L’ANNAPURNA
« Me voici dans l’obscurité sous un ciel plein d’étoiles. Devant moi, l’arête descend légèrement. Je la suis, jusqu’à ce qu’elle remonte de nouveau. Un peu plus tard, elle redescend. Tout me paraît plat làhaut. Enfin, me voici sur la troisième bosse. Est-ce le point le plus haut ? Devant moi, je ne vois rien de plus élevé. Le sommet semble n’être qu’une ondulation sur l’arête, rien de spectaculaire. J’éteins ma frontale pour mieux voir l’arête et ce qu’il y a autour. Elle descend jusqu’à se perdre dans la nuit noire. En haut, ça souffle un peu, il fait bien plus froid. Dès que je m’arrête, je sens que je commence à geler. Je dois me remettre en route. J’éprouve soudain un sentiment d’urgence. Je sens que je dois descendre le plus vite possible. Je n’éprouve pas la joie triomphale du sommet. Je ne me sens pas bien, je deviens nerveux et anxieux, je veux partir. Je rêve soudain de la rimaye. Il est 1 heure du matin. Je commence immédiatement à descendre. Vais-je réussir ? (...)Pendant tout ce temps, je n’ai pensé qu’à moi. Je suis sur le point de commettre une grosse erreur et de penser au monde extérieur. Je me reprends et réprime ces pensées. Dans ces situations, les émotions sont fatales. Soudain, j’ai peur. Je pourrais chuter et ne pas survivre. Jusqu’ici, j’ai accepté cette idée et je l’ai enfouie bien profond. La peur n’a fait surface qu’à de courts moments. Maintenant, il y a de nouveau un avenir. Quand je reprends ma descente, mes mollets sont durs comme de la pierre, ils sont par moments traversés d’une douleur fulgurante. Je suis de nouveau concentré, conscient que chacun de mes pas peut être le dernier. »
Ueli Steck
Une autre vie, Chapitre II, Annapurna, de la cime à l’abîme, éditions Paulsen 2017.