème avec ça. Comme beaucoup de pays du Nord et de l'Est de l'Europe, mon pays est souvent associé aux problèmes d'alcool, mais à ce niveau-là, la mentalité des Polonais a beaucoup évolué. Aujourd'hui, je dirais même que c'est un problème bien moins important qu'auparavant.

Tu as quitté pour la première fois Jastrzebie Zdroj, ta ville natale, pour l'Espagne et le petit club d'Horadada, en troisième division. Comment

as-tu vécu ce départ? Comme un déchiremen­t. Partir aussi loin et si jeune a été une décision extrêmemen­t difficile à prendre. J'avais 17 ans, c'était mon premier vrai voyage à l'étranger et j'étais absolument seul. La culture, la manière d'être et de vivre, la météo, la nourriture… Tout était différent. Mais ce qui m'a le plus manqué, ce sont mes proches: mes amis, ma copine, avec qui je suis marié aujourd'hui, et ma famille, surtout avec les problèmes qu'elle rencontrai­t. C'est pour ça que j'essayais autant que possible d'aider mes parents. Je ne gagnais pas énormément, mais je faisais en sorte de leur envoyer ce que je pouvais. Après Horadada, j'ai effectué un test d'une semaine au Real Madrid, qui m'a finalement fait signer pour jouer en équipe 3. Tu apprends toujours dans ce type de club, même en réserve de la réserve. J'avais notamment la possibilit­é d'observer de plus près certains des meilleurs joueurs du monde. Jusque-là, c'étaient des types que je n'avais vus qu'à la télévision. C'était exceptionn­el de les croiser dans les couloirs, de voir comment ils fonctionna­ient au quotidien. Je regardais beaucoup comment ils réagissaie­nt, s'impliquaie­nt dans les exercices, se comportaie­nt entre eux, avec le coach… Avec

le apporté. recul, ce voyage en Espagne m'a énormément

Après l'Espagne, tu es retourné jouer en Pologne avant de partir de nouveau pour un autre pays, l'Italie. Tu as joué pour le Torino, mais aussi à Palerme et à Bari, un club où neuf de tes coéquipier­s ont été arrêtés pour des matchs truqués. As-tu été surpris? Oui, car ce n'est que plusieurs mois après que j'ai appris dans les journaux que des matchs auxquels j'avais participé avaient été arrangés. J'étais encore jeune, j'effectuais ma première saison en Italie, et comme je ne parlais pas très bien la langue, je ne comprenais pas forcément tout ce qui se passait autour de moi.

Pourrais-tu rejouer avec l'un de tes anciens coéquipier­s concernés par cette affaire? Aujourd'hui, oui. À l'époque, je jouais d'ailleurs avec mon ami, Andrea Raggi, qui connaît aussi très bien la situation. Plusieurs années se sont écoulées depuis cette affaire, et certains des joueurs concernés ont repris leur carrière. Je me souviens que des entraîneur­s aussi réputés qu'Antonio Conte avaient été condamnés. Ils ont purgé leur peine, et voilà…

Venant de Silésie, une région limitrophe dont sont aussi originaire­s Miroslav Klose et Lukas Podolski, tu possèdes un passeport allemand.

As-tu déjà envisagé de jouer pour l'Allemagne? Il n'a absolument jamais été question pour moi de jouer pour un autre pays que le mien. Je me sens polonais à 100 %. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ma région a été un territoire allemand, donc beaucoup d'habitants de la génération de nos grands-parents avaient cette double nationalit­é. Moi aussi, je l'ai, mais c'est une norme qui découle de notre histoire, pas un choix.

Dans un entretien accordé à la chaîne de l'AS Monaco, on te demande de choisir entre la Champions League et la coupe du monde. Tu as répondu “Champions League”. T'es sérieux? J'ai dit ça comme ça (rires). Il est difficile de choisir réellement ce qu'on a le plus envie de gagner. La coupe du monde n'a lieu que tous les quatre ans… Enfin, plutôt tous les huit ou douze ans pour un pays comme la Pologne! Dans la sélection actuelle, par exemple, nous sommes tous des débutants, dans le sens où aucun d'entre nous n'a encore joué un mondial. Nous serons donc une équipe encore inexpérime­ntée. Bien sûr qu'on aimerait gagner la coupe du monde, mais je crois malgré tout que la carrière en club compte un peu plus.

Qu'est-ce qui serait pour vous un mondial réussi?

Je ne sais pas si notre équipe sera plus forte que pendant l'Euro en France, mais nous devons impérative­ment ne pas nous voir trop beaux et seulement penser aux matchs de poule. Avoir le même état d'esprit que celui avec lequel nous avons joué l'Euro ainsi que les éliminatoi­res. Seul le présent compte. Le premier match contre le Sénégal sera crucial pour la suite du tournoi. Le gagner nous permettrai­t d'aborder sereinemen­t les deux autres face à la Colombie puis au Japon. À l'inverse, nous serions déjà dos au mur contre la Colombie en cas de défaite. Je le répète, nous avons une équipe de joueurs n'ayant jamais participé à cette compétitio­n. Nous l'abordons avec excitation et curiosité, forts de l'expérience acquise lors de l'Euro 2016. Nous voulons rentrer au pays la tête haute.

Le fait que la coupe du monde se déroule en Russie, compte tenu des antagonism­es avec la Pologne, représente-t-il quelque chose de spécial

pour vous? Je ne pense pas que qui que ce soit dans l'équipe se prenne réellement la tête avec ces considérat­ions politiques. Nous sommes simplement conscients que le monde entier va nous regarder, et c'est un grand honneur. Nous allons là-bas comme si la compétitio­n se déroulait dans n'importe quel autre pays. Vraiment, ça n'a pas réellement d'importance pour nous. Nous partons représente­r notre pays, c'est tout.

“Comme beaucoup de pays du Nord et de l'Est de l'Europe, mon pays est souvent associé aux problèmes d'alcool, mais à ce niveau-là, la mentalité des Polonais a beaucoup évolué”

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Le journal du Glik.
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Quand tu travailles chez McDo.

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