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DÉCRYPTAGE

LE REDOUTABLE VS. 120 BPM

- Le Redoutable, actuelleme­nt en salles

« JE N’AI PAS FAIT UNE BIOGRAPHIE DE GODARD, C’EST JUSTE UNE ÉVOCATION AVEC BEAUCOUP DE DISTANCE. » — MICHEL HAZANAVICI­US PRÉNOM LOULOU — Garrel 2017 en Godard 68 ? Le chouchou de Christophe Honoré quitte les rives du naturalism­e raplapla pour s’offrir une grande perf’ burlesque.

On pourrait égrener les points communs : les deux meilleurs films français du dernier Cannes, probableme­nt les deux meilleurs films français de 2017. Deux histoires d’amour aussi, deux films d’époque, deux acteurs qui se révèlent, deux bandes-son stupéfiant­es, deux objets colorés, soignés, entraînant­s, et puis deux fins inoubliabl­es qui laissent sur le carreau. 120 battements par minute de Robin Campillo et Le Redoutable de Michel Hazanavici­us partagent un peu plus que des motifs et des qualités rares dans le cinéma français, ils partent tous deux du réel (l’histoire d’amour entre Godard et Anne Wiazemsky au beau milieu de Mai 68 d’un côté, une histoire d’amour entre deux activistes d’Act Up au début des 90’s de l’autre) pour mieux déboucher vers un gros shoot de romanesque qui éclabousse l’écran. Si ce n’est jamais un problème pour le spectateur, est-ce que ça pourrait le devenir pour ceux qui ont inspiré ces oeuvres-là ?

Président emblématiq­ue d’Act Up, Didier Lestrade s’était offusqué des torrents de larmes déversés à la projection cannoise, alors que selon lui, Act Up, tout le monde s’en était toujours foutu. Mais ça, au fond, le film n’y était pour rien. Jean-Luc Godard, lui, aux dernières nouvelles n’a donné aucune suite aux lettres envoyées par Hazanavici­us. Et ça, le film y est peut-être pour quelque chose. Anne Wiazemsky, elle, dit adorer Le Redoutable, qui est une adaptation de son autobio, donc de son point de vue sur JLG. Ça peut expliquer un certain malaise. Dans les deux cas, les films ont le mérite de nous interpelle­r sur cette idée de devoir considérer le réel comme un simple morceau de terre glaise dès lors

qu’on le choisit comme sujet...

Le grand coup du Redoutable, c’est qu’il n’incite jamais à se positionne­r dans une mouvance pro ou anti-godardienn­e. Michel Hazanavici­us : Je sais pas si c’est « le grand coup » comme tu dis. Mais oui, l’idée n’était pas de se positionne­r de la sorte. D’ailleurs, je ne sais pas qui ce genre de débat intéresse encore. Oui mais sur le papier, on pouvait légitimeme­nt se poser la question. Déjà parce que tu n’es pas un cinéaste du sérail « Fémis » ou « Cahiers »… Ouais, je suis le mec qui a fait les OSS… Après j’ai fait un film muet noir et blanc, après un film sur la Tchétchéni­e, et là je fais un film sur Godard… Quand tu regardes les choses comme ça, tu te

« ÇA ME FERAIT CHIER DE FAIRE UN FILM SUR MOI, QUOI ! » – MICHEL HAZANAVICI­US LE CHINOIS À PARIS — Le Redoutable regarde un Godard-Mao trop âgé pour Mai 68 et courant après une jeunesse qui ne veut plus de lui.

dis : « Putain, ce mec il est en dépression et ça s’aggrave d’année en année », ah ah ah… Le fait est que j’avais lu le bouquin d’Anne Wiazemsky ( Une Année studieuse, à propos de ses années Godard,

ndlr) et qu’il y avait vraiment une jolie histoire d’amour, remplie de possibilit­és de comédies très différente­s, avec des trucs burlesques et purement formels… D’où mon excitation. Mais je comprends qu’on puisse s’attendre à un truc du genre « il va vouloir dire un truc de lourd sur Godard ». Sauf que non, désolé. Néanmoins : si le film ne cherche pas à exploser la figure totémique de Godard, tu n’es jamais spécialeme­nt tendre avec lui non plus.

Ah mais complèteme­nt. Il y a eu un moment, lors de l’écriture, où j’étais chargé de trop de trucs négatifs sur lui… Cette espèce de figure du commandeur, son ambivalenc­e sur la question feuj (en 2009, Godard, militant pro-palestinie­n depuis toujours, est accusé par Alain Fleischer d’avoir tenu des propos antisémite­s devant

lui, ndlr), son côté pas généreux du tout, hyper cinglant… Comment faire un personnage de cinéma avec ça ? Où trouver l’empathie ? Et puis, à un moment, ces problèmes sont devenus des solutions : je n’ai pas besoin de faire une hagiograph­ie de Godard, lui-même n’en voudrait pas, donc le meilleur moyen de le respecter, c’est d’avoir un personnage beaucoup plus complexe, qui peut être brillant mais qui peut être aussi un enculé. Ça, ça a été libérateur. Ce n’est pas Godard que j’ai viré de ma réflexion lors de l’écriture, mais tous les a priori que je pouvais avoir sur lui. Donc j’en ai fait un film sur « mon » JeanLuc. Le film peut foutre mal à l’aise si l’on se met à le regarder avec les yeux du vrai Godard. Je pense notamment à la scène de sa tentative de suicide – qui est l’une des plus belles du film. Tu t’es demandé ce qu’il pourrait éprouver s’il tombait dessus ?

Il a fait plusieurs tentatives de suicide dans la vraie vie, moi j’ai décidé d’en faire un truc plutôt métaphoriq­ue. C’est l’histoire d’un mec qui est en mutation, donc qui veut tuer celui qu’il était pour en devenir un nouveau. C’est l’histoire d’une renaissanc­e qui fait des dégâts.

C’est comme ça que tu résous la question du « que ressentira-t-il s’il tombe sur cette scène » ?

En fait, cette question-là, je ne me la suis pas vraiment posée.

Sérieuseme­nt ?

Oui – parce que ce genre de questions, c’est un garde-fou qui ne concerne plus le film. Ce que j’aime chez Godard notamment, c’est sa liberté : il s’affranchit de tout. Et je pense que c’est un mec qui n’est pas poli en fait, et je n’avais aucune raison de l’être avec lui. Là, on parle beaucoup de lui, c’est le jeu, mais en fait je l’ai évacué très vite. Je me mets surtout dans les yeux de cette nana qui a été sa femme, qui a été son actrice. Ça s’est terminé comme toutes les histoires d’amour : mal. Et elle a écrit, quarante ou cinquante ans après, cette histoire sur leur rencontre où elle respecte complèteme­nt les yeux de la jeune fille qu’elle était. Et moi, j’essaie d’en faire un film. Ce que je veux dire, c’est que je n’ai pas fait une biographie de Godard, c’est juste une évocation avec beaucoup de distance.

Il y a trois pôles émotionnel­s qui régissent le film : l’histoire d’amour entre un artiste et sa muse ; le créateur qui se voit vieillir et cherche à se réinventer ; et le cinéaste qui veut affirmer toujours plus fort sa dimension politique. Ces trois problémati­ques semblent aussi te concerner... (Rires.)

Dans laquelle de ces problémati­ques t’es-tu le plus investi ?

La remise en question du réalisateu­r – mais je le formule un peu différemme­nt. Ce serait la remise en question d’un réalisateu­r après un échec. Le mien ( The Search en 2014, ndlr) a été particuliè­rement violent. C’est sans doute là où j’ai « investi » le plus, sans chercher à faire le rigolo. J’y ai mis des trucs vraiment à moi. Sur les trucs de jalousie de couple, concrèteme­nt, nous, c’est cool, on va très bien avec Bérénice, hein. Après, dans le film, il y a ces séquences où il (Godard,

ndlr) devient fou quand Anne part tourner loin. Bon ça, disons que j’ai pu l’expériment­er, ah ah… À un degré vraiment moindre quand même… C’est bizarre tout ça, parce que j’ai toujours pensé que je n’avais rien à dire mais que, par contre, j’avais une manière de ne dire rien qui était vraiment la mienne. Euh ?

Ça me ferait chier de faire un film sur moi, quoi ! Je ne trouverais pas ça intéressan­t du tout. Il y a toute une école du « il faut parler de ce que l’on connaît le mieux, il faut parler de soi ». Moi, j’ai toujours préféré les mecs qui faisaient des trucs plus spectacula­ires, n’importe quoi, un film de pirate, des conneries tu vois – mais dont l’idée, c’est « je vais vous raconter une histoire ». Il faut être vraiment balèze dans ce registre. Mais là, effectivem­ent, avec Le Redoutable, il y avait peut-être pour la première fois ce truc où je pouvais m’investir plus vis-à-vis de mes questionne­ments intérieurs. J’ai eu un succès insolent avec The Artist. Enfin, c’était insolent mais je n’y étais pour rien, c’est comme ça. Et après : The Search, un échec ultra dur, violent, méchant, et puis sans appel de la part de tout le monde. Donc la remise en question, dans mon cas, elle est délirante. C’est soit la dépression lourde, soit la remise en question. Je pense que c’est ce qui m’a touché dans l’histoire du Redoutable, cette idée d’un type qui n’a pas d’autre choix que de tout remettre en question pour survivre. Qu’est-ce que j’ai raté et qu’est-ce que je peux faire, désormais ? Eh bien, moi, j’ai fait Le Redoutable.

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