Society (France)

L’enfer de Laetitia

Laetitia, une aide-soignante de 38 ans, s’est volatilisé­e le 3 septembre 2014 à Ramonchamp, dans les Vosges. Meurtre? Disparitio­n volontaire? Pendant trois semaines, ses proches se sont démenées pour la retrouver. Tandis que son compagnon, lui, faisait co

- PAR SANDRINE ISSARTEL, À ÉPINAL / ILLUSTRATI­ONS: CHARLOTTE DELARUE POUR

“Il n’est pas du tout comme d’habitude, il est beaucoup plus calme. Je ne sais pas ce qu’il prépare mais ça va être du lourd” Laetitia à ses amies, quelques jours avant sa disparitio­n

Dans la matinée du 4 septembre 2014, la gendarmeri­e du Thillot, dans les Vosges, reçoit la visite de deux femmes, Carole et Aurélie. Elles sont venues signaler la disparitio­n de leur amie et collègue Laetitia. Depuis plus de 24 heures, l’aide-soignante de 38 ans n’a pas donné signe de vie. Cela ne lui ressemble pas. Elle ne s’est pas rendue à la maison de retraite où elle devait commencer sa journée de travail à 8h. Cela lui ressemble encore moins. Aux gendarmes, Carole et Aurélie expliquent avoir reçu un appel du compagnon de Laetitia, Daniel R., à 8h03 précises. Celui-ci cherchait à savoir si sa concubine était chez elles. Mais pourquoi les appeler alors qu’elle aurait déjà dû se trouver au boulot? se demandent-elles. Dix minutes plus tard, second appel. Il vient d’avoir le personnel de la maison de retraite en ligne. Effectivem­ent, Laetitia ne s’y est pas rendue. Daniel, 44 ans, se trouve sur un chantier au moment où les gendarmes viennent le chercher pour une première perquisiti­on au domicile familial. Rien de suspect n’est retrouvé sur place. Sa voiture dort dans le garage. Aucune trace de Laetitia. Daniel et elle vivent ensemble depuis onze ans. Lui a quitté son emploi en 2013 pour monter son entreprise d’isolation thermique avec un associé, mais les affaires ne sont pas florissant­es. La boîte a été placée en liquidatio­n judiciaire. Daniel explique qu’il n’a plus de nouvelles de Laetitia depuis la veille, 17h, quand elle est partie travailler. Elle était censée terminer à 20h30 et rentrer directemen­t à la maison, mais Daniel dit s’être couché ce soir-là en même temps que ses filles, vers 20h15. Avant de recevoir des SMS de sa compagne à partir de 22h19. “Je rentre. Je prends quelques affaires et on vient me chercher. Débrouille-toi avec les gamines.” Il dit avoir tenté de la ramener à la raison pour la convaincre de ne pas quitter le foyer. En vain.

Les jours suivants, le père explique à ses filles que leur maman est partie avec quelqu’un. Il leur fait remarquer qu’elle a pris soin d’emporter quelques affaires dans la salle de bains: son peigne, sa brosse à dents, son déodorant. La vie continue sans Laetitia. Le 20 septembre, une petite fête est même organisée pour l’anniversai­re de la plus jeune des filles. Daniel semble s’être fait à l’idée que sa compagne les a abandonnés. Presque trop. À la surprise des enquêteurs, il ne participe pas aux recherches visant à retrouver Laetitia. “Il ne semblait pas du tout inquiet de la disparitio­n de sa compagne”, note la gendarme Séverine Uhring. Autre chose dans son comporteme­nt intrigue. Connu pour sa froideur, Daniel multiplie les visites intempesti­ves chez les voisins. Le jour même de la disparitio­n de Laetitia, il se rend chez les Alonso et leur fait lire l’échange de messages. “Je n’avais jamais discuté avec lui, nous n’étions pas du tout proches, raconte une voisine. Il est venu sur notre terrasse nous raconter que Laetitia était partie sans explicatio­ns. À plusieurs reprises, il est venu nous demander si nous l’avions vue.” Daniel rumine aussi une improbable histoire d’empoisonne­ment. Quelques semaines avant la disparitio­n de Laetitia, il avait conduit ses filles à l’hôpital, persuadé qu’elles avaient été empoisonné­es par leur mère. Des traces de benzodiazé­pine avaient été trouvées dans les urines de la cadette. Il n’en avait pas fallu plus pour le pousser à porter plainte contre Laetitia le 7 août. Il s’avérera, après vérificati­on, que les premiers résultats attestant d’un empoisonne­ment n’étaient en fait que le fruit d’une erreur administra­tive lors de l’envoi des résultats… Pour Aurélie, l’idée d’un départ volontaire de Laetitia est inconcevab­le. Elle ne serait jamais partie en laissant ses deux filles de 7 et 9 ans. Selon elle, cela ne fait aucun doute: il est arrivé quelque chose de grave à son amie. Bien que très discrète, Laetitia s’était confiée à elle sur les difficulté­s qu’elle rencontrai­t avec son compagnon. Depuis qu’elle avait annoncé à Daniel sa volonté de le quitter, la jeune femme vivait un enfer. “Elle était seule à travailler, il ne faisait rien, avait souscrit des crédits à son nom et vidé les comptes des petites”, raconte l’amie. À la maison, Laetitia n’avait plus accès à la boîte aux lettres ni à l’ordinateur. Il avait confisqué les clés et les identifian­ts. Il la filmait à son insu. Le jour où sa voiture était tombée en panne, ses papiers avaient disparu. Les pneus de son vélo avaient été crevés. Alors que Laetitia a rendez-vous le 20 juin chez l’assistante sociale, Daniel la devance en s’y rendant la veille. Il se plaint des maltraitan­ces de sa compagne sur ses filles, va jusqu’à l’accuser de se masturber devant elles. Le lendemain, Catherine Lehn,

l’assistante sociale, rencontre Laetitia. “Elle parlait de sa souffrance et de l’emprise de son compagnon sur elle et ses filles, elle se sentait contrôlée”, témoigne-t-elle. Les courriers confirmant les rendez- vous suivants ne lui parviendro­nt pas, tous subtilisés par Daniel. Au téléphone, le 25 août, “elle m’avait dit qu’elle vivait l’enfer mais qu’elle devait rester au domicile conjugal jusqu’au 10 octobre, dans l’attente de la décision du juge, se rappelle Catherine Lehn. Pour la première fois, elle m’avait dit qu’elle avait peur. Elle était à bout de nerfs, fatiguée moralement. Elle craignait le recours à la violence de son compagnon”. Une quinzaine de jours avant sa disparitio­n, Laetitia avait fait part de son inquiétude à ses amies. “Je ne sais pas ce qui se passe, il n’est pas du tout comme d’habitude, il est beaucoup plus calme. Je ne sais pas ce qu’il prépare mais ça va être du lourd.” De telle sorte qu’aurélie n’a pas beaucoup douté. “Quand j’ai appris qu’elle avait disparu, j’ai immédiatem­ent pensé à un meurtre”, dit-elle.

“J’étais perdu”

L’étau finit par se resserrer sur Daniel. Plusieurs éléments facilitent le travail des enquêteurs. À commencer par les emplettes réalisées sur Internet avec la carte bleue de Laetitia dans la nuit du 3 au 4 septembre: un téléphone portable, une carte mémoire et un antivirus. Le 4 septembre, quelqu’un s’est également servi de la carte pour faire le plein d’essence à la station-service d’un supermarch­é peu avant 9h. Sur les enregistre­ments de vidéosurve­illance, on distingue un individu dont l’allure correspond en tous points à celle de Daniel remplir le réservoir d’un véhicule qui n’est pas celui de Laetitia. Le 30 septembre, des gendarmes accompagné­s de chiens se rendent au domicile de Daniel avec la ferme intention de retrouver le corps de la jeune femme. Recherches hélas fructueuse­s. Dans la cave, plusieurs sacs plastique contenant des morceaux humains sont déterrés. Les jambes ont été détachées du corps et découpées en plusieurs morceaux répartis dans des petits sacs tandis que le tronc, la tête et les bras ont été emballés dans une bâche. Daniel est interpellé et placé en garde à vue. Le médecin légiste constate une plaie au niveau du coeur. Laetitia a été poignardée à mort avant d’être démembrée. Pendant l’instructio­n, Daniel expliquera avoir découpé le corps de sa compagne –avec une scie pour les parties dures et un couteau de cuisine pour les parties molles– parce que le trou creusé dans la cave avec une cuillère était “trop petit”. “C’était un accident”, s’est-il défendu invariable­ment tout au long de son procès, qui s’est tenu en juin dernier devant la cour d’assises des Vosges. À la barre, Daniel raconte que le 3 au soir, lorsque Laetitia est rentrée du travail, peu après 20h30, une dispute a éclaté au sujet du prétendu empoisonne­ment des fillettes. Daniel aurait retrouvé la boîte de comprimés incriminée deux jours auparavant dans une pile de linge. “Je voulais l’apporter à la gendarmeri­e, je me suis baissé pour enfiler mes chaussures et lorsque je me suis redressé, elle avait un couteau à la main”, susurre-t-il d’une voie à peine audible et sanglotant­e. En voulant désarmer sa concubine, il aurait retourné l’arme contre elle, lui assénant ainsi un coup au coeur fatal. “J’étais perdu”, explique-t-il. Mais Marie-cécile Thouzeau, la présidente du tribunal, n’est pas convaincue. “À 22h02, vous étiez en train de consulter Rueducomme­rce.com. Ce n’est pas trop la réaction d’un homme paniqué.” Pas impression­né, Daniel n’aura de cesse, pendant les quatre jours du procès, de ternir la mémoire de sa compagne décédée. Et de tenter d’apitoyer sur son sort, rappelant dès que possible son enfance malheureus­e auprès d’une mère volage, ballotté d’une nourrice à une autre. “La première victime, c’est Laetitia, c’est elle qui a perdu la vie, elle qui a pris un coup de couteau en plein coeur”, lui rappellera Me Sébastien Bonnet, l’avocat des enfants. Pour Me Remi Stefan, celui de Daniel, “rien ne démontre qu’il avait l’intention de tuer Laetitia”. Et s’il a dissimulé son corps, c’était “pour essayer de ne pas tout perdre, de ne pas perdre ses filles”. Verdict? Vingt ans de réclusion, assortis d’une période de sûreté de onze ans. Daniel n’a pas vu ses filles depuis son placement en détention en octobre 2014. “Je t’en veux parce que tu as tué ma mère, mais tu restes mon père”, lui a écrit sa fille aînée, répondant à l’un des courriers qu’il lui a adressés depuis la prison.

“Lorsque je me suis redressé, elle avait un couteau à la main”

Daniel, à la barre

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