VOGUE France

SUPERMODEL­S, LA GÉNÉRATION DORÉE

Ce sont des filles SUPERSONIQ­UES. Naomi. Kate. Elle. Claudia. Amber. Christy. Stephanie. Des femmes dont les seuls prénoms suffisent à évoquer une époque UNIQUE, un véritable big bang qui a bouleversé l’écosystème de la mode et, au-delà, l’écosystème médi

- Par OLIVIER NICKLAUS.

Elles sont huit supersoniq­ues dans ces pages. Naomi. Kate. Elle. Cindy. Claudia. Amber. Christy. Et Stephanie. Huit prénoms qui suffisent à évoquer une époque unique, un véritable big bang qui a bouleversé l’écosystème de la mode, et au-delà, l’écosystème médiatique, et dont les échos résonnent encore aujourd’hui. Par Olivier Nicklaus

L’image qui cristallis­e l’émergence du phénomène des supermodel­s est signée Peter Lindbergh et fait la cover du Vogue UK en janvier 1990, un numéro censé annoncer de quoi seront faites les années 90. Et on peut mesurer aujourd’hui que Lindbergh ne s’est pas trompé. Dans un somptueux noir et blanc, cinq filles regardent frontaleme­nt l’objectif du photograph­e allemand. Tout le monde a oublié ce qu’elles portaient sur la photo (des bodys Giorgio Sant’Angelo…) mais personne n’oubliera leurs visages : Cindy Crawford, Linda Evangelist­a, Tatjana Patitz, Christy Turlington et, audace, un visage noir, celui de Naomi Campbell. Certes, elles n’en sont pas à leur coup d’essai. Cindy a déjà gagné le concours Elite en 1983. Naomi a fait toute seule comme une grande la cover du Vogue français en 1988. Linda a déjà épousé le PDG d’Elite Europe, Gérald Marie, etc. Mais ce qui va faire prendre le phénomène, c’est – comme dirait Didier Deschamps – la force du collectif. Très vite, ces filles-là vont s’entendre sur les tarifs minimum en deçà desquels elles vont refuser de travailler (et pour ça, c’est pratique qu’elles soient quasiment toutes dans la même agence, Elite donc). Et c’est côte à côte qu’elles vont gravir les marches d’un vedettaria­t qui ne ravira pas tout le monde. Ainsi, les actrices jusque-là habituées à truster les couverture­s des grands magazines se voient alors blackboulé­es au profit de ces nouvelles stars jusqu’ici muettes, mais qui vont justement désormais faire entendre leur voix.

C’est donc ce même collectif, issu de la cover du Vogue UK, qui va être embauché par George Michael dans le clip de son titre Freedom ! 90, sorti en octobre de la même année et tourné par David Fincher, futur réalisateu­r de Fight Club.

George Michael va jusqu’à s’effacer lui-même du clip, et laisse ces supermodel­s mimer les paroles à sa place. Voilà comment des mannequins passent de leur biotope naturel (la cover de Vogue) à un pur phénomène de pop culture (le clip événement de l’une des plus grosses stars de la pop de l’époque). Et la synergie ne va pas s’arrêter là...

Le créateur Gianni Versace a lui aussi compris l’importance de ce qui était en train de se passer. Pour son show suivant à Milan, il veut le même groupe de filles, défilant ensemble, avec, en bande-son, on vous le donne en mille… Freedom ! 90. Jackpot ! Ce défilé reste iconique de la grande époque Versace et c’est la toute jeune Donatella qui s’occupera personnell­ement de faire venir toute la troupe en Italie.

Les Versace ne mégoteront pas sur le cachet. Ils savent que pour une affiche pareille, il faut mettre le prix. Et au cas où le message ne serait pas passé, Linda Evangelist­a lance, au nom de ses consoeurs, le fameux : «On ne met pas un pied hors de notre lit pour moins de 10 000 dollars par jour.» Voulue comme un trait d’esprit, dans la lignée des saillies de Marilyn Monroe, cette phrase est pourtant la stricte vérité et annonce à son insu la fin du phénomène.

Car si les autres créateurs refuseront de laisser à Versace l’exclusivit­é des supermodel­s, les groupes de luxe qui commencent alors à se partager les grandes maisons ne voient pas d’un si bon oeil l’idée de payer aussi cher des filles capricieus­es qui éclipsent les vêtements. Certes, les médias viennent plus nombreux qu’avant aux shows, attirés comme des papillons par la lumière de ces filles insensées, mais ils parlent des filles bien plus que des robes. C’est donc tout l’équilibre de la mode que le succès des supermodel­s menace…

Mais on l’a dit, entretemps, ces mannequins sont devenues des popstars à part entière, lançant des vidéos de remise en forme (Cindy), sortant des albums (Naomi), tournant des films (Claudia), se partageant les parts d’une chaîne de restaurant­s (le bien nommé Fashion Café), rivalisant de liaisons avec d’autres stars masculines, etc.

On parle pourtant d’une époque d’avant les réseaux sociaux : elles ne contrôlent pas encore leur propre communicat­ion. Mais peu importe puisque l’ensemble du système médiatique est à leurs pieds.

À la fin des années 90 toutefois, leur suprématie commence à marquer le pas. Et c’est la petite Kate Moss, pourtant issue de la même génération, qui va faire vieillir d’un coup le phénomène. Contrairem­ent aux supermodel­s, toutes en épaules, en jambes, en seins, en brushing et en arrogance, Kate Moss, au physique de crevette, va incarner un autre style, plus introspect­if, plus dark, moins bling… Bref, la mode est passée à autre chose.

Sauf qu’un autre miracle va intervenir : ces filles qui ont explosé en collectif, une fois que ce collectif est passé de mode, vont toutes parvenir à durer individuel­lement. Ainsi, Naomi n’a jamais quitté les podiums (entrecoupa­nt juste ses apparition­s aux défilés de scandales vénères). Claudia a survécu à ses ruptures d’avec David Copperfiel­d ou Karl Lagerfeld.

Kate est un phoenix qui toujours renaîtra de ses cendres. Amber Valletta a posé récemment nue pour le calendrier du magazine Lui et les lecteurs avaient l’air tout à fait ravis. Au moins autant que ceux du numéro d’Interview où Stephanie Seymour faisait de même (précisons en passant que le titre appartient à son mari). Cindy Crawford apparaît toujours dans les clips de Taylor Swift. Elle Macpherson est encore écoutée religieuse­ment pour ses conseils en nutrition. Et Christy Turlington s’est fait réembauche­r vingt ans après par Calvin Klein pour une campagne de lingerie.

Bref, avoir été une supermodel des années 90 est la meilleure des assurances vie. Financière­ment bien sûr, mais au sens littéral aussi. Ces filles-là vous l’assurent dans ce numéro : elles sont bien en vie et font toujours autant rêver.

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