Wider

LA COURSE DE CEUX QUI MARCHENT

-

Ce matin du 2 septembre, les nuages ont décidé d’épargner un peu l’Italie et nous prenons la direction du Val Veni, et du lac Combal, au pied de la frontière francoital­ienne. Pour capter l’émotion de ceux qui sont tout à l’arrière de la course. Pour voir la course de ceux qui marchent. Le lac Combal, c’est au 65e kilomètre du parcours de l’UTMB. Pour les concurrent­s que nous voyons défiler maintenant, c’est le bout d’une première longue nuit à lutter contre les barrières horaires.

VISAGES MARQUÉS, ALLURES CASSÉES

Les visages sont marqués. Les traits creusés. Les allures, le plus souvent, ne sont déjà plus celles de coureurs fringants. Objectivem­ent, les traileurs ressemblen­t ici davantage à des randonneur­s très fatigués. Leur marche n’est même plus si rapide. Cependant, outre l’équipement, la concentrat­ion, l’intensité de l’effort et les dommages physiques apparents distinguen­t clairement ces combattant­s de l’ultra- trail des marcheurs du tour du mont Blanc. Il est bientôt 9 h 30. Ceux que nous croisons maintenant sur le sentier sont donc repartis avant le « cut » , la fameuse barrière horaire que bien des concurrent­s, un peu limite en vitesse, craignent. Ils basent leurs tableaux d’allure dessus. Un combat contre la montre en prime de celui qui consiste déjà à vaincre cette distance homérique.

« JE CALCULE MES TEMPS DE PASSAGE EN FONCTION DES BARRIÈRES HORAIRES »

Jean- Philippe Allaire, coureur émérite d’ultra- marathons sur tous les terrains, également organisate­ur d’une des courses parmi les plus difficiles ( le Treg, 190 km dans le désert de l’Ennedi au Tchad) décrit bien cette véritable « tactique » des derniers : « Mon seul but est d’arriver au bout. Je regarde donc attentivem­ent les barrières horaires et calcule mes temps de passage à chaque ravitaille­ment pour garder une petite marge. Au moins cinq minutes. Ce n’est pas un rythme linéaire : souvent, elles sont plus difficiles en début de course et s’étendent ensuite… Les “survivants” des premières heures ont donc davantage de chance de passer. Cela oblige à assurer un train un peu plus rapide au début. Pour moi, c’est plus l’allure qui me pose problème dans ces courses que vraiment la distance. Finir, je peux le faire le plus souvent ! » nous explique celui qui s’est lui- même surnommé avec humour « l’escargot parisien » sur les réseaux sociaux. Cette fois- ci, Jean- Philippe s’est présenté au départ de la TDS. Sur ce difficile parcours de 120 kilomètres,

il a flirté avec les barrières tout au long de ses 35 heures d’efforts, « cravachant » parfois sur les zones roulantes pour passer. Mais il a réussi à rentrer à bon port dans les temps. « Pour nous, les coureurs de fond de peloton, c’est vraiment finir qui apporte la plus grande satisfacti­on. »

LE RÊVE DE FINIR

Finir, atteindre la ligne d’arrivée, ceux que nous rencontron­s maintenant n’y arriveront pas pour la grande majorité. Les regards et les attitudes trahissent leur état d’esprit. Le rêve est fini. Certains semblent découragés, déçus. Même s’ils ont franchi celle- ci, ils savent que le voyage sera raccourci à la prochaine barrière horaire. D’autres, entre fatigue extrême et extase, semblent être dans leur propre monde. Il y en a aussi qui nous sourient pour la photo, contents de sortir un instant de leurs pensées et de leurs souffrance­s. Beaucoup sont Chinois, Japonais, mais le monde entier ou presque est représenté dans cette queue de peloton. On vient de loin pour abandonner si près. Nous sommes maintenant au niveau des tentes du ravitaille­ment. Nous rencontron­s les serre- files valdôtains chargés de fermer l’épreuve ici. Le concurrent qui arrive ne pourra pas repartir. On ne lui laissera pas le choix. Il en faut bien un, ce sera lui. Le

premier « éliminé » . Ceux qui l’ont précédé sont pressés de partir du ravitaille­ment, ou de jeter l’éponge. Un long monsieur d’une cinquantai­ne d’années hésite : « Elles sont dures ces barrières horaires. Si je repars, je n’irai que jusqu’à Courmayeur… » Un autre coureur sort comme un diable de sous la tente infirmerie. Il doit repartir. Continuer son rêve un peu plus loin. Il a eu chaud. Mais 100 kilomètres le séparent encore de Chamonix. Une longue, longue marche contre la montre et la fatigue dont on peut douter qu’il sorte vainqueur. Il aura en tout cas le panache d’essayer. Jusqu’au bout.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France