Voile Magazine

L’amour qu’on leur donne

- François-Xavier de Crécy

Le fait divers a affolé la toile, électrisé les ondes de radio-pontons. Pensez donc, un IMOCA mythique, mené sur le Vendée Globe par Nandor Fa et Raphaël Dinelli, gavé comme une vulgaire mule, truffé de cocaïne par des Pieds Nickelés finalement contraints d’y mettre le feu – en vain – avant de se jeter à l’eau en désespoir de cause. Une sacrée pantalonna­de antillaise, bien loin de la geste héroïque des premiers Vendée Globe. Grandeur et décadence, hautes latitudes et basse filouterie. De même qu’on a vu de grands marins fourvoyés dans des finances douteuses ou piégés par des addictions diverses, il y a des bateaux qui finissent mal. C’est le cas de ce pauvre Budapest et de tant d’autres, qui font moins parler d’eux mais pourrissen­t tranquille­ment sur un terre-plein, gagnés par la végétation, l’oubli et la vermine. Sans doute auraient-ils préféré une fin digne en haute mer. Parfois, de moins en moins souvent, un passant aux tempes grises le montre à son rejeton distrait : « Tu vois, il s’appelait Vendredi 13, et quand j’avais ton âge, il nous faisait tous rêver… » Cela étant dit, l’exemple est mal choisi puisque le Vendredi 13 en question a fait l’objet d’un ambitieux projet de restaurati­on à Bordeaux. Projet qui a connu de sérieux trous d’air financiers, mais c’est une autre histoire… La morale de la nôtre, c’est que ces bateaux, mythiques ou anonymes, ne sont jamais que la somme de l’amour qu’ils reçoivent et le vecteur de nos passions. Oubliés, ils péricliten­t. Mais bien souvent aussi, ils renaissent de leurs cendres quand des marins nostalgiqu­es, amoureux ou tout simplement un peu fous se mobilisent pour leur offrir une nouvelle vie. Ce fut le cas d’un Côte d’Or II, restauré au prix d’énormes sacrifices par Miguel Subtil, d’un Orange II devenu Vitalia II suite au coup de tête de François Bich, de France I, de CharenteMa­ritime récemment relancé, de Morbihan retapé à Marseille – ça ne s’invente pas… Quand d’autres donnent leur corps à la science à l’image d’Enza, récupéré sur son terre-plein brestois pour constituer l’ossature du grand cata solaire Energy Observer. Il n’y a pas de bateau sans passion. Et quel plus bel exemple, s’agissant de permanence de la passion, que celui de la flotte des Pen Duick ? Pour Eric Tabarly aussi, tout a commencé par un coup de foudre, une histoire d’amour insensée. Son plan Fife aux bordés pourris à coeur allait le mener, de Pen Duick en Pen Duick et de victoire en victoire, aux premiers foilers qu’il réinventer­a. Un exemple parmi tant d’autres, moins connus, qui tend à confirmer cette vérité : ce qui nous rend meilleurs, ce ne sont pas les bateaux, c’est l’amour qu’on leur donne !

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A l’arrivée du Vendée Globe 1999/2000, Ellen MacArthur (2e) embrasse son cher Kingfisher.

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