Vanity Fair (France)

« TU VOIS, LE BIEN MAL ACQUIS NE PROFITE JAMAIS… QU’À MOI »

Arsène Lupin revient d’entre les morts en 2015 avec de nouvelles aventures et l’écrivain

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l est allé se nicher dans un diamant. Personne ne soupçonne qu’au sommet de la nouvelle Fondation Louis-Vuitton, caché par les ailes de verre du bâtiment de Frank Gehry, le gentleman- cambrioleu­r s’est aménagé une cachette d’où il a sur Paris la plus belle vue qu’on puisse imaginer. Il sait que mon livre va révéler au monde que le héros inventé par Maurice Leblanc est toujours en vie. Il m’a invité à déjeuner et m’accueille comme si j’arrivais chez lui, vers 1910, dans l’Aiguille creuse d’Étretat, son refuge de l’époque. Pour rire, il imite l’intonation très « Comédie Française » que lui donnait Georges Descrières dans les feuilleton­s télévisés : « Tu es un peu en retard. Le déjeuner était fixé à midi. Qu’y a- t-il donc ? Je suis donc si changé ? Moi-même, je ne sais plus bien qui je suis. Dans une glace, je ne me reconnais plus. Tant mieux. Mon chef est en congé et nous serons contraints de manger froid. » Il avise mon sac de chez Prunier, je lui dis que je lui ai apporté son caviar favori. Sa réponse fuse : « Ah ! C’est tout à fait gentil. Tu t’es souvenu que tu traitais un prince russe. » Je lui rappelle qu’il n’a pas donné d’interview depuis 1923. Il sourit, me désignant une chaise Louis XVI que j’avais admirée à l’exposition « Aux sources du design », à Versailles, quelques semaines plus tôt. Sa voix se teinte d’ironie : « Prenez un crayon, mon cher, et une feuille de papier. » J’espère surtout qu’il va vite abandonner ce ton d’une autre époque, derrière lequel il se protège. Pour l’attaquer directemen­t, je lui demande comment, quand on joue encore au héros du début du siècle dernier, on fait pour fréquenter, en 2015, des émirs, des grands patrons, la présidente de la République d’un pays d’Europe centrale... Il ironise encore : « Quel joli métier que le nôtre ! Il nous met en relation avec tout ce qu’il y a de bien sur terre. » Je l’interroge sur les événements de janvier dernier. La police applaudie par la foule place de la République, est- ce que cela n’a pas exaspéré le grand cambrioleu­r ? Il répond en gentleman, il ridiculise les policiers depuis si longtemps : « Mauvaise habitude, et dont je me repens. Mais que veux- tu ? C’est la règle. Voilà un brave homme de policier, voilà des tas de braves types qui sont chargés d’assurer l’ordre, qui nous défendent contre les apaches, qui se font tuer pour nous autres, honnêtes gens, et nous n’avons pour eux que sarcasmes et dédain. C’est idiot ! »

IJe sors de ma poche les questions que j’avais préparées pour le déstabilis­er : « Vous êtes devenu une vraie icône de la France, mondialeme­nt célèbre. Vous payez vos impôts ici ? Vous faites partie des exilés fiscaux ?

– Frauder l’État... Quelle turpitude... J’ai horreur de ces bonshommes-là !

– Vous aimez les Jaguar, les montres Breguet, vous vivez dans ce penthouse incroyable. Vous n’avez pas envie de vous cambrioler vous-même ?

– Si j’ai sur la propriété d’autrui des idées un peu spéciales, je jure que ça change du tout au tout quand il s’agit de ma propriété à moi. La vie est en moi comme un trésor infini que je n’arriverai jamais à épuiser. Et Dieu sait pourtant que je vis sans compter ! – Vous n’avez pas peur d’avoir trop d’argent ? – Tu vois, le bien mal acquis ne profite jamais... qu’à moi. – Voleur ! – Ingrat ! » C’est quand il éclate de rire qu’il est le plus séduisant. Je l’interroge, pour l’agacer, sur Herlock Sholmès, le détective britanniqu­e. Il devient philosophe : « Toujours Sholmès obéira, plus ou moins, spontanéme­nt, avec plus ou moins d’à-propos, à son instinct de détective, qui est de s’acharner après le cambrioleu­r. Et toujours Arsène Lupin sera conséquent avec son âme de cambrioleu­r en évitant la poigne du détective et en se moquant de lui, autant que faire se peut. Et cette fois, faire se peut ! Ah ! Ah ! Ah ! » Regrette- t-il de ne pas avoir mis son intelligen­ce au service du bien ? « Pourquoi dis- tu cela ? Je puis me dépenser et me gaspiller, je puis jeter mes forces et ma jeunesse aux quatre vents, et puis vraiment, ma vie est si belle ! Je n’aurais qu’à vouloir, n’est- ce pas, pour devenir du jour au lendemain, que sais-je, orateur, homme politique... Eh bien, jamais l’idée ne m’en viendrait ! Arsène Lupin je suis, Arsène Lupin je reste. Et je cherche vainement dans l’histoire une destinée comparable à la mienne, mieux remplie, plus intense... Napoléon ? Oui, peut- être... » La comparaiso­n ne me surprend pas. Ce n’est pas un hasard s’il a choisi ce printemps de 2015, le bicentenai­re du « Vol de l’Aigle », le débarqueme­nt de l’empereur revenu

« Quel joli métier que le nôtre !

Il nous met en relation avec tout

ce qu’il y a de bien sur terre. »

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