VOGUE France

PRÉNOM MARIA

- Par Anne-Laure Sugier

Actrice sulfureuse au destin tragique, Maria Schneider a flambé sa légende dans les années 70, dans les bras de Marlon Brando, devant la caméra de Bertolucci. Morte à 58 ans, après une vie de violence et d’excès, c’est à sa cousine, Vanessa Schneider, grand reporter au journal Le Monde, qu’elle doit de renaître aujourd’hui dans un livre bouleversa­nt. Rencontre.

Actrice sulfureuse au destin tragique, Maria «dark Bardot» Schneider a flambé sa légende de dans les années 70, dans les bras de Marlon Brando, devant la caméra de Bertolucci. Morte à 58 ans, après une vie de violence, de drogue et d’excès, c’est à sa cousine, Vanessa Schneider, grand reporter au journal Le Monde, qu’elle doit de renaître aujourd’hui dans un livre bouleversa­nt. Tu t’appelais Maria Schneider dessine une vie hors norme racontée à hauteur Par Anne-Laure Sugier. d’enfant. Rencontre.

Maria Schneider a une place à part dans le panthéon du cinéma… Oui, à cause du Dernier Tango à Paris, le film scandaleux et sexuel de Bertolucci. On est juste après Mai 68, Maria a 19 ans, Marlon Brando 48, et il fait son grand retour au cinéma. Le film sort dans le monde entier, il est interdit dans certains pays, notamment en Italie où ils écopent, tous les deux, d’une peine de prison, les pellicules sont saisies. Maria est totalement dépassée par le phénomène. À cette époque, il n’y a pas d’agent, pas de garde du corps. Elle se fait agresser dans la rue par des gens que le film scandalise. Le Dernier Tango la rend immédiatem­ent célèbre, mais il provoquera aussi sa chute. Bardot et Delon sont ses parrains, presque des parents, elle a partagé l’affiche avec Jack Nicholson, tourné avec Antonioni, avec Rivette, elle a eu une aventure avec Bob Dylan, était amie avec Patti Smith qui a écrit une chanson sur elle, Nan Goldin l’a photograph­iée pour Vogue… Pour commencer, il y a sa famille. Elle est la fille de Daniel Gélin. On l’a un peu oublié mais il est, à la naissance de Maria, une immense star, le seul acteur français à avoir tourné à Hollywood après la guerre. Il est proche de Brigitte Bardot, dont il était le témoin de mariage. Bardot est au sommet de sa gloire quand elle prend Maria sous son aile et l’héberge. Alain Delon va avoir, lui aussi, un rôle de protecteur. Il lui fait jouer des petits rôles dans les films dont il tient la vedette. Ils sont d’ailleurs restés, tous les deux, à ses côtés jusqu’à la fin. Quand Maria meurt en 2011, à 58 ans, c’est Delon qui lit, à son enterremen­t, un texte écrit par Bardot. Je crois que Brigitte Bardot se reconnaiss­ait en elle parce qu’elle avait aussi beaucoup souffert d’avoir été un sexsymbol. Mais, contrairem­ent à Maria, elle avait su s’extraire du monde du cinéma à temps. Comment décririez-vous le style unique de Maria Schneider ? Sa voix d’abord, très grave, envoûtante, charismati­que et puis ses cheveux bouclés, sombres, le cuir, tous ces bijoux, elle chinait beaucoup aux puces et avait ce look androgyne si particulie­r. Elle incarnait les années 70. On largue les amarres et l’on vit comme on veut, on s’habille comme veut. Maria n’avait peur de rien, ou presque. Elle a été victime, évidemment, de plein de choses, mais c’était aussi une femme forte et libre. Vous aviez prévu d’écrire ce livre ensemble, non ? Maria était très inquiète de l’image qu’elle laisserait. Elle devait sentir qu’elle mourrait relativeme­nt jeune et elle tenait à dire quelle comédienne et quelle femme elle avait été en dehors du Dernier Tango et sa célèbre scène de viol. Alors elle m’avait demandé, il y a une quinzaine d’années, si je pouvais l’aider et on avait signé un contrat avec un éditeur. Mais c’était trop douloureux. Elle m’appelait en panique: «Je n’en dors pas de la nuit, je ne veux pas parler de ça, de la drogue, de mon père…» J’ai alors pris la décision d’arrêter, de rendre le contrat et l’argent. Elle était soulagée.

Maria est votre cousine germaine. Après avoir été rejetée par sa mère, elle s’installe chez vos parents puis chez Bardot, mais reste très proche de votre famille. C’est la fille de la soeur aînée de mon père et de Daniel Gélin. Elle porte notre nom car à l’époque, Daniel Gélin étant marié avec Danièle Delorme, la loi ne l’autorisait pas à la reconnaîtr­e. Il l’a fait plus tard par voie de presse. Les relations avec Daniel Gélin ont toujours été compliquée­s ? Elle l’aimait beaucoup mais comment tisser des relations avec un père que l’on rencontre à 16 ans ? C’était un lien complexe qui s’est noué dans les boîtes de nuit. Il l’emmenait partout. Ça ressemblai­t davantage à une histoire de fêtards qu’à une relation père-fille. Tout au long du livre, vous décrivez les sentiments qui vous attachent à elle : la fascinatio­n bien sûr. Vous avez à peine 6 ans et vous collection­nez tout ce qui la concerne. Je découpais tous les articles. Je gardais aussi tout ce qu’elle me donnait, les dossiers de presse, les photos. Il y avait une forme de fétichisme, mais surtout la volonté inconscien­te de fixer les moments que nous vivions ensemble. Vous savez, Maria, on avait toujours peur qu’elle ne revienne jamais. À travers cette démarche enfantine, avec ma petite colle, ma pochette rouge, je pouvais garder des traces d’elle, l’empêcher de disparaîtr­e. C’est Le Dernier Tango qui a tout fait basculer ? Elle va tourner Profession reporter, le film d’Antonioni avec Jack Nicholson, sans doute son plus beau film, juste après, mais elle a vécu une telle violence sur le tournage du Tango, puis à sa sortie, qu’elle a ensuite systématiq­uement refusé d’être filmée nue. Ça a donc limité les propositio­ns. Et la drogue la rendait de toute façon ingérable. Quelle a été votre réaction quand vous avez vu le film de Bertolucci pour la première fois ? Je ne l’ai pas vu. Dans la famille, c’était un objet interdit. Maria ne voulait tellement pas en entendre parler qu’on ne pouvait même pas prononcer le titre du film. D’ailleurs, à son enterremen­t, personne ne l’a fait. Ça peut paraître idiot mais j’aurais eu l’impression de la trahir. Et encore aujourd’hui. Alors j’ai lu plein de choses, j’en ai vu des extraits, mais m’asseoir et le regarder dans son intégralit­é, j’en serais incapable. Pour faire simple, Le Tango, avant d’être un film, c’est d’abord, dans les faits, l’agression sexuelle d’une actrice de 19 ans sur un plateau de tournage. La scène de viol, même si elle est simulée, n’était pas prévue et Maria l’a vécue comme une agression extrêmemen­t violente. J’en étais à la fin de l’écriture du livre quand l’affaire Weinstein a éclaté et c’était satisfaisa­nt de voir que ce type de pratiques était dénoncé. Mais c’était aussi cruel car Maria n’a jamais cessé de raconter cette agression dans l’indifféren­ce générale. Vous tenez des propos très durs sur Bertolucci : «Ton bourreau», «Ton porc»… Parce qu’elle le vivait comme ça. Bertolucci avait gâché sa vie. Il a fallu un tweet de Jessica Chastain – «si vous voulez voir ce qu’est une agression sexuelle au cinéma, regardez Maria Schneider dans Le Dernier Tango» – pour le pousser à faire amende honorable, quarante ans après. Alors oui, les excuses de Bertolucci me restent en travers de la gorge. «Souvent je me dis que tu n’aurais pas aimé que je raconte tout ça.» Pourquoi cette question revient-elle aussi souvent ? L’écriture de ce livre m’a pris cinq ans. Jusqu’au bout, je ne savais pas si j’arriverais à le finir parce que c’était douloureux. Je savais que je parlerais d’elle, de la drogue, de notre famille, de l’enfance que j’avais eue, et je n’écris pas de livres pour régler des comptes. Donc ça a été un souci permanent. J’avais toujours cette interrogat­ion. Si je raconte cette scène, est-ce que ça lui aurait plu ? Parce que bien sûr, ce livre que j’ai écrit seule n’est pas le livre que nous aurions signé ensemble. On sent de la culpabilit­é… Non, je ne crois pas que ce soit de la culpabilit­é. Je l’assume parce que son histoire est aussi la mienne. Je n’ai pas voulu écrire «la vérité sur Maria Schneider», je n’ai pas fait un biopic, une biographie. Mon récit est davantage impression­niste, sur la base de souvenirs. Mais ce que je suis devenue vient de cette histoire. Alors oui, je me suis autorisée à tout dire. C’est ma vérité.

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 ??  ?? ci-contre, Maria Schneider en 1978. ci-dessous, avec Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris, de Bertolucci, en 1972. à droite, aux côtés de Jack Nicholson dans Profession reporter, d’Antonioni (1975).
ci-contre, Maria Schneider en 1978. ci-dessous, avec Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris, de Bertolucci, en 1972. à droite, aux côtés de Jack Nicholson dans Profession reporter, d’Antonioni (1975).

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