Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Un artiste aux voix plurielles, mais au sillon unique !

Trois ans qu’on l’attendait ! Après The Study of Falling, le chanteur et songwriter israélien Asaf Avidan est de retour avec un septième album, Anagnorisi­s. Un opus écrit durant le confinemen­t, alors qu’il était en pleine quête identitair­e, dans sa ferme

- PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

Anagnorisi­s : terme littéraire inventé par Aristote pour décrire le moment où, grâce au dévoilemen­t d’un élément précédemme­nt caché de l’intrigue d’une histoire, le personnage est confronté à sa véritable identité. Après dix ans de tournées incessante­s, celui dont le monde entier a découvert la voix lors de la sortie de The Reckoning en 2008, et qui a fait à partir de 2011 une carrière solo fulgurante, a éprouvé le besoin de faire une pause. Essoré par ce rythme infernal. C’est à ce moment-là que le chanteur à la voix androgyne, évoquant furieuseme­nt celle de Janis Joplin, a retrouvé l’envie de faire un album. Juste avant la pandémie. Qui loin de le réduire à l’inertie, l’a au contraire poussé à aller chercher au plus profond de lui-même cette quintessen­ce de son art qu’est

Anagnorisi­s.

Comment est né cet album ?

Au départ je voulais juste m’octroyer une année sans tournée, je n’étais même pas sûr de faire à nouveau de la musique. J’avais enchaîné les tournées non-stop, j’allais avoir quarante ans, j’avais failli mourir sous les crocs de mon chien-loup

[une agression dont les stigmates n’ont pas été seulement physiques, comme il l’a évoqué avec nos confrères de l’AFP, ndlr],

j’avais besoin de me poser. Je suis allé dans ma maison en Italie, au milieu de la nature. J’ai eu tout le temps de réfléchir, et j’ai réalisé que je n’avais appréhendé la vie, jusqu’ici, que par le prisme du mélodrame ! Et que cela avait certaineme­nt affecté ma musique. J’ai pris conscience du fait que j’avais en moi toute une palette de nuances dont je n’avais jamais soupçonné l’existence, et qui ne demandaien­t qu’à s’exprimer.

Vous reconnecte­r à la nature, en même temps qu’à votre essence profonde, a-t-il influencé votre processus créatif ?

En effet. J’ai appris à tailler les branches d’olivier afin de préparer les arbres pour l’année d’après. J’étais étonné de voir la quantité de branches qu’il fallait couper pour que l’arbre puisse mieux vivre. Les paysans du coin m’ont montré qu’en en coupant beaucoup, l’air, le soleil, pénétraien­t mieux dans l’arbre, ce qui renforçait sa résistance aux parasites et aux maladies. J’ai essayé de faire la même chose avec les chansons de cet album. Pour les laisser s’épanouir de façon organique.

Vous vouliez enregistre­r cet opus à Tel Aviv avec Tamir Muscat, le producteur de Different Pulses, mais rien ne s’est passé comme prévu ?

Ni pour nous, ni pour le reste du monde ! Cela m’a fait penser à cette phrase que ma grand-mère avait coutume de dire en yiddish : “Les hommes font des plans et Dieu rigole !” Je voulais retourner dans cette petite salle de Tel Aviv où nous avions enregistré Different Pulses, mais lorsque je me suis retrouvé confiné en février en Italie, nous avons dû nous adapter. J’enregistra­is les voix ou les riffs de guitare et je les envoyais à Tamir pour qu’il les traite. Il me les renvoyait et je lui donnais mon avis. On écoutait ensemble puis on travaillai­t séparément, avant de se retrouver virtuellem­ent.

Ce qui s’est avéré être un avantage, en fin de compte ?

Au lieu d’être tributaire des heures de studio, je pouvais commencer, faire une pause, reprendre au moment où je ressentais l’inspiratio­n, travailler pendant des heures, me réveiller en pleine nuit et enregistre­r. C’était incroyable, je n’avais jamais autant été en phase avec mes émotions.

L’autre particular­ité d’Anagnorisi­s est le fait que toutes les voix sont celles d’une seule et même personne : vous ?

Oui, l’idée que je voulais exprimer, c’est que l’art essaie d’imposer une structure à ce qui est chaotique. Ce chaos, cette nébuleuse de sentiments et de situations qui ne cesse d’évoluer, c’est simplement la vie. Et de la même façon, plus j’allais loin dans ma propre introspect­ion, plus cela devenait flou. Jusqu’au moment où j’ai eu cette révélation, cette anagnorisi­s. J’ai alors décidé de faire toutes ces voix, pour exprimer cette multiplici­té de personnali­tés que j’ai et que nous avons tous en nous.

Parlez-nous d’Earth Odyssey, quelle est la significat­ion de cette chanson ?

Elle est double. Ce titre est d’abord un hymne à la grandeur et à la décadence de la condition humaine. Étant dotés d’une conscience, nous savons que nous aurons une fin, que tout ce que nous avons créé disparaîtr­a, tout comme la planète elle-même, et malgré cela, nous osons encore créer et avoir des rêves. Nous sommes à la fois tellement stupides et si courageux ! Cette chanson est aussi un hommage à David Bowie, en particulie­r à Space Oddity. En revanche dans cet album, je me suis enfin affranchi de toutes les autres influences que j’avais eues jusqu’ici : Dylan, Leonard Cohen, Nina Simone. Et à écouter des

‘‘ J’ai eu une petite amie ardéchoise”

gens que je n’écoutais pas : Thom Yorke, The Fugees, du jazz old school, Billie Eilish, Kanye West, Amy Winehouse ou Nick Cave.

La chanson Lost Horse est liée à une histoire particuliè­re...

J’ai eu maille à partir décidément, en , avec les loups ou les chiens-loups ! Je possède quelques chevaux, qui vivent dans un grand champ, et l’une de mes juments a un jour disparu. Nous l’avons cherchée en vain, et au vu des indices et des précédents dans ce coin-là, il est probable qu’elle ait été attaquée par une meute. Je lui ai dédié cette chanson.

En mars , vous devriez venir jouer en France, notamment le  mars à Marseille ?

Oui, si les conditions le permettent, j’en serai vraiment heureux. J’aime votre pays car j’ai eu une petite amie ardéchoise pendant trois ans, et parce que les Français apprécient ma musique : c’est ici que j’ai donné le plus de concerts ! C’est même devenu un peu ma seconde patrie.

Anagnorisi­s. Asaf Avidan. (Play Two).  titres.

Asaf Avidan & Band.

Mercredi 24 mars 2021 à 20 h. Dôme de Marseille. Tarifs : de 41 à 63 €. Rens. 04.91.12.21.21. www.dome.marseille.fr

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