Tampon!

Quand j’étais rugbyman

Le rugby mène à tout à condition d’en sortir. Artiste, révolution­naire, explorateu­r, tyran ou maître du monde, ils ont tous été nourris à la mamelle de l’ovalie, cette école de la vie.

- PAR LA RÉDACTION DE TAMPON! PHOTOS: PANORAMIC ET DR

Quel est le point commun entre George W. Bush, Javier Bardem, Pierre Bourdieu et Che Guevara?

RUSSELL CROWE

Son nom est Russell Ira Crowe, acteur bankable, propriétai­re des South Sydney Rabbitohs et fidèle serviteur du rugby. Enfin, de l’autre rugby. Né en Nouvelle-zélande, il déménage à Sydney à 4 ans et jure allégeance aux South Sydney Rabbitohs, club prolétaire s’il en est. Son choix, il le valide sur le pré. À 10 ans, il est baptisé: “J’ai perdu ma dent de devant en jouant au XIII quand un gros m’a mis un coup de pompe dans la tête. J’ai pris la décision de ne pas me faire poser d’implant parce que je trouvais que ça faisait faux. Mais je n’ai tourné aucun film en tant qu’adolescent et c’était dur avec les filles.” Russel finira par se plier au diktat de la beauté, deviendra une star planétaire et rachètera finalement son club. Ce qui, selon lui, lui a coûté son mariage ; trop d’énergie investie à convaincre les nouvelles recrues et assister aux matchs. Quand il ne s’improvise pas flanker lors de matchs de charité, où il ne fait pas vraiment semblant, mais a appris à protéger sa dentition. CAL

GEORGE W. BUSH

Bien avant de peindre des bichons, d’envahir l’irak ou de survivre à l’attaque d’un bretzel, George Walker Bush a aussi été un étudiant pistonné par papa pour étudier à Yale. Ou plutôt écumer les soirées des fraternité­s et exercer ses talents d’arrière dans le XV de l’université. Une photo en noir et blanc immortalis­e la carrière du futur 43e président des États-unis. Lors d’un match face au frère ennemi Harvard, “W” étrangle un adversaire du bras gauche pendant que du droit, il lui refait le portrait. Son prédécesse­ur à la Maison-blanche, Bill Clinton, a lui aussi tâté du ballon ovale lors de ses études en Angleterre, “sans connaître les règles, en bon américain”. Visiblemen­t, Bush a, lui, retenu une règle informelle: “Pas vu, pas pris.” Utile pour la suite de sa carrière. AP

AMIN DADA

Après dix ans de présidence autocratiq­ue –selon ses détracteur­s–, Serge Blanco lâche le pouvoir à la LNR en 2008. “Il ne faut pas faire croire aux gens que j’étais Amin Dada”, clame alors le Biarrot. Personne n’aurait envie d’être comparé à un tyran sanguinair­e, illettré et suspecté d’être anthropoph­age. Pourtant, l’ancien arrière et le dictateur ougandais partagent la même passion pour le rugby. Soldat dans l’armée coloniale britanniqu­e, Dada impose son quintal dans le pack de devant et gagne le respect de ses partenaire­s qui l’estiment comme “un chic type quoiqu’un peu limité en matière grise”. À l’heure de la troisième mi-temps, ils le laissent à la porte du bar. Pas question de trinquer avec un Noir à l’époque. Alors, quand il nationalis­e en 1972 les entreprise­s britanniqu­es en Ouganda, Amin Dada y inclut le Kampala Club, une institutio­n réservée aux colons, qu’il rebaptise Government Club. La légende raconte des soirées très alcoolisée­s en compagnie de ses gardes du corps. La conviviali­té, cette valeur cardinale du rugby. AP

JACQUES TATI Avant l’oscar du meilleur film en 1959 pour Mon Oncle et son personnage de Monsieur Hulot, c’est à Londres, en 1929, à l’occasion d’un stage, que Jacques Tati découvre l’ovalie, juste après son service militaire. Il rejoint le Racing Club de France, dont il sera troisième ligne pendant six ans. Une équipe improbable dont le capitaine deviendra un économiste et démographe de renommée mondiale: Alfred Sauvy. Derrière la main courante, le romancier Tristan Bernard se régale. Tati restera, lui, surtout dans les mémoires du club pour deux faits d’arme. Le premier consiste à faire un jour entrer son équipe avec un ballon de foot et à s’échauffer comme si de rien n’était dans des buts imaginaire­s. Le second est son traditionn­el numéro de mime en ombres chinoises lors du dîner de fin d’année du Racing. Le début de sa carrière d’artiste. BF

JEAN NOUVEL

Sans un coup fourré d’un Édouard Balladur alors Premier ministre, il aurait dû concevoir le Stade de France. L’architecte Jean Nouvel aurait pu se consoler en dessinant le stade olympique de Sydney mais les essais nucléaires engagés par Jacques Chirac l’ont mis hors jeu. En 2010, le maire UMP de Béziers Raymond Couderc a retiré l’affiche de la feria de ville qu’il avait créée à partir d’un collage sur une image de Sébastien Chabal. Lauréat en 2008 du prix Pritzker, le concepteur du musée du quai Branly n’avait pas le bon karma avec la droite et les stades. À défaut de dessiner pour les créer, il se console en tribunes. Notamment quand il investit le Millennium Stadium de Cardiff, “conçu pour vibrer” mais surtout son stade de référence: Armandie à Agen, la forteresse de son enfance. Son père a joué au SUA, lui était troisième ligne à Sarlat. “Je pestais à l’époque parce que je n’avais pas assez de poids. Je me suis bien rattrapé mais c’est malheureus­ement trop tard.” GL

DWAYNE JOHNSON

Malgré son surnom de “The Rock”, son mètre 96 et ses 120 kilos, Dwayne Johnson ne tient plus à entendre parler de rugby. L’explicatio­n, il l’a livrée lui-même: “J’ai habité en Nouvelle-zélande où j’ai joué au rugby à l’école. J’ai joué au football américain pendant très longtemps, puis j’ai été catcheur profession­nel pendant encore plus longtemps, et j’ai eu ma dose d’action à Hollywood. Mais il n’y a aucun sport plus dur que le rugby. Et ceux qui y ont joué savent de quoi je parle. J’ai constammen­t ce débat avec mes potes américains qui sont tous de très bons joueurs de football américain et je leur dis: ‘Aussi incroyable que tu sois au football, je veux que tu enlèves toutes tes protection­s, même ton casque, et que tu ailles jouer un match et on verra combien de temps tu tiens.’ Alors non, je n’espère pas pouvoir encore jouer.” CAL

SAMUEL BECKETT

En bon homme de théâtre, l’auteur d’en attendant Godot exécrait la télévision plus que tout. Ou presque: “Seulement pour les matchs de l’irlande.” Le rugby, c’est une histoire d’amour vieille de 65 ans pour Beckett. Au début des années 20, le prix Nobel de littératur­e 1969 intègre la Portora Royal School d’enniskille­n, dans le comté de Fermanagh. Là-bas, il fut un demi de mêlée ou d’ouverture “qui ne voyait rien avec ses lunettes mais téméraire comme un lion dans les regroupeme­nts”, au point de devenir le capitaine de l’équipe première de l’école deux années durant. Plus tard dans sa vie, Beckett montera une équipe d’amateurs composée d’auteurs irlandais parmi lesquels Liam O’flaherty et un James Joyce à moitié aveugle. Au crépuscule de sa vie, il ne menait plus que trois activités: boire, lire des livres et regarder du rugby. Une belle fin de partie, en quelque sorte. MR

PIERRE BOURDIEU

C’est au micro de Radio Droit de cité, une émission de quartier à Mantes-la-jolie, que le sociologue a défini en décembre 1999 sa science de la manière la plus limpide: “La sociologie est un sport de combat. On doit s’en servir pour se défendre mais on ne doit pas l’utiliser pour faire de mauvais coups.” Une métaphore sortie de nulle part? Pas vraiment. Avant khâgne à Louisle- Grand avec Jacques Derrida, avant l’école normale supérieure rue d’ulm, avant les concepts de violence symbolique, de champ ou d’habitus, avant même la sociologie du sport dont il dira un jour qu’elle est “dédaignée par les sociologue­s et méprisée par les sportifs”, il y a eu une enfance dans le Béarn paysan des années 40, passée à jouer au rugby avec ses copains Pierre, Lucien et Louis. Comme tout bon mythe s’accompagne de quelques légendes, on raconte que Pierre Bourdieu aurait été contacté par le Racing Club de France. Un club sans doute trop bourgeois pour lui. AM

GORDON BROWN

Nous sommes en 1967. Gordon, pas encore Premier ministre, 16 ans, est un lycéen comme les autres à la Kirkcaldy High School de Fife, Écosse. Ce jour-là, sa vie change à jamais. “C’étaient les deux premières minutes du match et je me suis retrouvé coincé dans une mêlée ouverte quand quelqu’un m’a mis un coup de pied dans la tête. On était l’équipe de l’école et on jouait contre d’anciens élèves. Ils avaient décidé de frapper un grand coup sur les jeunes. Je suis tombé, inconscien­t. Puis, je me suis relevé et j’ai continué à jouer, parce que je ne savais pas que j’avais quelque chose.” Quelque chose, c’est sa rétine qui s’est décollée de son oeil gauche. Opéré, il passera des mois dans un lit d’hôpital, les deux yeux bandés, terrifié à l’idée de devenir aveugle. Digne du Discours d’un roi.

CHE GUEVARA

À l’automne 1942, le jeune Ernesto Guevara suit son ami Alberto Granado au club d’estudiante­s de Cordoba. Sa famille a choisi de vivre dans la région, moins polluée, quelques années plus tôt sur les conseils d’un médecin. Ernesto a 14 ans et souffre d’asthme. Sur le terrain, plus grand et carré que Gael Garcia Bernal dans Carnets de voyage, il fait des crises mais découpe tout ce qui passe devant lui. Son surnom? Chancho. Le cochon, à cause de son nez et de ses plaquages musclés. La légende raconte qu’il marque des pauses tous les quarts d’heure pour retrouver son inhalateur et son souffle. Quand son père lui demande un jour d’arrêter, il répond: “Papa, j’aime le rugby et même si je dois en crever, je vais continuer.” Finalement, ses expédition­s révolution­naires exauceront les voeux du paternel. En 1951, lors de rencontres interunive­rsitaires, son équipe de la faculté de médecine de Buenos Aires doit jouer mais il est absent. Un coéquipier demande pourquoi, un autre a la réponse: “Il fait une révolution au Panama.” AM

DANIEL CRAIG

Lorsqu’il est choisi pour succéder à Pierce Brosnan dans le costume de James Bond en 2005, les critiques fusent. Outre qu’il est blond aux yeux bleus (comme dans les livres), il est jugé trop grand, trop musclé. Alors, c’est papa Tim qui monte au créneau: “À 15 ans, Daniel jouait pour les Birkenhead Park Colts. Il peut très bien s’occuper de lui tout seul. Quand il était jeune, c’était un sacré joueur de rugby, très dur, et il serait devenu profession­nel si les choses avaient tourné différemme­nt. C’est un garçon dur, vous ne voudriez pas le rencontrer dans une ruelle obscure.” Ni en débordemen­t petit côté, le type a quand même un permis de tuer. CAL

JEAN- LOUIS ÉTIENNE

Il y a eu le pôle Nord, plusieurs fois, l’île de Clipperton en plein Pacifique. Il y a eu l’himalaya, le Groenland, la Patagonie. Il y a eu des températur­es négatives. Il y a eu le Pen Duick VI et Éric Tabarly. Il y a eu la Transantar­ctica et la première traversée de l’océan Arctique en ballon. Il y a un CAP tourneur-fraiseur puis des études de médecine à Toulouse mais au commenceme­nt, il y a surtout eu une enfance à Vielmur-sur-agout dans le Tarn, le poste de demi de mêlée au Castres olympique et un médecin un peu trop scrupuleux qui lui conseille d’arrêter le rugby à cause de migraines. Jean-louis Étienne ne portera pas un casque mais un bonnet. AM

“Jouer au rugby en Espagne, c’est comme être torero au Japon. Personne ne le fait” Javier Bardem, ancien pilier espagnol

JACQUES CHIRAC

À en croire les sondages, il est le président préféré des français. Quel est son secret? Ce génie incompris qui inventa le “storytelli­ng” sans savoir prononcer le mot aurait été aidé par une légende tenace: il serait rugby. Tout y concoure, rien ne le prouve. Son ancrage corrézien, son gabarit, ses amis de toujours, dont Pierre Dauzier du groupe Havas, président du CA Brive. N’empêche, comme s’en moque Denis Tillinac, “Chirac n’y connaît rien”. Mais en laissant croire que son coeur tourne ovale, l’enfant du Ve arrondisse­ment s’immunise contre le parisianis­me de son C.V. Mettre la Corrèze au-dessus de la capitale, le désert français avant l’oasis, permet d’ouvrir le chemin pour aplatir à l’élysée, dans ce pays qui n’élit que des provinciau­x à la présidence. Il suffisait de donner le change: un appétit de troisième mi-temps et une bonhommie rabelaisie­nne feront le reste. NKM

KRIS KRISTOFFER­SON

Encore plus qu’américain, KK est texan. Pire, c’est une légende de la country, l’égal de Waylon Jennings, Willie Nelson et Johnny Cash. Pas étonnant alors de savoir qu’il doit son admission à l’université de Pomona à ses talents de footballeu­r américain. Enfin, surtout au coach Jesse Cone, qui lui a écrit une lettre pour le convaincre. Pourtant, selon lui, “Kris n’est pas vraiment grand. Et il n’est pas vraiment fort. Et en fait, il n’est pas très rapide. Kris est un joueur de football par la volonté de Kris Kristoffer­son, pas par la volonté de Dieu.” Dans ces conditions, il ne pouvait échapper à l’autre ballon ovale, au point d’organiser lui-même l’équipe. Une passion qui le suit à Oxford, où il intègrera également l’équipe malgré les réticences des britanniqu­es à faire confiance à un Yankee. Mais une fois la coiffe jetée, Kris s’est contenté d’écrire des classiques et d’avoir la classe sur grand écran. Une étoile était née. CAL

JAVIER BARDEM

C’est écrit sur sa gueule. Javier Bardem a un faible pour le rugby. Cette mâchoire carrée, ce tronc à la place du cou, ces oreilles enflées et ce nez de travers. Les symptômes sont là, mais difficile pour autant de trouver une origine à cette passion pour un enfant des Canaries. Du coup, il faut croire que ça vient un peu de nulle part ou alors de cette équipe de quartier à proximité de Madrid où sa famille s’est installée. Javier, 9 ans, y suit son frère aîné Carlos. Après la disparitio­n du club, les Bardem poursuiven­t l’expérience dans leur nouveau collège où ils rencontren­t Pablo Tomas Garcia: “J’étais en cours avec Carlos. On l’a très vite surnommé “le Mendrugo” (le simplet en espagnol, ndlr) sans raison apparente. Javier traînait toujours avec lui. Du coup, on l’appelait le Mendruguit­o.” Tommy embarque les deux simplets dans l’équipe du lycée français où il officie comme entraîneur-joueur. À ce moment-là, Javier est tiraillé entre ses deux passions, car en dehors des terrains le garçon travaille son côté artistique. “Je savais qu’il aimait bien le théâtre mais je le voyais plus s’orienter vers la peinture”, observe Garcia. Avec un ballon ovale dans les mains, l’acteur en herbe est loin d’être un peintre. Pour son ami, en tout cas, il est “bien meilleur que son frère”. Flanker reconverti en première ligne, Bardem “était un pilier moderne, pas gros, mais il était fort et athlétique. Est-ce qu’il aurait eu le niveau en France? C’est difficile de savoir. Sincèremen­t, je pense que ça aurait été un bon joueur en Espagne.”

En tout cas, il est assez bon pour être convoqué avec la sélection nationale des moins de 16 ans. “L’équipe avait un bon niveau à l’époque. Quand on faisait des matchs amicaux contre l’angleterre ou l’écosse, on pouvait les battre. Et sur le terrain, on remarquait beaucoup Javier parce qu’il était très puissant.” Devenu internatio­nal espoir, il est alors rattrapé par son autre vocation. Quelques années plus tard, il raconte l’anecdote au Sunday Telegraph: “Quand j’ai commencé à être connu, je jouais encore au rugby. Mes adversaire­s criaient: ‘C’est le mec de Jamón jamón, on va lui casser la gueule!’” L’heure d’opérer un choix. Et pour lui, c’est vite vu: “Jouer au rugby en Espagne, c’est comme être torero au Japon. Personne ne le fait.”

Reste la passion. “Il est toujours en contact avec nous, assure Garcia. Dans le milieu du rugby, ce n’est pas Javier Bardem, c’est toujours Javier.” Sauf que Javier est devenu un des acteurs européens les plus demandés. Sur le plateau de Skyfall, lui et James Bond, ennemis fictifs, se lient d’amitié grâce à leur amour pour le rugby. Daniel Craig évoque leurs discussion­s passionnée­s. “J’adorerais voir un match avec lui. Le seul problème, c’est qu’on a trop de travail pour le moment. Peut-être plus tard, quand on sera plus tranquille­s.” Et pas sûr que 007 l’emporte à la fin, cette fois. PAR UGO BOCCHI

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 ??  ?? “Une vodka-martini, s’il vous plait.”
“Une vodka-martini, s’il vous plait.”
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